Cameroun, Dr Viviane Ondoa Biwole «Les gens ne croient plus au président de la République»
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Cameroun, Dr Viviane Ondoa Biwole «Les gens ne croient plus au président de la République» :: CAMEROON

La carence de confiance dont souffre Paul Biya auprès des Camerounais est un handicap pour l’émergence du Cameroun selon l’universitaire. 
Nous allons dire quelques mots sur ce message du président de la République à la nation dans lequel il rappelle aux Camerounais l’urgence de s’engager dans l’action. Mais vous qui êtes spécialiste du management public, est ce que les Camerounais sont disposés véritablement à se mettre dans le mouvement de l’action ?

Les Camerounais sont disposés,je vais vous prendre quelques indicateurs.Le premier indicateur c’est lorsqu’on voit la mobilisation financière qui a été faite autour de l’emprunt obligataire. On sait bien que c’est la mobilisation de l’épargne locale, on attendait 150 milliards FCFA, on en a eu 153, je pense que c’est un indicateur important. On peut également voir à travers le « Plan d’urgence », l’argent qui a été immobilisé notamment 925 milliards FCFA, toujours une mobilisation de l’épargne locale. Si on prend ces deux indicateurs, on se rend compte qu’au niveau interne, au moins il y cette volonté, cette ambition.

Mais ça c’est au niveau structurel…

Oui, c’est au niveau structurel mais à côté de cela, il faut dire qu’il y a un réel problème de crise de confiance. Lorsqu’on écoute les gens, même lorsqu’on échange avec les agents publics, l’on se rend compte que les gens ne croient plus au président de la République et ça, de mon point de vue, c’est quand même assez grave. Le président de la République ne peut pas tout faire, ne peut pas être à tous les endroits. On a une sorte de rupture de confiance, une sorte de rupture de contacts même entre les agents publics et leurs responsables, entre les usagers et les gestionnaires publics et c’est en cela que le risque est vraiment important que ce soit pour la mise en oeuvre du « Plan d’urgence » que pour la mise en oeuvre du Dsce. Qu’à cela ne tienne, permettez- moi quand même d’espérer parce qu’il y a des changements et des mutations qui sont en cours et nous pensons qu’il y a des indicateurs que le public attend également et que ces mutations puissent ramener la confiance et que les gens puissent effectivement croire..

Mais le problème c’est que vos espoirs n’annulent pas les inquiétudes que l’on a à vous entendre dire ou à observer que les Camerounais ont perdu la foi, la foi en la construction nationale, la foi en la bonne attitude et en le bon geste pour pouvoir promouvoir la croissance.Je n’ai pas envie de dire comme on le dit en ce qui concerne la foi, ce n’est pas de ça qu’il s’agit, ce qu’il faut quand même reconnaitre c’est qu’il y a un effort à faire, je n’ai pas envie d’être pessimiste parce que ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Je crois que le gouvernement, les gens de l’administration publique à laquelle j’appartiens également devraient envoyer un des indicateurs clairs aux usagers. De quoi on besoin les gens ? Les gens ont simplement besoin que leur condition de vie change. On a beau avoir les plans d’urgence, on a beau avoir le Dsce (Document de stratégie pour la croissance et l’emploi) , on a annoncé que nous avons immobilisé des épargnes locales, ce qui est important c’est que demain, dans deux jours, dans un an, dans trois ans, que les gens voient leurs conditions de vie changer. Si je prends le cas des réformes ou des annonces que nous avons jusque-là qui peuvent justifier ces craintes-là, il y a par exemple ce qui s’est passé en 2007 lorsqu’on a mis en place le régime financier. On a dit voilà une révolution, voilà un outil qui va permettre justement d’atteindre certains résultats structurels, huit ans après les gens commencent à être vraiment impatients, les gens veulent voir les fruits de leurs efforts. Il faut dire que les efforts sont quand même faits, il y a des difficultés on n’en doute pas mais c’est aussi un défi pour l’administration publique et le secteur privé parce qu’il faut dire que les efforts devraient être conjoints mais l’administration publique a un grand rôle parce que c’est elle qui impulse l’effort, c’est elle qui régule, c’est elle qui prend les décisions stratégiques et met en place un cadre qui permette au secteur privé de s’exprimer

En clair il y a une rupture entre le dit et le fait, comment faire pour que les deux se rencontrent ?

