Je suis camerounais, je suis Energie noire et obscure
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Je suis camerounais, je suis Energie noire et obscure :: CAMEROON

Jeune, j’ai vécu à Nanga-Eboko, je me souviens que cette ville qui n’avait pas encore la chance d’appartenir au giron présidentiel (allez dire !) était une espèce d’agglomération poussiéreuse enclavée où en saison sèche la couche de poussière pouvait atteindre plusieurs centimètres avec ce que cela avait comme conséquences sur la santé et l’hygiène. Je me souviens de ma première attaque de conjonctivite, souvenir douloureux…

Une polémique naquit durant ce contexte de sous-développement extrême. Il se disait dans le kongossa que la municipalité avait décidé d’électrifier un certain axe, mais que les sorciers du coin réfractaires à toute forme de développement s’y opposaient et menaient des actes de guérilla sorcière dans le but d’empêcher l’aboutissement du projet. Surpris, j’ai demandé à mes cousins en quoi l’électrification d’une zone pouvait mettre à mal la pratique de la sorcellerie… Je me suis entendu répondre que le passage des lignes de haute ou moyenne tension provoquait des interférences qui empêchaient les avions nocturnes, oui les avions des sorciers de décoller ou les faisaient se crasher en plein vol.

Woye ! J’ai fermé ma bouche. Nanga étant une de ces villes où ne pas croire à la sorcellerie pouvait vous faire passer devant le tribunal inquisitoire de la société. Bref, comme je l’ai dit, j’ai juste fermé ma bouche.

Mais ces derniers temps, mes croyances ou non-croyances en la matière sont sérieusement mises à mal. Oui oui ! quand je regarde les faits et gestes de notre société de fourniture d’électricité, mes frères, je suis convaincu que la sorcellerie existe.

Issue des multiples viols de notre secteur de l’électricité, viols qui lui font à chaque fois changer de nom pour que nous oubliions, Eneo que j’ai rebaptisée avec amour Energie noire et obscure est presque toujours sur le devant de l’actualité mais pas pour les raisons que l’on croit.

La spécialité de cette entreprise semble être de faire parler d’elle dans tous les domaines, sauf celui auquel elle est dévolue. Nous autres camerounais, pauvres naïfs avons cru que la fin de AES Sonel signifiait la fin de l’obscurité. Que non!

La réalité est là, bel et bien palpable : aujourd’hui, autant, sinon pire qu’avant, Eneo a repris le flambeau de « clignotant officiel de la République ».

Avec Eneo, la vie est une espèce de suspense perpétuel dans lequel les moindres tâches du quotidien se font la peur au ventre : travailler, se relaxer, se marier, boire une bière, regarder un match de foot. Tchak ! Tel un djinn malfaisant Eneo nous rappelle que noir c’est noir et qu’il est illusoire de vouloir le contredire.

Même la population de notre Yaoundé qui criait sa joie après chaque retour de l’électricité a cessé de hurler. Oui la nouvelle donne de coupure voudrait que chaque retour soit momentané, suivi de très près par une autre coupure plus douloureuse que la précédente du fait des espoirs vains qu’elle a suscités. L’alternance tant réclamée revue et corrigée. On parle bien de courant alternatif non ?

Les équipes de Eneo sont très performantes hein ? Comment ne pas saluer leur équipe de communication qui fait preuve d’un dynamisme sans pareil. Au milieu des blackouts prolongés, Eneo a décidé de vraiment communiquer.

Réunion de service

Equipe de production : les gars nous sommes dépassés. Nous ne pouvons plus fournir de l’électricité en continu.

Moi (caché sous une table) : mais démissionnez même non.

Equipe de communication : mouf ! on démissionne au Cameroun ? Bon les gars ! On va vous aider en prévenant les gens. Nous allons désormais balancer des bulletins et avis de coupure sur notre site

Moi : mais… on va lire ça comment s’il n’ya pas de courant ?

Equipe de communication : Mouf ! Il ya aussi les SMS non ?

