André Mba Obame, l'élimination insidieuse d’un adversaire redouté ?...
GABON :: POINT DE VUE

GABON :: André Mba Obame, l'élimination insidieuse d’un adversaire redouté ?...

Soins médicaux en Afrique du Sud. En France. Au Niger. Dernier souffle au Cameroun. Pour André Mba Obame, le compte à rebours avait certainement commencé le jour de sa déclaration de candidature à Barcelone où il avait révélé au public gabonais une image différente du « père fouettard » de la République qu’il endossa lors de son passage au ministère de l’Intérieur. La campagne électorale de 2009 fut une véritable reconversion au cours  de laquelle la population allait découvrir un homme talentueux, courageux, déterminé,  fin stratège, habité par une volonté d’airain. Technocrate compétent, André Mba Obame faisait partie de la classe des meilleurs. Il cumulait les atouts et les défauts d’un homme du sérail, maîtrisait les arcanes du pouvoir local et françafricain. Sans doute, ces atouts lui seront-ils fatals et lui vaudront d’être désignés comme l’homme à abattre en vue d’une succession dynastique.

Face à la théorie de l’élimination insidieuse d’un adversaire menaçant, le ventriloque de la « chambre exécutive » exigera des preuves et brandira la menace d’un procès. Pourtant nombre de disparitions d’hommes politiques gabonais, ces derniers temps, semblent liés au climat impitoyable, sorcellaire et mortifère qui a marqué la fin de règne d’Omar Bongo. S’appuyant sur des enquêtes universitaires, Pierre Péan restitue très bien ce climat dans son dernier ouvrage : « La mort annoncée du chef va exacerber les luttes politiques, mais aussi thérapeutico-religieuses, familiales ou lignagères, englobant les procédés d’attaque et de « blindage » magiques propres, en ces parages, aux détenteurs de pouvoirs. Tant et si bien que, pour expliquer les méandres de cette guerre de succession, il faudrait avoir accès non seulement aux documents secrets français – Paris restant là, comme hier, un protagoniste essentiel, mais aussi à l’envers du décor, aux menées invisibles via la sorcellerie, les crimes rituels, le pillage des corps. Les « guerres mystiques » vont en effet se mener à coups d’armes « nocturnes » (les fameux « fusils nocturnes » de la sorcellerie) et de poisons (« assiettes roumaines », « bouillons d’onze heures », « seringues »…) (p. 122).  Il y eut surtout le successeur auto-proclamé. Sa soif du pouvoir. Le père en était  conscient. Il en eut même peur et tenta de l’écarter. Au courant de basses manœuvres orchestrées par le fils avide, Bongo s’écriera devant témoins : « Tout ça par mon propre soi-disant fils ! Je ne pardonnerai jamais à ce bâtard. […] Il ne me succédera pas. Il ne sera jamais président. Il croit que je suis mourant. Il va voir… » (p. 129). Un jour, voyant apparaître Œdipe futur roi dans ses écrans de surveillance, il aura cette autre exclamation : « Regarde, fiston, ce monsieur veut ma mort » (p. 128). Une fois que le père rendit l’âme à Barcelone, le combat darwinien atteignit l’apogée. Un demi-frère du monarque en devenir imagina un canular. Il décida de rédiger simultanément sa déclaration de candidature aux élections présidentielles anticipées de 2009 et  une lettre de retrait de la course. Auparavant, il eut un échange virulent avec un des fervents soutiens militaires du successeur auto-proclamé  qui lui enjoignit de retirer sa candidature : « Non, Pourquoi donc veux-tu que je la retire ? », « Je te donne un ordre. Maintenant, on ne rigole plus ! Tu n’en sortiras pas vivant, si tu la maintiens. Tu ne reverras plus la lumière du jour… », « Je ne la retirerai pas ! » « Tu es mort ! » La MORT. Tel est le sort réservé à tous ceux qui penseront à entraver les ambitions du nouveau chef.

Sans doute André Mba Obame fut-il condamné parce qu’il incarnait une véritable alternative politique. Il portait l’espérance d’une alternance démocratique. Jouissant de ses capacités physiques et intellectuelles, soutenu par une Union nationale solide, il aurait balayé en 2016 le pouvoir illégal détenu aujourd’hui par un faussaire doublé d’un usurpateur.

Nous l’avions déjà écrit dans Lettre à la jeunesse gabonaise. Arrivé au pouvoir tel un gangster (cf. le documentaire de Patrick Benquet, « Françafrique : la raison d’Etat » et Nouvelles affaires africaines de Pierre Péan), cet homme représente l’archétype de ces « nouveaux sauvages » que met en scène le cinéaste argentin Damián Szifron dans un film du même nom. Tout en lui laisse transparaître le mépris de l’Autre, l’indifférence à la vie humaine. Seule compte à ses yeux, la célébration narcissique de soi. La jouissance absolue du pouvoir.

