Ahmadou Ahidjo : Une tombe de pèlerinage
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Chaque année, des Camerounais et des Africains viennent se recueillir sur le caveau du 1er président du Cameroun à Dakar au Sénégal.

Avant d’entrer au cimetière, on est stoppé à l’entrée par de petits enfants. Sourires aux dents manquantes, ils vous accostent et courent dans tous les sens. Chacun d’eux vous tend sa petite boîte. « Argent », « argent ». C’est le seul mot français qui ressort de tout ce qu’ils lancent en Wolof, langue la plus parlée au Sénégal. Ce vendredi est jour de la grande prière. Mais aussi jour d’enterrement et, surtout, un jour où les uns et les autres viennent pour rendre visite à leurs morts. Au cimetière Bakhiya de Yoff, le plus grand cimetière musulman de Dakar, les petits mômes poursuivent les visiteurs et personnes endeuillées jusqu’à leur destination, sous l’oeil vigilant de quelques hommes assis à l’entrée.

Un soleil de plomb s’abat sur la capitale sénégalaise. N’empêche, les « mendiants » ont de l’énergie à revendre. Diene Mame les observe, demisourire aux lèvres. Il tend parfois le cou pour contrôler leur mouvement.

Ahmadou Ahidjo, 1er président

Il suffit d’un mot. Un ton. Et il a deviné la nationalité de son interlocutrice. « Vous êtes camerounaise », lance Diene, avec assurance. Le gardien du cimetière musulman de Dakar rit alors de toutes ses dents. Pas la peine de lui dire où vous allez ou ce pour quoi vous êtes là. Rien qu’à votre nationalité, il sait où vous allez. C’est son boulot depuis quatre années. « Chaque jour, je reçois au moins quatre Camerounais ici, poursuit-il, en pointant son index droit vers une piste, d’où l’on aperçoit plusieurs tombes. Allez vers cet endroit. Vous allez voir la tombe de votre président. » Lequel ? Demande-t-on sur le ton de la plaisanterie.

Diene éclate de rire. « Ahmadou Ahidjo bien sûr », répond l’employé de la mairie de Dakar, soudain sérieux. Serig Ndiaye se porte volontiers pour nous faire visiter le site. « Je suis maçon au cimetière, dit-il d’emblée. Il n’y a pas de travail actuellement ». Dans le vaste cimetière d’une superficie de 1,5 km_, les tombes s’étendent à perte de vue. La piste que nous empruntons nous permet d’avoir une vue d’ensemble sur l’endroit. Un homme gare une voiture de couleur noire. Vêtu d’un gandoura de couleur bleue, il en sort et s’avance devant une tombe. Il tient un Coran entre les mains. Ses lèvres bougent. « Il prie pour le repos de l’âme de son mort », glisse Serig. Au fur et à mesure que l’on avance, ce membre de l’Association des travailleurs musulmans de Yoff (Atmy) nous assure qu’en dehors du président camerounais, plusieurs autres « illustres et importants » sénégalais y sont enterrés. Il s’arrête d’ailleurs devant la pierre tombale d’Abdoulaye Mathurin Diop, ancien procureur général prés la Cour suprême (1931-1983). « C’était un grand homme, lâche-t-il, en s’arrêtant subitement. Voilà la tombe de votre président ».

Serig Ndiaye n’avance plus. Il reste à l’arrière et nous encourage à y aller. L’espace est carrelé. Le pourtour est fait de carreaux de couleur blanc cassé. Pour y accéder, pas de barrière. La petite porte a été enlevée. C’est la famille qui l’a fait, apprend-on. Une fois la barrière franchie, on se retrouve devant la pierre tombale du président. « El Hadj Ahmadou Ahidjo. 1er président du Cameroun. 24-08-1924 à Garoua – 30-11-1989 à Dakar », peut-on y lire. Juste à côté, le prophète a été dessiné sur un petit espace en terre non carrelé (le seul sur la tombe). « Ce sont des visiteurs musulmans qui l’ont fait. Il s’agit de la tête, le tronc et les membres du prophète », explique Serig qui s’est rapproché. Il repart aussitôt s’accouder près d’une tombe en face.

Des appareils photos crépitent. « C’est quand même le tout premier président du Cameroun », s’exclame Marone, journaliste sénégalais de passage au cimetière. Il prend à son tour des photos. Il pose surtout des questions que Serig, qui s’est une fois de plus rapproché, répond, sourire aux lèvres. « Plusieurs stars viennent ici pour voir cette tombe », murmure-t-il. Il marque un temps d’arrêt, prononce quelques mots en Wolof, plisse le visage et nous regarde. « Les Lions Indomptables sont arrivés ici lors du match de qualification pour la Coupe d’Afrique au Sénégal, reprend-t-il. On a eu beaucoup d’argent ». Combien ? Demandent spontanément plusieurs voix. Silence. Serig semble réfléchir, comme si soudain, il regrettait d’avoir trop parler. Il regarde longuement les visages tournés vers lui et hausse les épaules. « Je ne m’en souviens plus », dit-il. On insiste. Et il parle, le regard tourné ailleurs : « Samuel Eto’o m’a donné au moins 5 000 F. Cfa ».

