Je suis camerounais, je hais Charlie
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Je suis camerounais, je hais Charlie :: CAMEROON

Cher camerounais, cher frère,

J’avais prévu mon retour au blog ce jour, mais je n’avais pas prévu les circonstances de ce retour : mon pays qui grâce à la vidéo d’un terroriste réalise enfin qu’il est plongé dans une guerre. Guerre contre des bandits qui se parent du drapeau de l’Islam pour perpétrer les actes les plus ignobles au Nigéria voisin et dans le Nord de notre pays. Et puis cette déferlante « je suis Charlie » qui a envahi le monde au point de devenir un événement que les livres d’histoire et les rétros ne manqueront pas de citer.

Evènements pas du tout liés, du moins de façon directe, mais pour lesquels je t’ai entendu hausser le ton. Je t’ai entendu sur les réseaux sociaux, dans les taxis, dans les marchés, dans les bureaux, je t’ai entendu hurler ta haine des islamistes de Boko machin, je t’ai entendu hurler ton amour pour ton vert rouge et jaune. Je t’ai entendu hurler ta déception vis-à-vis des journalistes de bar et autres péroreurs du dimanche qui t’ont dit que cette guerre n’en était pas une, qu’elle était une rébellion contre ton Roi, grand chantre d’une paix qu’il te vend élection après élection sans que tu aies connu de guerre avant.

Je t’ai entendu hurler ta haine de cette France que tu dis être derrière Boko Haram. Punching ball que tu frappes rageusement tous les jours au lieu de monter sur un ring.

Je t’ai entendu crier contre ces présidents africains qui sont allés dans des tenues noir corbeau faire acte de contrition là bas, dans ce pays froid quand ils se taisent sur les drames chauds chez eux. J’ai été assourdi par ton indignation. J’ai écarquillé les yeux quand tu t’es cru obliger de hurler que tu n’étais pas Charlie. Mais je te comprends : la télé qui comble tes soirées est la leur et tu as dû râler devant tes séries décalées à causes des nombreux « breaking news ».

Oui ! Je t’ai entendu hurler et tu sais ce que j’ai fait mon frère ? J’ai ri.

J’ai ri car je me suis souvenu que toi camerounais pendant les événements au Burkina tu as ri de ton peuple, si amorphe, si pathétiquement broyé depuis trente deux ans et si différent de ce peuple burkinabè si courageux. J’ai ri de ton ignorance. Tu as oublié ceux qui ont lutté et versé leur sang pour que tu puisses te réclamer de ce Cameroun durant la guerre d’indépendance!

Tu as oublié ceux qui dans les années 90 ont péri pour que tu profites de cette liberté d’expression que tu galvaudes.

Tu as oublié qu’en 2008 les tiens sont morts dans les rues du Cameroun au nom de revendications aussi simples que le droit à une vie plus décente.

Tu as oublié qui tu es, d’où tu viens et t’alarmes d’aller droit dans le mur ? Je ris.

Tu as oublié, parce que toi, recroquevillé dans ton petit coin de paix tu préfères vivre par procuration. Tu hais Charlie et comme je te comprends ! Au milieu de cette planète entière rassemblée à Paris au nom d’un crime aussi barbare qu’inutile, tu as compris que tu n’étais rien, que tu ne comptais pour rien malgré la présence et les pleurs des Rois africains voisins, versés au nom d’une notion qu’ils ignorent.

Moi qui croyais la solidarité africaine, aurait-elle désormais élu domicile chez les autres?

Tu as vu une quinzaine de morts prendre en otage ta liberté de pensée, te contraindre à plier l’échine devant le flux d’information, devant ta liberté si chère de ramer à contre courant. Et tu as refusé d’être Charlie.

Tu t’es souvenu des milliers d’assassinats de Boko Haram, des corps que personne n’arrive à compter à Baga. Des villages camerounais rasés, des milliers de tes compatriotes déplacés. Tu t’es souvenu de ces corps de frères et voisins militaires rentrant incognito après avoir fait le sacrifice suprême.