Mais il faut seulement travailler. Dans le discours du chef de l’Etat à la nation, il a clairement identifié comme principal frein le rythme des réformes, on a beau dire que l’on fait des choses, mais le rythme est trop lent. Je prends un exemple, l’ordonnance numéro 2009, pour revenir au secteur privé, qui vient justement modifier certaines dispositions de la loi de 2002 portant charte des investissements prévoit un ensemble d’organes d’incitation qui permettent souvent au secteur privé de travailler convenablement. Sur huit organes, là nous sommes en 2009, de 2009 à 2015, cinq ans après, sur les huit organes nous n’avons que trois organes qui sont fonctionnels, notamment l’Agence des normes, l’Agence de promotion des investissements et puis le Conseil de régulation et de la compétitivité. On va vous dire qu’il y a quatre textes qui sont en cours élaboration et qu’il y a également un autre qui est en cours d’élaboration. Sur les huit, le terme c’était 2014. Sur les huit, nous sommes en dessous de 50 % de taux de réalisation. En termes de rythme, je crois qu’il y a quand même un coup d’accélérateur et le « Plan d’urgence » vient le montrer. Le président de la République extrait du Dsce certains objectifs dans les sept secteurs et vous dit, dans trois ans je voudrais voir, cette foislà ce n’est pas les populations, il est vrai à travers lui les populations, mais je voudrais voir ceci et cela, c’est simplement pour dire que j’attends moi aussi depuis longtemps.

Et précisément cela est considéré comme un rappel à l’ordre qui ne dit pas son nom, en disant j’avais prescrit des résultats qui ne sont pas atteints…

C’est un acte de chef, et je crois que c’est clair. Je pense que le message également est clair au-delà de ce que dans le cadre du Dsce et d’autres réformes nous avons des agendas et des engagements avec des bailleurs. Là le président de la République a pris ses responsabilités et ce qui est intéressant dans ce « Plan d’urgence », c’est vrai également que vous allez me dire que ça été le cas pour les autres,c’est que nous avons les objectifs qui sont clairs,nous avons les ressources financières qui sont disponibles, quelles raisons auront nous encore de ne pas produire de résultats ?

Là nous n’avons pas les hommes à certains endroits, on n’oserait peut-être Viviane Ondoa.

Je pense que si, si vous me posez la question et que vous me permettez sur vos antennes d’être libre. Je convoque ma liberté d’universitaire, je pense qu’on ne peut ne pas questionner la capacité des gestionnaires à mener certaines activités ce d’autant plus que pour revenir aux actes de gestion simple le premier critère de succès c’est de faire le bon recrutement. Et lorsqu’on voit notre administration publique, l’on se rend compte qu’il y a des outils qui sont utilisés, qui ont peut-être été éprouvés par le passé mais qui pourraient être améliorés. Je prends deux outils que vous connaissez mieux que moi. Le premier outil c’est l’application de l’équilibre régional, moi je pense que, on doit pouvoir avoir la liberté de questionner ces outils, d’en parler franchement, surtout de se rendre compte qu’on ne peut plus faire autrement que de changer. Je prends également un autre outil, c’est l’usage du pouvoir discrétionnaire qui devient arbitraire parce que le pouvoir discrétionnaire est d’abord encadré par la légalité. Et quand on voit ce qui se passe, il y a des choses qui sont faites et qui peuvent effectivement être indexées comme étant sources de disfonctionnements, au moins en ce qui concerne la sélection des gestionnaires publics et tout le monde le sait. Si vous avez suivi le président de la République, il rappelle l’évaluation triennale du Dsce qui a été faite. Dans ce rapport il est clairement rappelé que le choix des gestionnaires publics sur la base des outils utilisés devrait être amélioré. Nous savons que dans l’administration publique nous avons deux modalités, une modalité qui fait appel à candidature pour tous les projets avec la coopération au niveau du Minepat pour la désignation des responsables. C’est l’appel à candidature. Donc, l’on sait très bien quand il faut être efficace ce qu’il faut faire et dans la fonction publique l’on utilise beaucoup plus le pouvoir discrétionnaire. Je crois qu’on peut utiliser les deux modalités et se rendre compte que lorsque nous sommes en guerre, cette foislà pour la croissance, il y des erreurs et des erreurs de casting qu’il faut certainement éviter.

Est-ce qu’il n’y a pas lieu de suspecter précisément des choix parfois rythmés par la politique, inspirés par un certain copinage idéologique ?

Ce que je vais vous dire va certainement vous surprendre, aucun politique ne voudrait avoir de mauvais résultats. Donc au nom de la politique, on ne peut pas justifier le mauvais choix. C’est complètement contradictoire même aux enjeux que l’on poursuit si l’on parle du système politique. Par contre ce que je voudrais dire pour aller dans votre sens c’est qu’il y a de l’arbitraire, il y a peut-être du clientélisme c’est ça qu’il faut dénoncer sans vouloir se cacher dans le grand chapeau politique. Aucun politique ne veut avoir de mauvais résultats, au contraire les mauvais résultats viennent quelque peu déteindre son action.

