La leçon du peuple grec aux citoyens camerounais par Dr Vincent-Sosthène FOUDA
CAMEROUN :: POINT DE VUE

La Leçon Du Peuple Grec Aux Citoyens Camerounais Par Dr Vincent-Sosthène Fouda :: Cameroon

Ce n’est pas par jeu de mot que je parle de leçon du peuple grec aux citoyens camerounais. Le citoyen est celui qui jouit des droits de la cité. Ils lui sont purement et simplement conférés. Le peuple quant à lui, est cette réalité, cette entité à géométrie variable mais doué d’une remarquable permanence à travers les siècles. Oui, Rosanvallon fut obligé de reconnaître ce caractère réel au peuple !

Les grecs, lacérés, humiliés, dépecés, ont accepté au moment où l’on s’y attendait le moins de rompre avec l’obéissance aux politiques européennes par la voie des urnes. Ils ont utilisé ce qui leur reste de fierté pour dire non et ainsi s’assumer comme peuple, sans rompre avec l’Europe à laquelle ils appartiennent. Je lis depuis une semaine des analyses qui parlent de « l’irresponsabilité » grecque, de l’impossible réussite de Syriza, et ces analystes loin du théâtre des opérations appellent les grecs à revenir à de meilleurs sentiments en suivant, non, en obéissant à la sagesse édictée pour eux par Bruxelles.

Les grecs ont justement donné une leçon de responsabilité à l’Europe toute entière en désavouant les partis « pro-européens », ceux-là même qui disaient travailler pour les grecs malgré les grecs. Ça personne ne peut le nier aujourd’hui ! Jean-Claude Juncker avant le scrutin avait clairement exprimé son désir de voir des « têtes connues » c’est-à-dire le Pasok et la Nouvelle Démocratie qui en 2009, représentaient 77% de l’électorat et qui, en 2012 il me semble, mobilisaient encore 42% du même électorat. Mais voilà, le peuple variable, irréel mais toujours présent quand il le faut en a décidé autrement. Il a décidé par et dans les urnes; c’est cela la démocratie. C'est la première leçon, peut-être la plus sublime, du peuple grec à ses partenaires européens : celle de croire dans un changement possible par le processus démocratique. Cet espoir est d'autant plus remarquable que l'Europe avait tout fait pour neutraliser ladite démocratie.

C’est une leçon qui s’adresse à nous citoyens camerounais, afin de passer du statut reçu sans aucun effort à celui de peuple, en prenant notre destin en main ! Ce destin va du collectif pour un rayonnement du particulier et non le contraire, c’est-à-dire du particulier vers le collectif. Le sort d’un seul n’est rien face au devenir du peuple, de la masse. Les grecs nous disent ce ne sont pas 300 personnes manifestant pour des intérêts particuliers devant le Ministère de l’économie et des finances à Yaoundé qui importent ; ce qui importe c’est lorsque ces mêmes 300 manifestants peuvent oublier leur sort pour rejoindre le destin collectif en épousant le combat de la ménagère, de la jeune fille qui perd son bébé dans une maternité, du vendeur à la sauvette qui se voit brutalisé par la police municipale à Douala. C’est cette émotion collective que les grecs ont dégagé, ont exprimé pour retrouver leur dignité de peuple pour enfin se sentir grecs dans le particulier.

Echec de la stratégie de contournement de la démocratie de l'UE

Ce que le peuple grec a fait par son choix, c’est de briser toutes les manœuvres des institutions européennes qui depuis 5 ans se moquent du choix des électeurs. Comme c’est le cas dans notre pays le Cameroun et plus largement en Afrique noire. Ces manœuvres, ont été innombrables : les politiques économiques imposées par la troïka à des gouvernements élus, les chantages de la BCE à des parlements et à des gouvernements comme ceux de Chypre et de Irlande, les « consensus » entre les grands partis exigés comme en Grèce en 2012 ou, avant même, au Portugal et en Espagne, les pressions et les intimidations enfin lors des campagnes électorales comme les Grecs viennent encore d'en connaître. A toi qui me lis, cela ne te rappelle rien ?

Le choix de la démocratie

Les grecs ont fait parler la rue tout au long des années 2010 et 2012. (Quand nous, nous sommes obligés de manifester dans les chambres et que cette imposture est vendue au public par les journaux qu’on aurait pu qualifier hier de sérieux !)

