Le Niger désarmé face à Boko Haram
NIGER :: SOCIETE

Le Niger désarmé face à Boko Haram

Attaqué par la secte islamiste, le pays, faute de soldats aguerris, ne doit son salut dans le sud-est qu’à l’armée tchadienne.

Le Niger a été réveillé de son sommeil de somnambule totalement désorienté, le 6 février, par des tirs de mortiers dans la région de Diffa, dans l’extrême Sud-Est. C’est par les seuls communiqués de l’armée que les Nigériens suivent un conflit à huis clos contre un ennemi invisible. Les premières nouvelles provenaient alors de la région deDiffa, et notamment de la ville de Bosso, où se déroulait un carnage. Selon deux sources sécuritaires, dont une non nigérienne, les Tchadiens positionnés côtéNiger ont repoussé une cohorte de jeunes de BokoHaram, «sous-équipés,maigres, pas plus de 15 ans, une arme pour trois et visiblement affamés, les corps recouverts de grisgris », regroupés derrière un adulte criant «Allah akbar».

Les jeunes soldats nigériens, totalement inexpérimentés, selon les mêmes sources, ont paniqué devant cette menace «animiste», qui «en appelait aussi à Dieu». Les Tchadiens, en appui derrière les Nigériens et fraîchement sortis d’une «formation express », ont alors haché cette centaine de très jeunes combattants «à la mitrailleuse lourde et à coups de canons sans recul». Comme toujours en pareille situation, impossible d’avoir un décompte de cette riposte, qualifiée de «boucherie» par un officier nigérien. En début de semaine, l’armée évoquait le chiffre de «109 corps». Un médecin de l’Organisation mondiale de la santé confiait à Libération que les cadavres «ont été jetés dans la rivière Komadougou Yobé et qu’ils représentent “un risque élevé” d’épidémie de choléra». Ce proche du président Issoufou confie: «Sans le Tchad, ce 6 février, Bosso tombait.»

« CHAIR À CANON »

L’armée du Niger s’est mise dès les premiers combats début février en ordre de bataille en publiant des communiqués circonstanciés où il était question de chasse «aux cellules dormantes», d’attentats «déjoués», de ceintures d’explosifs sur «des enfants et des femmes». Le dernier date de samedi. Selon un témoignage recueilli à Niamey lundi, «ce sont des jeunes filles, dont une originaire de Bosso, toutes nigériennes et ayant vécu côté Nigeria ces derniers mois». Le colonel Moustapha Ledru, en charge de la communication de la Défense, tonnait : «Nous mettrons le nombre d’hommes qu’il faut sur zone et [prendrons] le temps qu’il faudra.» Mais, du côté des forces nigériennes, au nombre de 4000 selon les officiels, une source militaire positionnée sur la zone du lac Tchad juge ce chiffre totalement «exagéré».

D’abord, les Tchadiens engagés, notamment côté Cameroun, ont été pris à revers à Gamboru il y a douze jours et n’ont pas vu «l’encerclement venir. Ils sont extrêmement prudents et c’est nouveau car, d’habitude, ils foncent dans le tas». Quant aux forces du Niger, «elles sont à l’os, comme celles du Cameroun». Autre élément provenant des renseignements intérieurs, Boko Haram a mis en première ligne sa «chair à canon», mais n’a engagé «ni véhicules ni matériel lourd». Les Tchadiens sont convaincus qu’il existe «un commandement cohérent de Boko Haram et qui a l’avantage du terrain». Plus grave, les renseignements nigérians refusent de correspondre avec leurs homologues nigériens depuis trois jours.

En effet, la semaine passée, le ministre de la Défense du Niger s’est gaussé «des soldats nigérians qui courent devant l’ennemi». La réponse de l’état-major nigérian a été cinglante: «Nous n’avons pas à recevoir de leçon d’un pays félon et pauvre. Nous vaincrons !» Le chercheur et enseignant en sciences politiques Mahaman Tidjani Alou avance que «si le président Issoufou n’avait pas investi dans le budget de la Défense, Diffa serait tombé». Mais certains milieux proches de l’oppositions’expliquent mal comment les hélicoptères Gazelle ne volent toujours pas. Mardi matin à Niamey, une manifestation était organisée en présence d’Issoufou en soutien à l’armée. Le mot d’ordre était de «marcher pour soutenir les populations de Diffa et les Forces de défense et de sécurité [l’armée nigérienne, ndlr]».

« MIRACULEUX ».

La situation gratte les plaies politiques qui ne se sont pas cicatrisées, le pouvoir cherchant «à concasser» l’opposition, selon l’expression que cette dernière a trouvée. «Cette guerre intervient dans un contexte de rapports tendus et dans cette ambiance de renversement de majorité», assure le chercheur. Voire du pouvoir? Selon un observateur, «Issoufou vit dans la hantise d’un coup d’Etat et pense que François Hollande viendra le sortir d’affaire. Le Président vit sous cloche, entouré de courtisans.» Pour Mahaman Tidjani Alou, «c’est miraculeux que tout tienne encore.

Depuis la chute de Blaise [Compaoré, ndlr], le Niger est, avec le Bénin, le dernier pôle de stabilité dans la sous-région.» Et il y a l’exil intérieur, vécu par les populations qui ont quitté «le front» de Bosso et Diffa. Ces déplacés seraient de l’ordre de 5000 dans la région de Zinder (à l’est de Bosso). Le patron du Haut Commissariat aux réfugiés à Niamey, Karl Steinacker, réputé pour sa grande efficacité, n’élude pas les problèmes: «L’incroyable vitesse à laquelle ça s’est déroulé nous a surpris.»

A Niamey, l’archevêque Michel Cartatéguy, encore secoué par les incendies de ses «six églises», cherche les clés du mystère de ces actes antichrétiens: «Ce qui m’a mis par terre, c’est que des frères musulmans qui vivaient avec nous, dans la même cour de l’église, mais qui ont dû être retournés par je ne sais quel prédicateur, ont applaudi à la destruction des bâtiments.»

© Libération : JEAN LOUIS LE TOUZET Envoyé spécial àNiamey (Niger)

Lire aussi dans la rubrique SOCIETE

Les + récents

partenaire

Camer.be sur tiktok

Vidéo de la semaine

évènement

Camer.be sur tiktok

Vidéo


L'actualité en vidéo