Dans le genre, l’Afrique a eu Jean-Bedel Bokassa et Idi Amin Dada. Ces deux avaient un point commun : une insatiable appétence pour l’exercice  tyrannique du pouvoir, qui  les poussait à des actions monstrueuses allant jusqu’à l’élimination physique de leurs ennemis réels et imaginaires. Ne retrouvez-vous pas semblables impulsions en nos terres, où le poison, les « seringues », le sang des crimes rituels assouvissent la boulimie d’un chef porté par une irrépressible volonté de puissance se traduisant tantôt par un consumérisme démentiel : collection de voitures de luxe, achats frénétiques de biens immobiliers à l’étranger, prise de participation dans toutes les grandes entreprises qui opèrent au Gabon comme l’a bien montré un article paru dans le journal en ligne Médiapart, mise en scène spectaculaire de son Ego démesuré par des forums dispendieux qui n’apportent rien au Pays. Cette folie gargantuesque voue à la haine et à la destruction tous ceux qui tentent de la réfréner.

Pierre-Claver Zeng, un de nos brillants artistes, homme politique courageux, a connu lui aussi en 2010 une fin prématurée, foudroyé en quelques semaines par la « maladie ». Point de symptômes ni signes précurseurs. De retour d’un footing, sport qu’il pratiquait au quotidien, il a commencé à ressentir des douleurs à l’abdomen avant d’être terrassé.

Pierre-Claver Zeng et André Mba Obame. Deux personnalités charismatiques issues d’une ethnie vouée aux gémonies. Il n’y a que les idiots pour se méprendre sur la nomination des premiers ministres fang. Toutes ces nominations, de Léon Mebiame Me Mba à Daniel Ona Ondo, relèvent d’un simple habillage, d’une façade, d’un jeu cosmétique consistant à placer quelques marionnettes et sous-fifres sans pouvoir véritable à la tête du gouvernement.

Il n’y a pas longtemps, Albert Ondo Ossa, un des meilleurs économistes du Gabon, a échappé à un assassinat dans la rue. L’acte aurait pu être revendiqué par ce quidam qui se trouve être  un des conseillers en communication du monarque. L’individu en question, sans qu’il soit inquiété le moins du monde, « vouvouzélise » sa haine ethnique à travers les réseaux sociaux où, suite à des défections politiques dans le nord du pays, il a appelé à l’extermination des Fang. En 2012, le magazine Jeune Afrique a consacré une couverture à ce peuple (« Afrique centrale : bienvenue chez les Fangs »). L’exécutif gabonais, par le biais de son porte-voix, s’en était offusqué parce que le reportage, supposé avoir été commandité par les ennemis de la monarchie, cherchait à y attiser les antagonismes ethniques. Dans une vidéo disponible sur internet, la même ligne d’argumentation est développée par le journaliste Francis Sala Ngoua Beaud pour expliquer sa rupture avec Mba Obame, dont il accusait de vouloir mettre le pays à feu et à sang en cas de défaite électorale. L’unique moyen de prévenir l’apocalypse ne revenait-il pas à écarter l’apprenti-sorcier ? Par toutes les voies possibles. Maintenant que c’est fait, le clan des vainqueurs verse des larmes. Non, il n’a pas persécuté et travaillé à la disparition du fauteur de troubles. Qu’il est facile d’enterrer la hache de guerre lorsque l’ennemi a été abattu ! Les vainqueurs peuvent alors exulter, triompher tels des vautours autour de leur proie,  se livrer au rituel cynique d’épanchements émotionnels en saluant la mémoire d’un « frère », d’un « ami », d’un « compagnon politique de 25 ans ». On promet même, si le peuple est sage, d’aller  s’incliner devant la dépouille de la victime pour mieux se délecter de son forfait.

Le 15 avril dernier, le PDG a organisé un pseudo-méga-meeting à Rio. Il est convenu de se demander si cette rencontre et l’annonce, le lendemain, du décès de Mba Obame relevait d’une pure coïncidence. Ceux au pouvoir en étaient déjà certainement informés. La rencontre avait pour but de démontrer la popularité du nouveau chef quand, en réalité, il a fallu des prébendes pour payer et ameuter des figurants. Ce meeting avait probablement été prévu de longue date. Mais sa tenue recouvre une signification assez symbolique. La disparition de l’un signait la renaissance de l’autre. En organisant artificiellement une liesse populaire visant à célébrer l’avènement d’un règne politique parti pour durer, l’on fêtait simultanément la mort de l’ennemi dans le but d’éteindre définitivement son aura. On comprend alors mieux le sens de ces mots prononcés à Rio : « je suis là, et je resterai là, je ne partirai pas ». Vocabulaire triomphateur, bien sûr. Le boulevard est complètement ouvert. Il n’y avait plus d’obstacle en travers de la route menant à 2025. Et au-delà.

L’humanité fait face à une profonde mutation. Les régimes oppresseurs, quoiqu’ils fassent, sont désormais éphémères. La volonté de la majorité, en dépit de la manipulation des masses, ne saurait plus être bafouée ad vitam aeternam. La lutte pour le triomphe de la démocratie et l’avènement d’un Etat de droit au Gabon devrait remobiliser les populations qui refusent l’imposture actuelle. C’est dans la poursuite d’une telle lutte que l’on peut honorer la mémoire d’André Mba Obame et de tous les hommes politiques insidieusement éliminés parce qu’ils incarnaient une alternative au pouvoir des nouveaux sauvages.

© mediapart.fr : Marc Mvé Bekale

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