Bandjoun : le feu à l’ombre du baobab
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De 1919 à 2015, la chefferie Bandjoun a brûlé quatre fois : le 22 février 1935, en janvier 1958, le 20 janvier 2004 et le 11 janvier 2015. Ce village aimé par le feu aime aussi les intrigues de palais.

Dans l’après-midi du samedi 17 janvier 2015, le chef supérieur du groupement Bandjoun, Honoré Djomo Kamga a assisté, sur la place des fêtes de Bandjoun, à la cérémonie de remise des dons d’une valeur de 100 000F chacune à 60 étudiants en cycle de recherche terminale. Le Programme d’appui aux doctorants (Pad) est conçu et mis en oeuvre par le député Albert Kouinche, Pdg d’Express Union et surtout à cette occasion, chef de la communauté Bandjoun de Yaoundé. Reclus depuis le 11 janvier dernier, Fô Djomo Kamga y a retrouvé, à la satisfaction des organisateurs, ses homologues de Bayangam et de Batoufam.Au cours de la prière dite  en la circonstance, le curé-doyen de Bandjoun a prié Dieu d’éloigner « les extrémistes » quimettent le pays à feu et à sang et qui sont passés par ce village.

Le chef a passé la matinée à recevoir des délégations de ressortissants de sa communauté, qui viennent « éteindre le feu ». En effet, à Hialà où se trouve son palais, les traces du feu n’ont pas disparu. Le regard vague, un groupe de reines ausculte encore ce matin les murs des maisons brûlées, cherchant à comprendre ce qui s’est vraiment passé. Il y a une forte odeur de brûlé. Les populations continuent de sacrifier à la tradition. « Ça chauffe encore ici », s’écrie une jeune dame venue de Douala avec ses deux enfants, en versant de l’eau sur la cendre. De nombreuses bouteilles vides d’eau minérale, de bidons et de contenants hétéroclites jonchent le sol, preuve de l’afflux des « Todjom » à la chefferie. « Même deux mois après, il y a des gens qui viendront se laver la face ici. C’est un acte qu’on pose pour dire qu’on refuse ce qui s’est passé et fuir la malédiction », explique un serviteur du chef.

Malédiction

Les Todjomqui défilent ces jours à Hialà pour « éteindre le feu » ont une rengaine : « Ce n’est pas bien ce qui nous arrive. Un village qui résout ses problèmes avec le feu est en train de disparaitre ». Quelques notables qui abordent le sujet sous cape sont amers contre la gouvernance de leur roi, Djomo Kamga : « Depuis qu’il est là, il n’a pas montré qu’il est à la tête d’un grand village ». Ils n’oublient pas son accès au trône à la faveur d’une succession tumultueuse, où apparemment il ne se tient pas bien. Parmi les raisins de la colère, il y a même une histoire du foyer Bandjoun deYaoundé dont on dit qu’il aurait manqué de poigne pour s’affranchir de celui que l’on considère toujours comme son tuteur, Victor Fotso. « J’ai vraiment honte à l’idée que maintenant on me salue en évoquant les incendies à répétition dans une chefferie dont je suis notable » déclare DzuTeghom du haut de ses 80 années.

L’enquête ouverte à la suite de l’incendie tarde à livrer ses conclusions. La population n’en attend d’ailleurs rien. Certains ont leurs explications. L’hypothèse d’un courtcircuit est exclue. Mégot de cigarette ? « La case d’où est partie l’incendie n’est ni habitée ni électrifiée. La salle était réservée aux bottes de paille qu’on utilisait pour les travaux de réfection des cases. Les derniers travaux ont eu lieu le jeudi d’avant », résume Ta’tope  Tobù, un notable ayant participé aux réfections faites par les « Djeu »  (secteurs du village). Pour lui, les consultations rituelles permettront de connaître les causes réelles de l’incendie. « La nature va sanctionner les coupables », se console-t-il. Dans la cour, quelques voix font savoir qu’on en veut sûrement à l’actuel chef, parce que pendant les 19 ans de règne controversé de Joseph Ngnié Kamga, la chefferie n’a jamais brûlé. « La place du chef n’est pas menacée, il représente la lignée normale de la succession », se pressent-ils d’ajouter.