Les grecs ont montré qu’ils croient en l’Europe et que celle-ci peut changer de politique justement par la puissance des urnes. Il n’y a pas un seul camerounais qui ne croit pas au Cameroun, mais nous devons aller plus loin : croire au Cameroun et décider de changer sa politique en tordant le cou aux mensonges qui nous sont imposés depuis des années. Ces mensonges qui nous font croire que nous ne sommes rien sans Biya et les siens alors même que leur destin personnel importe très peu dans l’histoire de notre Nation, dans l’histoire des Nations. Um Nyobè, André Marie Mbida, Ahmadou Ahidjo sont passés et le Cameroun est resté debout. Nous pouvons manifester sans casser comme nous pouvons ainsi que je le disais dans mon message de vœux à la Nation le 31 janvier 2014, renverser le gouvernement du RDPC sans détruire le Cameroun et ses institutions.

Si l’Europe ne prend pas à la légère la leçon grecque alors nous Camerounais, pouvons et devons-nous engager mieux pour faire bouger les frontières et déplacer la chape de plomb qui nous enserre chaque jour un peu plus au point de nous laisser chaque jour un peu plus agonisants ! Que peut un homme qui agonise, que peut un peuple qui agonise ?

Un pays humilié et ravagé

Qui a oublié les humiliations des premiers ministres grecs, obligés de se dédire, de démissionner ou tout simplement démissionnés par Bruxelles ? Qu'on se souvienne des titres des journaux allemands en 2010-2012 et même de plusieurs journaux français, de ces articles d'alors décrivant une population paresseuse, indolente et corrompue malgré les statistiques qui disaient le contraire. Aucun pays n'a plus souffert dans l'UE que celui-ci au cours des cinq dernières années. Son économie a subi un choc digne d'une guerre, la politique d'austérité a accéléré la paupérisation et fait grossir la dette. Aucun autre pays n'a autant été méprisé. Et malgré cela, les Grecs ne sont pas tombés dans la facilité de la xénophobie et de la haine de l'immigré. Toi qui me lis, ça ne te rappelle rien ? Des noms d’oiseaux que la presse bien-pensante du Cameroun donne à ceux qui osent encore penser autrement ? Toi qui me lis, cela ne te rappelle rien ? Le président Biya traitant tout le monde de terroriste tout simplement parce qu’on dit qu’on peut faire mieux sans lui ? Le régime du RDPC a intellectualisé la haine de l’autre, mais nous, Camerounais pouvons dire non, nous sommes capables de dire non ! C’est possible et le mois de février nous donne l’occasion de le faire.

Le refus de l'exclusion et de la xénophobie

Loin de moi l’idée de faire de la Grèce le Cameroun et des Grecs des Camerounais, bien que l’histoire de la Grèce et du Cameroun soit intimement liées. Si nécessaire nous y reviendrons. Mais regardons froidement les choses aujourd’hui. Le parti néo-nazi grec est au parlement depuis 2012 et dimanche dernier il a fait du surplace. Je ne peux donc pas dire que les grecs soient devenus xénophobes. Quand on a suivi la campagne électorale c’est plus le parti pro-européen du premier ministre sortant soutenu par l’Union Européenne Antonis Samaras qui a joué sur la peur de l’étranger. C'est une leçon donnée à ceux qui, au nord de l'Europe, en France, au Royaume-Uni, en Italie et même en Allemagne, confondent la critique des politiques européennes avec la stigmatisation des immigrés. Mais là encore, les dirigeants européens devraient se féliciter de ne pas devoir faire face dans quelques semaines à un dirigeant de l'extrême-droite en Grèce. Car, compte tenu de ce que l'Europe a infligé à ce pays, c'eût été logique. Mais là aussi le peuple grec a fait preuve d'une responsabilité exemplaire.

Toi qui lis, cela ne te rappelle pas certaines Une des journaux camerounais ? « Les étrangers tranchent la main d’un commissaire de police camerounais à Garoua-Boulaï » des images qui tournent dans les réseaux sociaux dénonçant les réfugiés centrafricains comme s’ils avaient demandé à être déplacés, comme s’ils portent en eux les malheurs et les misères du citoyen camerounais ! Mais que non ! Encore une manœuvre du pouvoir de Yaoundé, celui-là même qui noie la jeunesse dans l’alcool et ouvre les chaînes de télévision nationale et internationale à Delor Magellan Kamseu Kamgaing pour dire que « la bière est un élément majeur dans la stabilité du pays » !

