Migrations : Comment « Boko Haram » a brisé nos vies
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Anciens combattants-porteurs, orphelins, enseignants, juristes, élèves etc., 32.000 ressortissants du nord-est du Nigeria ont trouvé refuge au camp de Minawao, près de Maroua.

Ashatu Moses avait à peine 30 ans, lorsque des membres du groupe islamiste « Boko Haram » ont attaqué la localité de Guna, commune de Gwoza, dans l’Etat de Borno au Nigeria. Elle est de religion chrétienne. Ce dont elle se souvient, très amère, mais toujours avec « foi en Dieu », c’est que son père et sa mère ont été tués lors de cet assaut du 30 novembre 2014, dans la nuit. Les villageois de Guna ont été sortis de leur sommeil par des tirs nourris des djihadistes. Lorsque le village fut ainsi envahi, au moins 52 hommes, femmes et enfants ont pris la direction de Zahdva, la colline qui surplombe Guna.

Lors de la fuite vers la montagne, trois hommes traumatisés et épuisés ont trouvé la mort. Le lendemain, le carnage a été constaté : au moins 30 cadavres ont été retrouvés à travers le village. « Je suis retournée à Guna trois jours après, et le corps de mon père était encore là, en décomposition. J’ai payé des gens pour qu’il soit enterré dignement », raconte Ashatu. A Guna, « Boko Haram » a occupé toutes les maisons. Tous les jeunes du village ont été enrôlés de force. Des hommes et des femmes aussi. « Aujourd’hui, beaucoup de villageois sont encore cachés audessus de Zahdva », témoigne Ashatu, qui est restée en contact avec quelques amis au Nigeria. En décembre 2014, elle a pris le chemin de l’exil, sur un parcours où des vieillards sont morts, à bout de leurs forces.

Accueillie au camp des réfugiés de Minawao, près de Maroua, elle vit sous la tente de fortune, construite par le Haut-commissariat des Nations- Unies pour les réfugiés (Hcr). « Je ne sais pas comment toute cette affaire va se terminer, mais Dieu est le début et la fin de tout. Je veux retourner un jour dans mon pays pour revoir mes élèves, s’ils ne sont pas tous morts», dit-elle. AMinawao, chaque réfugié a une histoire particulière, même si les massacres et la mort reviennent dans chaque récit. Adamu Britus a 16 ans. Lui aussi vient de la commune de Gwoza, au Borno. Il ne se souvient plus de la date exacte de la frappe mortelle effectuée par « Boko Haram » dans son village.

Mais c’était en 2014. « J’ai perdu cinq membres de ma famille. Mon père et ma mère ont été tués. Grace à Dieu, j’ai eu la vie sauve. J’ai marché pendant des jours avec d’autres personnes qui fuyaient. Au moins ici au Cameroun, on peut respirer. Les gens de Boko Haram sont des monstres ». A Minawao, Adamu Britus passe son temps « à ne rien faire ». Par contre, il fait le tour du camp, même s’il n’y a aucun membre de sa famille là-bas. Juste des amis qui lui ont tenu la main, à son arrivée.

« Ils nous servaient du sang »

Au milieu des 32.000 personnes parquées ici sous les tentes à Minawao, il y a des témoins un peu plus particuliers de la guerre qui déchire le nordest du Nigeria. Abraham est l’un de ces « oiseaux rares », au milieu des réfugiés apatrides depuis plusieurs mois. Lorsque Abraham Jean, âgé de 23 ans, est arrivé à son école, un lycée de la commune de Bama, le 29 mai 2014, il a retrouvé ses camarades pour une journée d’études tranquille. Mais c’était sans imaginer ce qui allait se passer dans les premières heures. En effet, les combattants de « Boko Haram » ont frappé et kidnappé 53 collégiens aussitôt conduits vers une destination inconnue. Les soldats nigérians, avertis la veille d’une descente punitive de centaines d’assaillants sur Bama, avaient pris la poudre d’escampette.

Au nombre des otages de « Boko Haram » figurait donc Abraham Jean, originaire du village Bokko Kugile. « Nous avons été obligés de marcher à pieds, pendant plusieurs jours. Ils nous menaçaient avec leurs armes. Nous avions très peur », raconte Abraham. Lors de cette marche forcée vers l’inconnue, le jeune nigérian pensait à tout. A la mort surtout. Avant son enlèvement, Abraham Jean avait déjà été victime des djihadistes. Son père et sa mère ont été tués. Ses cinq frères et deux soeurs aussi. Beaucoup d’autres villageois de Bokko Kugile avaient péri sous les balles des combattants islamistes, tandis que beaucoup d’autres avaient été conduits de force vers des camps d’entraînement. C’est également ce qui est arrivé à Abraham et ses 52 compagnons d’infortune. « Nous avons été conduits au camp de Sambisa. Nous étions souvent enfermés dans des maisons. Puis on nous sortait de là. Surtout quand d’autres chefs venaient là-bas », se souvient-il.