Un trésor culturel

Situé dans le département du Koung Khi, le groupement Bandjoun, classé chefferie de premier degré par l’administration, couvre une superficie de 264km² et s’étale sur deux arrondissements : Poumougne etDjebem. La cartographie traditionnelle présente plutôt sept secteurs ou sous-chefferies, les « Jye », eux-mêmes divisés en quartiers. En 2005, la population était estimée à 150 000 âmes, la diaspora incluse. Elle vit de l’agriculture et de l’élevage et pour une petite part, de la chasse, les hippopotames et buffles des berges du Noun étant désormais protégés. Selon Jean Paul Notué, un professeur d’histoire de l’art qui s’est intéressé au patrimoine de cette communauté, les artisans Bandjoun sont d’une extrême polyvalence.

Ils excellent dans la production des masques, des contenants (récipients, pipes, sacs),dumobilier (lits, sièges), des statues, des instruments demusique en bois, enmétal et en ivoire…dont une bonne partie a une valeur sacrée. Dans l’art textile, ils confectionnent un « dze douop » (ndop) original, avec un type de coton mêlé à la surcouture en raphia, une facture des dessins et la broderie des perles. Autant de prouesses qui ont historiquement permis la constitution d’un riche patrimoine et fait de leur musée, l’un des plus visités par les touristes dans la région des grassfields. Royaume soumis au châtiment du feu, une bonne partie des objets d’art fut brûlée lors de la guerre d’indépendance. C’est l’habileté vantée du chef Kamga qui permit de sauver quelques piècesmajeures de ce trésor royal, dont de magnifiques spécimens ont disparu.

Fondée au milieu du 17ème siècle, la chefferie Bandjoun est présentée comme l’une des plus grandes des 103 chefferies Bamiléké, par son poids démographique et son tissu économique. Victor Fotso, André Siaka, André Fotso, Emmanuel Chatué, Albert Kouinche, Emmanuel Fodouop Mbouopda, Noutchougouin, Elie Mbonda, Calvin Foinding, Médard Fogue, Lazare Kaptué, Joseph Towa… sont quelques figures du monde économique, scientifique et politique secrétés par ce village. Dans la géopolitique de l’Ouest Cameroun, Bandjoun doit sa réputation à l’école. Le Père Sourie installe l’église catholique à Petè en 1929. Avec les protestants installés à Mbo, Bandjoun sera, avec Bangangté, le point de départ de l’évangélisation des chefferies voisines.

Les colons y encouragent le peuplement de la rive gauche du Noun, presque vide mais très fertile. L’histoire politique du village est cependant jonchée d’intrigues, de pièges et de retournements inattendus.

Des intrigues successorales à répétition

Lorsque Fotso II, le 11ème roi de la dynastie décède en 1925, il lègue le trône à Bouopda. Les Français qui contrôlent le pays depuis 1919 le soupçonnent de germanophilie et le destituent pendant qu’il est au la’akam [lieu d’intronisation des chefs en pays bamiléké]. Il y est remplacé par son adjoint, Joseph Kamga, qui était traducteur auprès du colon à Bana. Bouopda se réfugie à Mbafam, dans le Haut Nkam, avec des partisans. Kamga règne 50 ans, avec la bénédiction des autorités coloniales et postcoloniales. Il est un allié objectif dans le positionnement d’Ahidjo à la tête du pays et la lutte contre l’Upc. Lorsqu’ilmeurt en 1975, son héritier présomptif s’appelle Joseph Ngnie Kamga, un administrateur  civil. En fonction àYaoundé, son frère, le ministre Fokam Kamga aurait usé de tout son poids pour que ce « fils de Bangangté », sa mère Nono était originaire du Ndé, ne succède pas. Il devient l’adjoint du technicien  d’agriculture Justin Fotue Kamga.