Tu t’es souvenu du bouffon invité par un de tes frères africains qui t’a craché à la figure que tu n’étais pas assez entré dans l’histoire. Tu as hurlé, parce que tu as constaté que même dans l’actualité, tu n’étais pas assez entré.

Tu as hurlé que tu n’étais pas Charlie, oui je sais, quand tu as été Ebola ce n’est pas toi qui en a décidé. Mais souviens-toi que tu n’as jamais été la Sierra Leone, tu n’as pas été le Sud Soudan. Tu n’as pas été Boko Haram, tu n’es pas le Nord Kivu !

Mais qui t’empêche d’être à défaut de Charlie, toi-même ?

Tu te sers des réseaux sociaux pour faire des guerres que tu ne peux assumer dans la réalité. Tu te sers des médias pour honnir salir et faire chanter. Tu as oublié d’être celui par qui vient le changement, te contentant trop souvent de te laisser porter par un courant qui t’entraîne vers des récifs à la vue desquels tu hurles à la mort au lieu de saisir le gouvernail de ton pays.

Ton patriotisme et ton panafricanisme ne sont que les socles de ta haine qui justifiée ou non est elle-même vaine. Tu ne construis pas, n’essaye que quand on t’y contraint, caché derrière tes cris d’orfraies et tes boucs émissaires : l’Etat, le Gouvernement, la France…

Et toi alors ? Oui toi !

Tu as oublié d’être celui qui vote. Tu as oublié d’être celui qui surveille son vote, tu as oublié d’être celui qui réclame des comptes. Tu as laissé à ceux sur qui tu tapes de temps à autre le soin de tout gérer. Tu savais qu’ils échoueraient. Mais tu avais besoin d’avoir les mains propres pour leur taper dessus.

Tu as oublié d’être celui qui réclame de l’eau potable, de l’électricité, des soins décents, encore moins celui qui les cherche là où on veut les enfouir. Tu hurles et puis tu passes à autre chose.

Mais tu n’as jamais oublié d’être Eto’o, encore moins d’être les Brasseries du Cameroun lors des tentatives d’augmentation du prix de la bière. Est-ce là ton histoire ?

On t’a dit que la politique ce n’était pas bien. Que manifester c’était faire de la politique. Que le fouet de la police devait te faire peur. Tu as dit ok et tu n’as hurlé que réfugié chez toi ou derrière le clavier de ton ordinateur.

Dans la foule que tu as vue à Paris, tu as vu les voleurs de leur République aux premières loges, tu as vu ceux dont le discours haineux stigmatise tous les jours ceux de ta race. Tu as vu ceux pour qui tu ne seras chez eux qu’un immigré, tu as vu ceux qui ont mis ton continent à feu et à sang au nom de guerres censées établir la « démocratie ». Tu as hurlé « Je ne suis pas Charlie ! » au lieu de te souvenir des paroles de Cheikh Amidou Kane : « aller chez eux apprendre l’art de vaincre sans avoir raison ».

Je ris quand tu hurles vois-tu ? Parce que tu sais qu’aucun hurlement n’a jamais empêché une caravane de passer.

Tu essaies de ne pas être Charlie, je ne le comprends que trop bien. Mais ceux qui ont fait de toi un charlot sont ici et tu leur as laissé ton pays, fermant ta gueule à chaque fois que tu peux leur rappeler de te respecter, mais pire tu as baissé tes bras si robustes qui te permettraient d’abattre un édifice pourtant pourri de bas en haut.

Ne t’offusque pas, je ne te juge pas, car quand je parle de toi, je parle de moi.

Eh oui ! Tu as compris que tu n’étais pas Charlie, mais ma question est de savoir si tu réalises que tu es le Cameroun.

Peace !

P.S. pas de stress, je sais que à défaut d’être Charlie, bientôt nous serons la CAN. Je sais pouvoir compter sur toi pour ça.  Comme toi,  « Je suis la CAN » enfin, jusqu’à ce que les Lions se fassent dompter…

Peace again!

© kongossa.mondoblog.org : Florian Ngimbis

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