La leçon économique

Les Grecs ont donné une leçon d’économie au monde de la finance et à l’Europe. Non il n’existe pas qu’une seule politique économique possible. Nous le disions déjà à l’économiste en chef du Cameroun le Prof Tsafack Nanfosso dans une longue tribune publiée ici (le droit de réponse à son entretien nous ayant été refusé dans Cameroon Tribune) http://www.camer.be/35798/30:27/cameroun-lettre-ouverte-dun-politologue-aux-economistes-du-regime-qui-enterrent-le-cameroun-et-dissolvent-le-lien-social-cameroon.html

Les grecs ont témoigné de l'absurdité de la politique menée depuis 2010 : contracter de la dette pour rembourser de la dette, abaisser le niveau de vie pour améliorer une compétitivité fictive dans un pays qui n'a pas les structures pour exporter, couper aveuglément dans les dépenses publiques pour atteindre des objectifs budgétaires inféconds pour l'économie. Dans le cas grec, les instances de l'UE ont défendu les vieux pouvoirs qui avaient été à l'origine des problèmes du pays, elles se sont appuyées sur eux pour mener un « assainissement » qui ne s'est jamais attaqué à la structure oligarchique de la société hellénique, mais l'a même renforcé. Les Grecs demandent donc, par le vote de dimanche dernier, une politique qui assume cet échec et répare en partie ses effets : un plan de lutte contre la pauvreté, un démantèlement de l'oligarchie, des investissements européens et une restructuration de la dette. Il ne s'agit pas d'un nouveau caprice de « mauvais élève » comme la presse allemande aura tôt fait dès lundi de le qualifier tout en le fustigeant. Non, car les Grecs ont été fort bons élèves et ont montré aux générations futures l'absurdité de cette politique. Ce que les Grecs exigent ce soir, c'est que l'Europe répare ce qu'elle a brisé, et surtout qu’elle assume sa part du coût de la réparation.

Toi qui lis, cela ne te rappelle rien ? Nous nous endettons chaque jour un peu plus pour rembourser la dette, pendant que la minorité régnante marie ses filles et fils à coup de millions ! Comble de l’insolence on estime à 460 millions le budget pour l’organisation des obsèques de madame Françoise Foning maire RDPC de Douala 5ème. A lire sur la page de la journaliste bloggeuse Angie Forbin

Assumer et changer.

Beaucoup, en France comme en Allemagne s'alarment du coût d'une restructuration de la dette hellénique pour les finances publiques de leur pays respectif. Mais ce coût est logique : il est le fruit de la décision prise en 2010 de ne pas, à ce moment-là, restructurer la dette grecque et de préférer faire un montage de cavalerie financière en comptant sur des faux calculs (la sous-estimation des multiplicateurs budgétaires) et des théories erronées (le retour de la confiance par l'austérité). En « prêtant » à la Grèce pour qu'elle rembourse ses créanciers, les Etats de la zone

Euro ont fait preuve d'une confiance démesurée dans leurs modèles économiques, d'une hubris, aurait-on dit dans l'ancienne tragédie grecque. Or, l'hubris se paie toujours. La restructuration de la dette grecque sera le prix de cette hubris. Là encore, les Grecs appellent à la responsabilité. Mais aussi au réveil, cinq ans plus tard, c'est en effet encore les mêmes logiques qui dominent à Bruxelles et à Berlin. Le peuple grec demande à l'Europe de changer de paradigme pour le bien de ses peuples. De se montrer plus souple, plus flexible dans ses politiques économiques. De réfléchir moins idéologiquement.

Toi qui me lis, cela ne te rappelle rien ? La politique d’austérité est une politique de promesses éternelles d’un lendemain meilleur. Jeu auquel le président Biya excelle au point de faire que chaque Camerounais soit endetté aujourd’hui d’une part de la dette de notre pays, dette qui s’élève à plus de 3,5 millions d’euros et que personne ne pourra jamais rembourser. Mais ce n’est pas là le hic ; Le hic se situe au niveau de l’incapacité que nous avons avec cette politique à aspirer seulement au bonheur, à y penser tout simplement car la montagne est haute, la pente trop abrupte…

Nous pouvons faire mieux sans eux

Le peuple grec nous donne une leçon d’assumation et de construction de soi et de son destin. Il nous dit que nous pouvons sortir des chaînes de la citoyenneté pour être un peuple dans son inexistence ! Nous ne parlons pas la même langue, nous vivons dans les villages et les villes qui n’ont pas les mêmes besoins mais nous sommes embarqués sur le même bateau qui chavire ! Que faire ? Nous ne devons pas chercher qui est le capitaine du bateau qui coule, nous devons prendre le gouvernail et mener tout le monde à quai ! 2015, c’est l’année où nous devons débarquer ensemble le gouvernement du RDPC parce qu’il nous mène vers un suicide collectif, parce qu’il est un suicide collectif ! Nous devons inventer la réponse sociale à la détresse de notre peuple sinon nous risquons une euthanasie collective. La barbarie civilisée du régime RDPC est là les yeux grands ouverts à nous regarder, à nous narguer ; A nous de la contourner, de lui montrer que nous voulons que les choses changent, bougent, et les urnes peuvent nous y aider, nous pouvons en faire le choix, que nous pouvons faire sans eux, pour produire un peuple grand et debout !

© Correspondance : Dr Vincent-Sosthène FOUDA

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