Apparemement, Ngnié Kamga ne digère pas ce camouflet. Il s’investit dans sa carrière et devient préfet de la Mefou. En 1984, Fotue Kamga disparaît dans un accident jugémystérieux à nos jours, aux alentours de Nkongsamba. Il revenait d’un repos médical en France et à Douala, Victor Fotso lui a prêté une Mercedes et un chauffeur pour regagner discrètement le village. Pendant ses obsèques, un autre coup de théâtre se produit. De prétendus émissaires du Président de la République auraient présenté aux notables réunis et sans qu’ils la lisent une lettre intruisant la candidature du préfet. La manoeuvre réussit et voilà l’adjoint d’hier qui triomphe chef aujourd’hui. Il séjourne deux fois au la’akam : une première dans les annales de la chefferie traditionnelle. « Le grillon de Motue a retrouvé son terrier », avait commenté le nouveau chef.

Une frange représentative des Bandjoun l’accuse d’avoir gouverné pendant 19 ans, sous la dictée de l’homme d’affaires Victor Fotso, qui obtient de lui tout ce qu’il veut : les terres, les titres et même le…pouvoir municipal. Hérésie pour certains, il le remplace, sans bruit, à la tête de la commune en 1996. Ils se brouillent quand le chef dénonce son appétit glouton pour la réserve foncière de Togodjo et des « Koung Demsié » (lieux sacrés). Ngnie Kamga meurt le 3 décembre 2003.

Victor Fotso

Sa succession réveille toutes les querelles contenues. Les Bouopda revendiquent le trône de leur aïeul. Devenus grands, les Fotue revendiquent la succession de leur père. Les Ngnié estiment qu’après avoir régné 19 ans, leur père a fait un fils qui peut succéder. Vice-président national du Rdpc, le parti au pouvoir, Ngnié Kamga a réglé sa succession par les voies de droit. Seulement des barrières solides se dressent sur leur chemin. Le 19 décembre 2003, lors des obsèques qui devaient déboucher sur l’arrestation de son successeur, l’avocat Jackson Ngnié Kamga avait solennellement mis en garde tous ceux qui tenteraient de détourner le testament de leur père : «ils devront rencontrer sur leur chemin la race d’homme que les Bandjoun appellent peben [les vrais hommes, ceux qui ont des testicules, ndlr] ». N’empêche, le chef Baleng viendra « imposer » Honoré Djomo Kamga aux Bandjoun le 20 janvier 2004. Fils de Kamga, c’est le troisième frère qui accède au trône. Son choix est encore attribué à Victor Fotso. « Djomo Kamga est son cousin. Ils ont lemême grand’père, KuiMessa’ ». Son avènement fait naturellement des mécontents dans les lignées royales.

Le 24 avril 2004, Honoré Djomo Kamga sort du la’akam. En août, il entrepred une tournée dans tous les quartiers du village. Le 20 janvier 2005, un grave incendie dévore une importance partie de la chefferie. La grande case, « nemo », dont l’importance symbolique et culturelle est légendaire, reconstruite en 2001 en remplacement volontaire d’une autre part en fumée ; le grenier à vivres du roi ; une case d’entrée ; deux cases de sociétés secrètes et un ancien musée servant de réserve au nouveau. Les Bandjoun se mobilisent et en trois ans, ils reconstruisent le « nemo ». En 2009, les journées culturelles Bandjoun, « MsemTodjom », construites autour du savoir-faire des descendants du fondateur Noutchougwin, sont relancées. Elles auront lieu en 2011 et en 2013. Le 11 janvier 2015, un autre incendie brûle 16 cases, un jour où la chefferie grouille de monde. Les funérailles d’un prince ont eu lieu lematin, en présence du chef. Le feu a brûlé la partie de la chefferie qui n’avait pas été touchée en 2005, rappellent les analystes. Comme les autres fois, les Bandjoun sont sûrs que l’incendie est criminel, « l’oeuvre des ennemis de la chefferie ». Mais ces derniers semblent nombreux et peuvent venir de partout.

© Le Jour : Franklin Kamtche

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