A l’auto-école on corrompt et on triche
CAMEROUN :: SOCIETE

CAMEROUN :: A l’auto-école on corrompt et on triche :: CAMEROON

Pour obtenir les permis de conduire sans formation préalable, les candidats et formateurs négocient jusqu’à 50 000 F. Cfa, sans passer dans les écoles.

Le taxi roule à vive allure. A l’intérieur, les commentaires vont bon train. Le siège arrière, conçu pour trois, accueille quatre passagers. Ces derniers se plaignent plus des travaux entrepris sur la pénétrante Est de la ville de Douala par la société de travaux publics Razel que de la surcharge. « Il y a trop d’embouteillages depuis qu’ils ont débuté leurs travaux. Pour aller au travail, je dépense au moins 400 F. Cfa au lieu de 250 F comme avant », lance un passager, en pointant du doigt deux camions de ladite entreprise qui tentent de se frayer un chemin dans la file de voitures alignées les unes derrière les autres au niveau du lieu-dit Texaco Aéroport. Son voisin n’a pas le temps de lui répondre. Il a reconnu le chauffeur. Il s’agit d’un ancien conducteur de car de transport en commun communément appelé « cargo ».

« Gars tu es maintenant conducteur de taxi ? », s’étonne-t-il. Le taximan ne répond pas. Le passager insiste : « gars je ne savais pas que tu connaissais conduire un taxi. Depuis que le préfet (département du Wouri, ndlr) a interdit les cargos, tous tes collègues sont devenus des chargeurs des taxis. J’espère que tu as au moins le permis». Eclats de rire dans le taxi. « Qu’est-ce que tu crois ? Si j’ai pu conduire un cargo avec plus de 24 personnes pendant plusieurs années, ce n’est pas un taxi qui va me dépasser », fulmine-t-il, le regard rivé sur la route. Dans le taxi, la vraie question demeure en suspens dans l’esprit des passagers : le conducteur a-t-il un permis ? Une question que se posent également au quotidien, des personnes au Cameroun lorsqu’elles se rendent compte que leur conducteur (taxi, bus…) viole les feux, les panneaux de signalisation ou ne respecte pas la vitesse normale.

Des milliers de faux permis en circulation

Un inspecteur de police principal en service au commissariat de sécurité publique du 8ème arrondissement de Douala, qui régule la circulation depuis plus de cinq ans, tente une explication sur le sujet. « Je remarque souvent que des conducteurs ne savent pas ce que signifie un panneau de stationnement. Ils garent le plus souvent avant ces panneaux, ce qui crée des embouteillages. Lorsque je siffle par exemple pour leur montrer l’alignement à suivre, certains sont comme perdus », regrette-t-il. A qui la faute ? « Aux auto-écoles, répond l’inspecteur. Elles ne forment plus comme avant. Elles font du n’importe quoi ». « De nos jours, il suffit d’avoir un peu d’argent pour acheter son permis dans ces écoles », renchérit son collègue, sifflet à la bouche, visiblement épuisé.

Ce que reconnaissent « en partie » certains exploitants d’auto-écoles que nous avons approchés. « C’est une des plaies de notre activité, soupire un exploitant d’auto-école. La corruption a fait en sorte que le permis de conduire est devenu une marchandise. Mais, il faut préciser que ce ne sont pas toutes les auto-écoles qui sont impliquées dans cette arnaque ». Jean Sigha, président régional du Syndicat national des exploitants d’auto-écoles du Cameroun (Sneaec) pour le Littoral explique que lors de l’examen du permis de conduire catégorie B (petites voitures) de la session d’avril 2014 à Edéa, l’un des quatre centres de la région du Littoral, 85 candidats se sont présentés. A l’affiche du résultat final, 909 candidats étaient admis. « 824 candidats n’ont pas officiellement composé.

Ils ont obtenu des permis de conduire fictifs. Il y a des milliers de faux permis en circulation au Cameroun», déplore-t-il. Bien plus, Jean Sigha assure que dans la région du Littoral par exemple, sur les 3000 candidats présentés à chaque examen, près de la moitié (1500), sont de candidats fictifs. A Yabassi et Nkongsamba, les deux autres centres d’examen, le syndicaliste dresse le même bilan. « Dans ces villes, il y a parfois plus de 800 admis aux examens alors qu’à peine 80 candidats se présentent en salle. Ce sont des auto-écoles qui ramassent des candidats dans des villes pour les ramener là-bas car la corruption y est facile ». Un autre syndicaliste qui a souhaité gardé l’anonymat indique que la corruption commence dans les délégations départementale et régionale.

