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FRANCE :: Chroniques d’un Écrivain Africain : Michel Lobé Etamé Se Livre

Michel Lobé Etamé, journaliste accompli et auteur prolifique, reconnu tant pour vos articles que pour vos ouvrages, pourriez-vous d’abord nous parler un peu de vous ? Qui êtes-vous, quelles sont vos origines, et depuis combien de temps avez-vous élu domicile en France ? Par ailleurs, en dehors de l’écriture, quelles sont les autres facettes de votre vie et les activités qui vous occupent ?

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de votre accueil et surtout de vous intéresser à mes activités littéraires. Je suis d’origine camerounaise et je vis en France depuis plus d’une cinquante d’années. Je suis retraité et j’ai eu une vie professionnelle bien remplie. Après les études secondaires, j’ai eu un parcours universitaire atypique puisque j’ai poursuivi mes études supérieures tout en travaillant. Pour être plus complet, je suis ingénieur en organisation et en informatique et j’ai parallèlement poursuivi des études supérieures en économétrie. Mon parcours professionnel m’a conduit à des postes de responsabilité où j’ai été tour à tour Conseil, Responsable de développement et Directeur des Etudes dans un Groupe multinational. Cette carrière m’a conduit en Afrique de 1981 à 1984 où je présidais un Groupe Informatique. Cette expérience a aussi été une source de richesse dans mon pays, le Cameroun, où j’ai dispensé des cours à l’ESSEC de Douala. Aujourd’hui, jeune retraité, je poursuis une reconversion qui m’a conduit à l’écriture et au métier de journaliste.

Qu’est-ce qui vous a poussé à embrasser l’écriture, un domaine à la fois passionnant et exigeant, d’autant plus complexe pour un Africain, souvent confronté aux défis de trouver un éditeur et de tirer des revenus suffisants de l’activité littéraire ?

Vous savez, cher confrère, l’écriture est un sacerdoce. On ne peut y échapper même si au départ, on a suivi un parcours diamétralement opposé. Je n’étais pas programmé pour écrire des livres. Je me suis lancé dans le journalisme pour assouvir un besoin, une envie et un peu une folie ou un rêve de jeunesse qui m’égratignait. La lecture d’un livre me faisait voyager vers des univers indescriptibles. La force des mots, le pouvoir du verbe et cette folle envie de m’exprimer librement sur les évènements et les choses de la vie m’ont toujours captivé. Une fois en retraite, j’ai éprouvé le besoin de me lancer dans une nouvelle activité car je ne supportais pas de surfer sur le NET toute la journée. J’ai donc choisi d’écrire des articles calqués sur l’actualité et de les proposer à des journaux. Ma demande a été fructueuse dès le départ.  Je dois avouer que j’ai eu beaucoup de chance car d’autres avant moi ont essuyé des échecs. Je dois aussi cette réussite à un don naturel de l’écriture avec laquelle je flirte depuis mon enfance.

J’ai dévoré tant de livres dans ma jeunesse et j’ai transmis cette passion à de nombreux amis qui m’ont encouragé à l’écriture. Chemin faisant, j’ai été accepté dans le monde du journalisme et je dispose aujourd’hui d’une carte professionnelle de journaliste. Mais, croyez-moi, le parcours est semé d’embûches. Il faut travailler sans relâche et produire des articles toutes les semaines. D’autres penseront que c’est une routine. Ils se trompent. Dans le journalisme, il faut continuellement se remettre en cause, se réinventer et se mettre à la place du lecteur. Fort de l’expérience journalistique, j’ai cédé à un caprice d’enfance : le roman. Et curieusement, j’ai commencé par un Essai. Mon travail a consisté à faire un diagnostic sur mon pays, le Cameroun.

Je me suis penché sur la situation politique, économique et social. Mes démarches m’ont conduit à établir un diagnostic détaillé et approfondi des deux premiers présidents de notre pays, Ahmadou Ahidjo et Paul Biya qui est toujours en exercice. A l’occasion, j’ai publié aux Editions L’Harmattan, en 2021, un essai intitulé « Cameroun, au chevet d’un régime à l’agonie ». C’est essai critique a bien été accueilli par mes confrères et les nombreux lecteurs qui ont donné une belle dimension à mon travail. J’ai essayé, tour à tour, de déceler nos faiblesses, nos choix politiques et économiques et surtout de faire une analyse objective de l’existant.