Samuel Eto’o, les Lions et l’argent

Si le maçon refuse de nous donner la somme exacte reçue, il accepte néanmoins de nous raconter cette aventure avec les Lions Indomptables du Cameroun en 2012. A l’époque, Samuel Eto’o Fils et les autres ont appelé les responsables du cimetière pour les avertir de sa venue. Deux jours plus tard, ils sont arrivés. « Ils se sont filmés comme vous. Ils étaient heureux et ça se voyait sur leurs visages car, ils disaient qu’ils étaient avec le 1er président du Cameroun », se souvient Ndiaye qui assure que bien après, les Lions ont donné de l’argent au gardien du cimetière et aux autres employés. Samuel Eto’o leur a aussi « particulièrement et individuellement » donné une somme chacun. Les Lions ne sont pas les seuls visiteurs à être passés par là. Loin de là. Il cite, entre autres, des Africains parmi lesquels des Camerounais (en grand nombre), la famille Ahidjo et des journalistes européens qui viennent sur le site pour se recueillir, prendre des photos et faire des reportages.

La plupart des visiteurs donnent « toujours quelque chose » aux employés. Tout dépend de leur portefeuille. « Le jour où les Lions sont arrivés, j’ai par exemple eu plus de 15 000 F. Cfa », finit par dire Serig. Il est interrompu par les petits mendiants qui s’avancent et réclament de l’argent. Pour les disperser, il suffit de sortir son appareil photo et ils s’enfuient. La visite continue. Le cimetière se remplit peu à peu. Des hommes et femmes s’avancent au cimetière. Un jeune homme courbé près d’une tombe rend probablement un énième hommage à un proche. Il essuie furtivement une larme, se relève, prend son vélo posé sur un arbre et s’en va, en jetant des coups d’oeil sur la tombe. Le spectacle est partout le même dans le vaste cimetière. Serig est habitué. Chaque jour, dit-il, des familles endeuillées viennent au cimetière pour acheter un espace où enterrer leurs morts. Les prix varient, selon la superficie souhaitée. Certains achètent des espaces de 14 500 F, 100 000 F, 200 000 ou un million de francs Cfa. « Il y en a qui prennent des espaces de 600 000 F par exemple, voire plus ou moins, précise notre guide, en faisant un cercle de sa main droite pour montrer le cimetière.

Certains prennent un espace plus grand pour y enterrer d’autres membres de la famille ». Il est cependant incapable de nous donner la superficie exacte de la tombe d’Ahmadou Ahidjo. « Cela a peut-être coûté plus d’un million. Bon je ne sais vraiment pas », avoue-t-il, sourire aux lèvres. Serig est par contre certain d’une chose : le cimetière fera bientôt le plein. Tout sera délocalisé vers un autre cimetière. « L’espace est déjà disponible », assure-t-il.  

Germaine Ahidjo, la visiteuse de tous les temps

Après plusieurs minutes sur la tombe, nous rebroussons chemin. Et une fois de plus, notre guide tient à nous parler des « illustres » musulmans enterrés au cimetière Bakhiya de Yoff. Sur la route du retour, on peut lire sur la pierre tombale : Me Assane Sow, avocat à la cour, né le 25 décembre 1961 et décédé le 17 juillet 2013. L’un des plus grands avocats sénégalais, glisse le guide. Plus loin, Serig et Marone (toujours avec nous), s’arrêtent devant une autre tombe. Celle d’Amadou Tidiane Gadio, lieutenant de la gendarmerie, décédé en 1983. « Voilà l’un des hommes qui a marqué son époque. Il est mort si jeune (44 ans, ndlr) », lance le journaliste Marone. On avance et il nous parle de l’épouse de Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade.

Décédée en 2012, elle a été enterrée au cimetière musulman, à quelques mètres d’Ahmadou Ahidjo. Nous sommes arrivés au portail peint en bleu du cimetière. Le gardien, Diene Mame, nous accueille une fois de plus par un sourire. Il nous regarde. « Il faut les motiver », souffle quelqu’un. D’ailleurs, ceux qui sortent du cimetière ne manquent pas de glisser quelques billets dans les mains. Diene ne nous reverra peut-être pas. Mais, il a une visiteuse fidèle. Qui vient tous les mois. « GermaineAhidjo vient ici tout le temps », dit le gardien, admiratif. Les dernières salutations. On sort et un message imprimé sur le mur du cimetière est là en signe d’au revoir. « Que le salut soit pour vous, habitants de ces demeures/ croyants et musulmans. Certes, nous vous rejoindrons si Dieu le veut. Je demande à Dieu la délivrance pour vous et pour nous », (tradition rapportée par Mouslim). Un message qui nous rappelle que la mort n’est jamais loin.

© Le Jour : Josiane Kouagheu

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