Cameroun : Justice : Pourquoi P.Abah Abah a été fait prisonnier politique par le CL2P
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L’incarcération depuis plus de 7 ans de l’ancien directeur des Impôts et ancien ministre camerounais présente  une façade d’assainissement des mœurs publiques qui cache mal une guerre fratricide dans le sérail camerounais. Embastillé dans un camp militaire à Yaoundé, Polycarpe Abah Abah se trouve ravalé par une avalanche de procès qui a suscité l’intérêt du Comité  de libération des prisonniers politiques au Cameroun, une ONG française qui s’est mise sur ses traces depuis quelques mois. Voyage au cœur des tribulations judiciaires de l’ex-grand argentier national.

C’est toujours sous une forte escorte des éléments du Groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie nationale (Gpign), une unité spéciale en charge de la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme, que Polycarpe Abah Abah arrive au Tribunal criminel spécial anti-corruption à Yaoundé. Condamné à 25 ans de prison le 13 janvier dernier pour le détournement de la somme d’environ 6 milliards de F Cfa, l’ancien directeur des Impôts (1999-2004) et ancien ministre des Finances (2004-2007) est au centre d’un nouveau procès en détournement devant ce tribunal d’exception depuis le 19 janvier 2015. Soit 6 jours seulement après sa condamnation.

Depuis juin 2012, Abah Abah est pensionnaire de la prison de haute sécurité du secrétariat d’Etat à la défense, les bureaux du patron de la gendarmerie nationale. Un camp militaire en réalité. On le voit, l’ancien grand argentier national, la soixantaine entamée, originaire comme Paul Biya de la région du Sud, n’a rien d’un prisonnier ordinaire. C’est un matin du 31 mars 2008 qu’il est interpellé à son domicile à Yaoundé par la police pour répondre des faits de détournements de deniers publics. Placé en garde-à-vue à la police judiciaire, dans une cellule où il occupe un matelas étalé à même le sol, il est écroué quelques jours plus tard à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui. Ainsi sonnait le glas d’une carrière bien remplie au sein de l’administration avec à la clé une distinction de meilleur ministre africain des Finances pour l’année 2005 selon le journal anglais The Financial Times.

Batailles entre frères

Mais ce diplomé de l’Atlanta Management Institute de Georgie aux Usa avait déjà été condamné par l’opinion et la presse. D’après cette dernière, des bulletins de renseignements attribuant à l’ancien directeur des Impôts une fortune colossale pouvant financer une rébellion pendant 30 ans ont circulé dans toute la ville avant son incarcération. A la manœuvre, d’après les mêmes sources médiatiques, deux élites originaires comme lui de Zoétélé (sud), que sa réussite et sa proximité avec le chef de l’Etat incommodaient. Il s’agit de l’ancien et l’actuel ministres de la Défense, Rémy Ze Meka et Edgard Alain Mebe Ngo’o.

En détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé, ce n’est que le 17 décembre 2013 que son procès s’ouvre au Tcs. Après plus de 5 ans de détention sans jugement ! La loi prévoit pourtant un délai maximum de 18 mois. Entre temps, pour avoir fait un détour à son domicile après un rendez-vous avec son médecin, il est interpellé de force par la police en juin 2012, jugé puis condamné quelques mois plus tard pour « tentative d’évasion aggravée ».

Au Tcs, l’ancien directeur des Impôts est accusé du détournement d’environ 1 milliards de F Cfa. Non pas qu’il les a utilisé à d’autres fins, non pas que la somme querellée a été retrouvée dans son compte personnel, mais il s’agit d’un déficit dû au non-reversement de la Tva par la direction des Impôts au Crédit foncier du Cameroun. Pour cela, il écopera de 25 ans de prison ferme avec confiscation des biens y compris ceux appartenant à ses enfants et les siens propres qu’il a acquis bien avant qu’il ne soit directeur des Impôts. Plus grave, dans sa décision, le Tcs lui a attribué près d’une trentaine d’immeubles qui en réalité sont des terrains nus morcelés en près d’une trentaine de titres fonciers.

Les 1,8 milliards de la Tva

A peine la douche froide de sa condamnation prise, Polycarpe Abah Abah doit à nouveau se retrouver devant les juges du Tcs pour une affaire de détournement de 1,8 milliards de F Cfa dans le cadre de la gestion de la Tva et de la Taxe sur le chiffre d’affaires. Là encore, on ne manque pas d’en voir des vertes et des pas mûres. Peter Mandio, député et ancien journaliste, constitué partie civile dans cette affaire, avait été condamné pour diffamation pour avoir révélé la distraction de cette somme d’argent dans son journal Le Front indépendant. Une histoire d’arrosé devenu arroseur.

C’est fort de ces « procès à tiroirs » et de son incarcération dans une prison spéciale que le 28 avril dernier, le Comité de libération des prisonniers politiques au Cameroun, une Ong française basée à Paris, a fait de Polycarpe Abah Abah, un prisonnier politique. Par ailleurs, lors du lancement de ce comité en mai 2014, des critères du prisonnier politique avait été définis. Et le cas Abah Abah répond au 3e et 4e critère. A savoir que « le justiciable doit faire face à une multiplication de procédures, dans une sorte de procès à tiroirs dont le seul but est de le maintenir en détention sans motif valable » et « la détention prolongée – parfois sans jugement – dans une prison spéciale (dite de haute sécurité), hors du système carcéral commun ».

Voici les critères du prisonnier politique retenus  par l'ONG Comité de libération des prisonniers politiques au Cameroun  (CL2P) le 3 mai 2014 lors de la conférence de presse de lancement à Paris 

Nous considérons comme prisonnier politique, toute personne qui serait en prison pour des motifs autres que ceux du droit commun (communément avancés) qui pourraient avoir servi de façade légale au déclenchement de son affaire.

Pour cela, nous avons retenus quelques critères:

1- La personne soutenue a été reconnue par les organisations internationales de défense des droits de l’homme comme étant un prisonnier d’opinion

2- La personne défendue est maintenue en prison au-delà de la peine qui a été prononcée contre elle par la justice.

3- Le justiciable fait face à une multiplication de procédures, dans une sorte de procès à tiroirs dont le seul but est de le maintenir en détention sans motif valable.

4- La détention dans une prison spéciale, autre que celle de droit commun

© Hurinews.com : Michel Biem Tong

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