Cette expérience se poursuit aujourd’hui par la parution de deux romans (Sous Le Regard de Khédy » qui est un drame amoureux et de mon dernier roman « Petit Bonhomme » qui me vaut de d’être ici avec vous. Petit Bonhomme est un roman qui retrace notre milieu familial, nos occupations, la vie à l’école, sans oublier tout ce qui occupait notre jeunesse heureuse, insouciante et désinvolte. J’ai aussi eu le bonheur de participer à l’écriture de cinq livres collaboratifs sur Marguerite Yourcenar, Albert Camus, Le Petit Prince, Qu’est-ce que l’Afrique et Le Livre de nos mères. J’avoue que je me suis éclaté et libéré à écrire ces essais sur des auteurs que j’admire toujours et qui faisaient partie de mes classiques de jeunesse. Ce fut un grand honneur pour moi d’avoir été choisi pour participer à l’écriture de ces essais. Aujourd’hui, je me sens complètement intégré dans le monde littéraire pour poursuivre mon bonhomme de chemin car il n’est pas facile d’être accepté dans cet univers très éclectique et rigoureux.

La parution de « Petit Bonhomme » depuis le 15 octobre en librairie vient encore me rassurer à poursuivre mon chemin. J’ai déjà mis en chantier un nouveau roman. Comme vous le savez, cher confrère, nous ne pouvons échapper à la magie de l’écriture. Il est difficile d’y entrer. Mais on n’en sort jamais. C’est un sacerdoce, une magie, un opium et pour exagérer un peu, une forme déguisée d’addiction. Mais j’en suis totalement heureux. Ma famille aussi. Mais il faut souligner que l’univers littéraire peut aussi nous éloigner de l’ordinaire ou de l’essentiel. Nous devenons inconsciemment solitaires, égoïstes et détachés.

Le monde de l’édition, je le sais bien, est un domaine exigeant, et cette réalité touche tous les écrivains, bien au-delà des origines. Pourtant, dites-moi, comment parvenez-vous à concilier votre métier de journaliste, vos responsabilités de père de famille, et ce dévouement admirable à l’écriture de vos ouvrages ?

Question pertinente mais que nous ne pouvons occulter. Pour ne rien vous cacher, cette question est récurrente. Il faut s’organiser. Mais comme je le disais plus haut, l’écrivain est un égoïste inconscient.  Il a besoin de trouver le juste milieu pour concilier son « métier » ou sa passion avec son environnement. Mes enfants sont de jeunes adultes qui ont quitté le cocon familial.  Dans mon nouvel univers, j’essaie d’occuper subtilement mon temps en tenant compte de mes obligations familiales et de mes occupations littéraires. Ce n’est pas simple. Il faut pouvoir gérer son temps et profiter aussi des plaisirs de la bouche. J’ai un emploi du temps plus chargé que celui des actifs. Je suis debout tous les matins à 6h30. Au printemps, je m’occupe de mon jardin, de la tonte du gazon et des plantes sans oublier mon rapport très intime avec la nature. Je me sens un peu l’âme paysanne et je m’en réjouis.

Il est indéniable que le rythme auquel vous évoluez est exigeant, mais les résultats parlent d’eux-mêmes, et je ne peux que saluer votre réussite. Étant écrivain moi-même, je tiens à vous adresser mes félicitations les plus sincères. Venons-en à vos œuvres, que j’ai eu le plaisir de découvrir. Vous êtes un auteur prolifique, mais surtout profondément engagé, comme en témoignent les thèmes que vous explorez dans vos livres et articles. L’Afrique occupe une place centrale dans votre réflexion. Pensez-vous que la jeunesse africaine aspire réellement à un changement de paradigme, comme le revendiquent les néo-panafricanistes ?