Il détaille le procédé : un fonctionnaire recueille des candidatures auprès de différentes personnes n’ayant jamais pris les cours dans une auto-école. Il prend environ 50 000 F.Cfa par personne. « Ces fonctionnaires contactent par la suite des exploitants d’auto-écoles avec lesquelles ils arnaquent. Ils leur donnent environ 20 000 F par candidat et ces derniers s’en vont dans des petites villes telles Edéa, Yabassi et Nkongsamba placer ces candidats en monnayant bien sûr avec les délégués départementaux. A la fin, chaque personne du réseau gagne au moins 500 000 F », dit le syndicaliste. Qui précise que, pour assurer la réussite de ces candidats qui les ont payés, les fonctionnaires corrompent aussi des moniteurs, surveillants et membres du jury.

Deux moniteurs d’auto école en prison

Lors de l’examen du permis de conduire de la session de novembre 2014, deux moniteurs ont été interpellés alors qu’ils composaient à la place des candidats. Ils sont aujourd’hui à la prison centrale de New-Bell. Même traitement pour un ancien fonctionnaire à la délégation départementale des Transports d’Ebolowa qui est à la prison centrale de Kondengui. Nous avons rencontré Corinne (nom d’emprunt), dans son salon de coiffure situé au quartier Brazzaville. Elle fait partie des personnes qui composent à la place des « autres ». Elle en est d’ailleurs à sa 4ème expérience. Elle nous confie l’aventure : « mon frère est moniteur d’une auto-école depuis sept années déjà. Il fait appel à mon petit frère et à moi pour composer à la place des candidats. La veille, il nous donne des questions avec des réponses que nous étudions.

Il nous paie entre 5 000 F et 10 000 F parfois ». Corinne n’est pas la seule. A chaque session annuelle des neuf examens pour l’obtention du permis de conduire, la corruption et la tricherie se détectent à tous les niveaux. En effet, selon un membre du jury à l’examen pratique de la session de novembre 2014, après la correction des épreuves théoriques qui se déroulent le vendredi, les candidats retenus monnaient leur examen pratique. Notre jury explique que, durant la phase pratique, les candidats doivent montrer leur savoir-faire en ce qui concerne la conduite automobile proprement dite. En dehors de l’épreuve d’expertise, ils font aussi le créneau. « Il s’agit pour ces candidats de se garer entre deux voitures. Malheureusement, la majorité d’entre eux ne savent pas le faire car, ils ne sont pas passés par une autoécole. Le plus surprenant est que, à la fin, ils sont admis », s’étonne encore ce jury. Plus grave, il assure que c’est le « chef sage », celui qui est chargé de relever les notes sur les codes des candidats dans l’ordinateur, qui manipule les résultats. « L’année dernière, nous l’avons attrapé. Il avait oublié sous sa table les noms des candidats et leurs codes.

Nous avons signalé la faute à la hiérarchie. Mais, comme ce chef sage était un cadre à la délégation régionale des Transports pour le Littoral, l’affaire est restée sans suite », déplore-t-il.  

Grève généralisée

A la direction de la délégation régionale des Transports au quartier Bonanjo, l’on dément ces accusations. « L’examen se déroule toujours bien. Tous les candidats qui se présentent composent effectivement. Les intelligents réussissent et les paresseux échouent », assure un cadre au bureau des transports routiers. Il est surpris de la question du Reporter en ce qui concerne les « faux permis ». « S’il y a des faux permis, il faut regarder du côté des autoécoles », dit-il. Un avis que partage le ministre des Transports. En effet, dans ses différentes prises de paroles, Robert Nkili porte parfois un doigt accusateur contre les auto-écoles, responsables selon lui, des candidats mal formés qui causent des accidents de la circulation.