Au camp de Sambisa, Abraham a compté 156 combattants de « Boko Haram », à l’exclusion des 53 otages. « Les Boko Haram nous ont dit qu’ils faisaient le travail de Dieu. Ils ont dit qu’il fallait les aider à faire ce travail qui consiste à tuer. Mais j’ai refusé de verser le sang », dit-il. Du sang, il y en avait au camp de Sambisa. « Ils nous servaient une boisson rouge à boire. C’était du sang. Nous avons refusé de boire, et ils nous ont bien battus. Eux, ils buvaient du sang sous nos yeux », explique le jeune homme. Dans ses yeux, une rage visible renseigne sur son niveau d’implication dans le « travail » de la nébuleuse islamiste, même s’il se défend d’avoir trempé dans le crime. « On nous avait remis des armes, sans aucun entraînement. Je n’ai jamais tiré un seul coup de feu. On portait les bagages des combattants ».

Il n’y a pas une version contraire de ces récits, et il faut peut-être y croire. Abraham en sait aussi un peu plus sur les mouvements des combattants qui agressent le Nigéria. Il a passé tout de même trois bons mois, en captivité. « Chacun d’eux disait qu’il est le chef de Boko Haram. Ils avaient chacun une longue barbe. Dans la forêt de Sambisa où nous étions, les combattants avaient des abris renforcés. Je n’ai jamais vu Aboubakar Shekau, et chaque chef disait qu’il est Shekau », affirme le jeune homme. Le 5 août 2014, le cours de sa vie va de nouveau changer. « La veille, une voix m’a dit de partir. Le lendemain, j’ai écouté cette voix. J’ai pris la fuite. Lorsque je me suis retrouvé seul dans la brousse, sur la montagne, je n’en revenais plus. J’étais sauvé. J’ai marché pendant des jours, pour me retrouver finalement sur le sol du Cameroun ».

Le 26 décembre 2014, Abraham Jean est arrivé au camp de Minawao. Là-bas, il a retrouvé Mary, une jeune fille de Gwoche, village limitrophe de Bokko Kugile. Aujourd’hui, elle s’appelle Mary Abraham, après « un mariage » à deux, sans témoins. Nous n’avons pas parlé à Mary, fatiguée. « Elle est souffrante, mais grâce à Dieu, elle va se remettre », dit Abraham, très optimiste.  

Insécurité

Au camp des réfugiés de Minawao, on n’est pas comme chez soi. Au 4 juillet 2014, il y avait 800 ressortissants nigérians ici. Aujourd’hui, ils sont un peu plus de 32.000. Sous les tentes en polyéthylène installées sur plusieurs hectares, la chaleur de la saison sèche bat tous les records. Il faut survivre. Et pour cela, des femmes, des enfants, des vieillards se débrouillent comme ils peuvent. On fait du petit commerce, en vendant des dattes maigres, des brindilles de bois, des fruits quelconques, du sel, du piment, des boites d’allumettes etc. Ceux qui avaient pris l’habitude du grand luxe urbain au Nigeria, iront certainement chercher ailleurs. Encore que l’argent manque le plus. Isaac Luka, président des réfugiés de Minawao craint le pire dans les mois à venir.

« Au début, il y avait de l’espace et de la nourriture pour 17.000-18.000 personnes. Aujourd’hui il y a plus de 32.000 personnes au camp. On avait chacun la ration d’un mois. Elle est maintenant réduite à deux semaines », explique-t-il, affirmant au passage que 43% des personnes vivant dans le camp souffrent de malnutrition. Originaire de Barawa, village de Gwoza, Etat du Borno, cet ancien employé d’un cabinet judiciaire fait partie des premières victimes de « Boko Haram ». Il parle sous le regard d’Andrew John, 44 ans, également originaire de Gwoza. C’est un homme aujourd’hui amaigri qui parle de sa richesse au passé, lorsqu’il faisait encore bon vivre dans le nord-est nigérian, ravagé par la guerre et les tueries. Andrew a failli perdre son bras brisé et Dieu en a voulu autrement. Son jeune frère, moins chanceux, a été tué. « Si la paix revient dans mon pays, je vais aussitôt rentrer là-bas pour tout recommencer », dit-il. C’est le voeu de tous les autres déplacés de Minawao qui ne rêvent que d’une chose : la paix au Nigeria.

Dans ce vaste camp de personnes en détresse, il y a aussi quelques infiltrés, qui ont réussi à se glisser au milieu des victimes de guerre en fuite. Les forces de sécurité camerounaises reconnaissent qu’il y a « des intrus » dans le groupe. Courant octobre 2014, neuf réfugiés ont été interpellés et conduits vers une destination inconnue, par des agents camerounais. « C’est pour des raisons de sécurité », reconnait Isaac Luka. Le président des réfugiés nigérians en appelle à la solidarité internationale. Entre-temps, les réfugiés se tiennent la main. Depuis leur arrivée ici, le Haut-commissariat du Nigeria à Yaoundé leur a rendu visite une seule fois, avec nourriture et médicaments. C’était en 2014.  Depuis lors, plus rien.

© Le Jour : Denis Nkwebo

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