L’actualité nous ramène tous les jours à des défis existentiels. Nous ne pouvons y échapper. Mais, croyez-moi, la jeunesse africaine a besoin d’un changement radical de gouvernance. Elle ne supporte plus, à juste titre, les dirigeants qui s’éternisent au pouvoir. Cette jeunesse est ambitieuse et révoltée. Elle a raison car depuis les indépendances étriquées, l’Afrique est toujours au pied de l’échelle des valeurs humaines. Notre jeunesse a des ambitions. Est-ce un tort de réclamer la souveraineté de l’Afrique après une cinquantaine d’années d’indépendance ? Nous méritons mieux. La mondialisation, telle qu’elle a été prônée, devait insuffler un nouvel élan de développement à l’Afrique. L’horizon du millénaire approche et nous n’avons toujours pas décollé. Bien au contraire, notre jeunesse qui constitue une force vive émigre vers l’Occident.

Le chômage sévit partout en Afrique car nous ne produisons pas, nous ne transformons pas nos matières premières agricoles et minières pour une plus-value créatrice d’emplois. Que faisons-nous pour occuper cette jeunesse désabusée ? Il est temps que l’Afrique se réveille. Nos présidents ont échoué. Ils doivent laisser la place à la jeunesse. Le Sénégal en est le parfait exemple. Pour diriger un pays, il faut s’appuyer sur la jeunesse. Pour cela, le pouvoir doit être issu des élections libres. Ce qui n’est pas le cas depuis nos indépendances. Nous devons mettre fin à cette mascarade d’élections pour des pouvoirs légitimes qui se soucient des besoins des populations. Si ces conditions sont remplies, l’Afrique unie va se développer. Nous aurons alors une « Union Africaine » solide, libre, souveraine et ambitieuse.

Nous n’avons pas le choix car l’Asie sort à pas de géants du sous-développement alors que nous continuons à brader nos matières premières à l’Occident et maintenant à la Chine. La mondialisation nous tend les bras. Pour cela, nous avons besoin d’une classe politique qui ne prend plus des instructions de l’extérieur, c’est-à-dire de nos anciens maitres colons. L’avenir de l’Afrique est étroitement lié à sa souveraineté politique d’abord et à sa capacité de décider elle-même de son avenir.

Je souhaite m’attarder sur votre dernier ouvrage ayant pour titre : « Petit Bonhomme » édité à Paris par Les Editions de l’Onde. Qu’est-ce-qui vous a amené à écrire un ouvrage où l’humour côtoie au quotidien les multifacettes de nos coutumes ? 

Petit Bonhomme est l’histoire d’un jeune garçon dans son environnement familial. L’histoire baigne dans un humour décapant et raffiné. C’est aussi une brillante introspection des mœurs de ma culture Sawa.   L’histoire se déroule à Bali, un quartier de Douala au Cameroun. Petit Bonhomme est le fils d’un couple où le père est habituellement absent. La sœur ainée de son père, tante Soppo, couturière de renom, prend en charge l’éducation de son neveu. Elle a aussi en charge l’épouse de son frère. Tante Soppo est une femme libre et exigeante dans le travail. Dans un environnement puritain, elle a des rêves. Elle voudrait faire de son neveu un homme qui assure la descendance de sa famille. Pour y parvenir, elle met tout en œuvre pour l’éducation et la scolarité de ce dernier qui ignore tout du destin que lui prépare sa tante.

Petit Bonhomme fait de son mieux pour satisfaire les exigences de sa tante. Il travaille bien à l’école car il ne veut pas la décevoir. Il a conscience de sa chance et fait tout pour devenir celui qui prendra la tête de la descendance de Manga Priso de la lignée des Lob’A Bedi. Le roman explore les thèmes de l’honnêteté, du devoir accompli, de l’effort et de l’esprit de famille. Il met aussi en lumière l’influence des boni menteurs sur une population désemparée et vulnérable. Petit Bonhomme découvre dans la cour familiale des personnages fascinants qui promettent des miracles qui ne se réalisent jamais. Sa tante, une dame au grand cœur et qui sait aussi sévir lui apprend les rudiments de la vie. Elle le prépare à devenir un homme juste.

Quels sont vos projets actuels ? Envisagez-vous de poursuivre dans l’écriture d’essais, ou bien ressentez-vous une inclination particulière pour le roman ?

J’ai un projet en cours qui consiste à réunir dans un seul ouvrage mes articles journalistiques. Ce projet va se réaliser en 2026. A l’heure actuelle, je viens de commencer run nouveau roman. Je ne vous en dirais pas plus. Mais vous serez informé en temps et en heurs. La fièvre de l’écriture m’a gagné et je ne peux m’en séparer. J’y trouve même une jouissance.

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