« J’ai dit lors d’une réunion avec le ministre que j’étais surpris de cette attitude. Ce ne sont pas les auto-écoles qui délivrent des permis de conduire à des personnes qui n’ont jamais mis les pieds dans une auto-école où les cours coutent entre 100 000 et 150 000 F. Cfa », fulmine-t-il. Face à ces accusations, les exploitants d’auto-école ont entamé une grève généralisée dans tous les cinq syndicats du secteur mardi 6 janvier 2015 pour exprimer leur ras-le-bol. Dans le mot d’ordre de grève adressé au ministre des Transports dont Le Jour a obtenu copie, les directeurs, promoteurs et enseignants exigent la reforme totale de l’examen de l’auto-école. Les syndicalistes expliquent que conformément à l’article 10 de l’arrêté ministériel n°406/Mint/DDt du 28 avril 2000, ils marquent leur opposition « à la décision du ministre des Transports de confier la formation et l’évaluation des candidats à l’examen pour l’obtention du certificat de capacité des transporteurs urbains du fait que ces derniers ne sont pas titulaires du Capec ». Les grévistes exigent également la mise sur pied d’un office de permis de conduire et la délivrance des reçus de versement des frais des examens qui coutent 5 000 F.Cfa.

Bien plus, les exploitants ont refusé d’envoyer les dossiers de leurs candidats pour le concours programmé le 24 janvier. Devant leur détermination, Robert Nkili a convoqué une réunion d’urgence à Yaoundé mardi 13 janvier. D’après l’un des participants à cette réunion et qui n’a pas voulu en dire plus, le ministre des Transports a accepté de « revoir leurs revendications ». Les exploitants ont suspendu leur mot d’ordre de grève pour une durée de trois mois. La date limite de dépôt de candidature fixée au 9 janvier a été repoussée au 16 et l’examen au 31 janvier. Les syndicalistes ont accepté de participer à l’examen en attendant « l’application des réformes du permis de conduire ». « Nous n’allons rien lâché jusqu’à ce que les choses changent. Nous sommes nombreux, solidaires et nous voulons que l’obtention du permis de conduire devienne noble », lance d’un ton confiant, Dieudonné Nyoumsi, président du Syndicat national des propriétaires d’auto-écoles (Synpaec)

Méthode des années 1970

Le rêve de Jean Sigha est simple : que le Cameroun relève son niveau de l’examen du permis de conduire comme la France et d’autres pays  d’Afrique. « Pour obtenir un permis C, il suffit d’avoir la note de 24/40 au Cameroun alors qu’en France et ailleurs, il faut obtenir 34/40 pour passer. Si nous relevons notre niveau, stoppons la corruption et la tricherie, nous aurons moins d’accident de la circulation », dit-il. C’est d’ailleurs avec fierté que le président régional du Sneaec rappelle le combat menée depuis de nombreuses années par les syndicalistes : « Avant les années 2000, ce sont les préfets qui délivraient les permis de conduire et là, c’était facile pour eux de faire de faux permis. Nous nous sommes encore battus pour que l’examen qui était oral devienne écrit dès 2010. Nous voulons que tous les conducteurs détenteurs des permis B, C, D, E et G soient des personnes qui ont appris et maitrisent les codes de la route et de la conduite».

Jean-Pierre, conducteur de taxi depuis plus de 30 ans est nostalgique de la vieille époque où l’obtention d’un permis de conduire B se faisait après de nombreuses tentatives. C’est avec un ton triste qu’il évoque d’ailleurs son expérience à Bangangté. « J’ai obtenu mon permis de conduire en 1978. C’était très différent de ce qu’on vit aujourd’hui. On faisait des cours théoriques et pratiques tous les jours, matin et soir. Pas comme aujourd’hui où on y va pour deux ou trois heures», indique-t-il. Le septuagénaire explique que les candidats allaient à l’école le matin pour les cours de théorie. Ils revenaient le soir pour les cours de pratique sur la voiture. Malgré son assiduité en tant que fils de planteur, Jean-Pierre échoue à trois reprises à l’examen. Ses parents paient 30 000 F. Cfa à chaque fois (prix du cours). Ce n’est qu’à sa 4ème tentative qu’il obtient le fameux permis. « On apprenait vraiment à conduire. Il faut que les auto-écoles se remettent au travail comme dans les années 1970 », conseille-t-il.

© Le Jour : Josiane Kouagheu

Lire aussi dans la rubrique SOCIETE

Les + récents

partenaire

Camer.be sur tiktok

Vidéo de la semaine

évènement

Camer.be sur tiktok

Vidéo


L'actualité en vidéo