Moi (caché dans un placard) : mais… on va recharger les télés…

Equipe de production : Mouf ! c’est qui ça même ? Bravo la com’ ! C’est vrai que le gars qui appuie sur notre interrupteur de coupure a déjà chopé un panaris, mais c’est bon, on vous fera remonter l’info chaque fois c’est-à-dire tous les jours.

C’est ainsi que, bien que nous marchions dans la vallée de l’obscurité et de la transpiration, nous sommes constamment prévenus par des avis de coupure. Nos amis si professionnels sont même allés plus loin. Sur leur page Easy Light, ils en sont à demander aux abonnés de choisir le jour où ils voudraient être privés d’électricité. C’est important pour les mariages et autres célébrations non ? Pour le travail quotidien ? Bof ! On s’en fout ! l’Emergence, c’est en 2035 hein ? Que nous travaillions ou pas.

Oh oui ! Eneo a compris les limites de la démocratie et nous impose la dictature éclairée : plus besoin de faire le choix difficile entre la peste et le choléra. Nous vous offrons Ebola, mais c’est à vous de nous dire quand vous voulez qu’on vous l’inocule.

Toujours dans sa quête de buzz négatif, Eneo nous gratifie en ce moment d’une actualité croustillante : un article du média Le Monde Afrique nous apprenait récemment que L’unique millionnaire camerounaise du scandale HSBC est « une de ces étranges « femmes au foyer ». Lydie est l’épouse d’un haut responsable du fournisseur d’électricité AES Sonel, devenu Eneo Cameroon. Alors que les Camerounais subissent toujours les fréquents délestages, Lydie dispose de trois millions de dollars déposés sur son compte ouvert en juillet 2002 ».
J’ai entendu les gens hurler au loup, mais soyons réalistes. Il s’agit d’une femme visionnaire. Si mon épouse bossait dans une entreprise qui coupe le courant aux gens plus qu’elle n’en fournit, dans quoi j’investirais ? Les bougies ! Les groupes électrogènes chinois, au pire, le solaire ! Mais bon, vendre les bougies pour trois millions de dollars… Attendons que la justice, pardon, son substitut l’Epervier se penche sur son cas. Mais comme l’oiseau d’Etoudi semble fonctionner aux piles ces derniers temps, il va falloir attendre longtemps.

Au moins, nous sommes heureux de savoir que tout va bien du côté d’Eneo, car ses employés semblent conscients du sort d’envoûtement « electricitus mediocritus »  qui les lie ont opéré une « Retraite stratégique de la Direction marketing communication d’Eneo Cameroon au Centre spirituel Jean-Paul 2 de PK 21 à Douala 5e » la semaine dernière.

Même si le terme « Retraite stratégique » m’a fait penser à une débandade en mode « Nous ne sommes plus là! », j’ai quand même apprécié cette initiative. Nous sommes des Bantous non et quand quelqu’un te dépasse tu portes son sac. Quand ton travail te dépasse, tu portes tes pieds et tu pries. C’est mieux que d’aller chez les marabouts non ? C’est mieux que d’accuser le président non ? C’est mieux que de s’accuser soi-même non ?

Donc quand j’ai vu nos amis d’Eneo engoncés dans leurs tee-shirts vert malchance accepter de se « couper de tout pendant 4 jours » (en même temps ce sont des experts en coupure) je me suis dit woye ! Affaire d’électricité, seul Dieu nous sauvera.

Bon, ça c’est en théorie hein, car parmi les engagements de ceux que j’ai pu lire, nulle part je n’ai vu « travailler à ce que les délestages se terminent ». Forcément, vu que dans le discours officiel ils n’existent plus.

C’est la vie hein ? Coupez tout, Dieu illuminera les siens. Mais je vous le répète mes amis, en 2015 il est plus facile pour le Nigeria de vaincre Boko Haram en six mois qu’à Eneo de fournir l’électricité en continu pendant six heures dans mon quartier. Ce n’est pas la sorcellerie, c’est parole d’Evangile.

Amen !

© kongossa.mondoblog.org : Florian Ngimbis

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