On va terminer par votre propre profil à vous. Vous êtes spécialiste de management public, vous avez été il n’y a pas longtemps inspecteur général au ministère de la fonction publique, vous êtes maintenant à l’Institut supérieur de management public comme directeur général adjoint. Qu’est-ce qu’on peut faire pour booster le mental de ceux qui travaillent pour la fonction publique et qui considèrent qu’ils n’ont aucune obligation, ni de résultats ni même de qualité dans le service rendu ?

Il y a quelques pistes, les autres pays ne font pas de miracles, et la question qu’on peut se poser c’est quelle est notre rapport à l’universalité ? Les principes de gestion sont simples. Le président de la République le rappelle d’ailleurs dans le « Plan d’urgence», vous avez une vision, vous avez des objectifs, vous devez atteindre ce résultat. Première chose, il faut responsabiliser les gestionnaires publics, et responsabiliser les gestionnaires publics c’est simplement leur donner des mandats qu’ils doivent exécuter et être sanctionnés positivement et négativement par rapport à ces résultats. Moi je pense que si nous y arrivons , c’est déjà un premier pas. Et il faudrait également rappeler, et c’est ce que j’ai l’habitude de dire aux agents publics que je rencontre et à nous même, c’est que nous pensons que nous sommes seulement évalués par le chef hiérarchique, nous sommes seulement évalués par le président de la République, je pense que les premier évaluateurs que nous avons en face, ce sont les usagers, ce sont les bénéficiaires, c’est notre personnel. Et très souvent les gestionnaires publics ne rendent pas compte à ces catégories de personnes et malheureusement ces catégories sont des personnes qui interpellent la personne qui est au sommet de l’Etat parce que les besoins sont à satisfaire. Première chose, il faut donc responsabiliser et pour responsabiliser, entre autres, il faut diminuer les lignes hiérarchiques. On se rend très bien compte qu’au niveau des procédures, je le dis et peut être j’ai la liberté de le dire parce que le président de la République l’a dit avant moi, les procédures sont lourdes et tracassières. On l’a vu encore en ce qui concerne le Dsce, on l’a vu pour le « Plan d’urgence » et écrit matériellement de manière claire qu’on va alléger les procédures de passation des marchés. Mais aucun système, aucun politique ne voudrait avoir des procédures de passation des marchés lourdes. Si on allège les procédures au niveau du «Plan d’urgence », ça veut dire qu’on devrait également alléger toutes les procédures en réalité, c’est le principe. Donc on comprendrait mal qu’on devrait le faire pour le « Plan d’urgence » et qu’on ne le fasse pas pour les autres outils, en principe c’est ce qui doit être fait. Bien entendu, autre chose qui pourrait être faite, c’est qu’il faut rendre compte. Il faut qu’on vienne ici à la radio, qu’on puisse dire j’ai hérité du « Plan d’urgence», j’ai hérité de tel mandat, rendu à la fin d’année voilà ce que j’ai fait, voilà ce que je n’ai pas pu faire pour telle ou telle raison et qu’on puisse être évalué aussi bien par le président, c’est très normal, que par le premier ministre ou les différents ministres mais surtout par les usagers que nous servons. Mais on va vous dire, le rapport a été déposé et on attend. On attendra, peut-être on n’aura pas de résultats connus de tous qui soient de nature à vous dire, les objectifs prescrits ont été atteints. C’est à vous les journalistes d’interpeller les gestionnaires publics, ils sont à votre disposition. Bon maintenant si vous n’aidez pas les usagers dans ce cadre-là ce sera quand même difficile. Mais au-delà de ça moi je dis, il y a des outils. Tous les ministères actuellement ont un site web, allez visiter ce qui s’y trouve, ce n’est pas les résultats. Enfin, il y en a quelques-uns, mais je pense que c’est des outils qu’on doit utiliser pour communiquer.

Il n’y en a pas beaucoup. On a regardé, il n’y a pas grand-chose à tirer de ces sites web.

Mais justement il y a des choses à dire. Mais parfois des choses sont faites mais ne sont pas communiquées et c’est aussi l’une des limites de notre administration. Maintenant plus que jamais l’impératif des résultats est, je voulais dire, obligatoire, parce qu’avec les menaces que nous avons par ailleurs au niveau des frontières, on ne peut pas se permettre le privilège de l’incompétence. L’exigence de performance est de mise. On a supprimé les structures de planification, malheureusement vingt ans, trente ans après c’est la compétence la plus sollicitée dans le cadre de la planification, dans le cadre du pilotage, etc. On se rend très bien compte que la fonction publique démarre quand même dans les années 2000 dans ces différentes réformes étant quelque peu handicapée. Elle a besoin du temps pour se reconstruire mais ce qui est important, un, c’est d’en prendre connaissance et surtout que les agents publics sachent qu’ils ont vraiment beaucoup à faire, qu’ils doivent se mettre au service de l’Etat. Malheureusement nous avons également eu plusieurs comportements pervers, on peut le regretter.

Mais le problème c’est que, lorsqu’on recrute 25 000 jeunes dans la fonction publique camerounaise, on ne leur prescrit pas nécessairement l’efficacité. On leur dit, on vous trouve du travail. Est-ce que dès lors, la manière dont on procède ne pose pas problème par rapport à ce que l’on pourra retrouver en aval?

Je ne suis pas sûr que ce soit ça pour avoir vécu ces « 25 000 » lorsque j’étais au ministère de la Fonction publique. Il n’était pas question de leur trouver du travail, nous en avons accueilli d’ailleurs au ministère de la Fonction publique et dans les autres ministères. Ce que moi je peux dire pour le regretter ou pour le relever c’est que nous avons peut-être la foule sans avoir de véritables compétences. Je prends une seule compétence, ce qui m’avais frappé dans ce recrutement c’était la compétence de secrétaire. On avait des profils mais qui n’étaient pas des secrétaires parce qu’être secrétaire c’est quand même un profil connu, il faut avoir des habilités, vraiment le job description est clair. Et on s’est rendu compte que pour cette compétence-là, qui à priori peut être considérée comme une compétence moins disponible, on n’a pas eu 100 sur les 25 000. Pour le reste, elles ont eu un diplôme de bureautique, voilà le vrai problème. Le vrai problème ce n’est pas seulement là, il faut maintenant se former, il faut se mettre au travail, il faut se mettre à la tâche, malheureusement on ne cherchait pas du travail puisqu’on les a affecté à des postes de travail. A un poste de travail on ne dit pas qu’on vous cherche du travail ou bien qu’on vous a trouvé du travail. Et moi je pense que l’une des choses qu’on peut pouvoir faire pour moderniser quelque peu l’administration c’est de pouvoir
instituer de manière régulière les formations parce qu’aucune administration ne peut fonctionner sans cet outil là. Beaucoup de gens vont vous dire que quand ils viennent au travail, ils manquent de vision, ils ne savent pas pourquoi ils travaillent, on ne les intéresse pas, mais je pense que c’est également des raisons qui ne sont pas valables.
Actuellement, je ne sais pas si on peut faire le choix du contraire, tout le monde doit pouvoir être à la tâche. Disons également que lorsqu’on parle des valeurs qui se cristallisent, c’est également une action qui est menée par vous, par moi, lorsque vous allez dans toutes les administrations, tout le monde a peur, même moi qui vous parle. Nous avons tous peurs et je crois que cette peur annihile quelque peu les innovations.

On a peur de quoi, on a peur de l’avenir, on ne croit pas au présent ?

On a peur de la sanction. On a peur de la sanction parce que si vous dites des choses qui vont à l’encontre de ce que pense votre chef, vous avez peur des réprimandes. Parfois vous n’avez pas des voies de recours, croyez en à ma petite expérience. Et puis à un moment donné, on a l’impression qu’on ne créé pas de dialogue dans les administrations qui permette justement à tout le monde de pouvoir participer. C’est toujours la logique hiérarchique, c’est toujours la logique bureaucratique, et moi je pense dans ce sens qu’il y a quand même beaucoup de choses à faire.

Dr Viviane Ondoa, merci infiniment d’être venue à « Dimanche midi » sur la Crtv et merci de rester disponible pour nos futurs besoins d’antenne.

Je vous remercie de m’avoir invitée. Bonne année à tous nos auditeurs, bonne année à vous-même! Prions que 2015 soit effectivement une année de résultats, un pas vers la croissance, un pas vers l’émergence.

*Dr Viviane Ondoa Biwole est enseignante à l’université de Yaoundé II, directeur général-adjoint de l’Institut supérieur de management public (ISMP).

Entretien réalisé par
François Marc Modzom
Sources : «Dimanche midi» du 04 janvier 2015 (Poste national de la CRTV)

© Source : Essingan

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