GASTON KELMAN : « Le Cameroun doit avoir une seule langue nationale »
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GASTON KELMAN : « Le Cameroun doit avoir une seule langue nationale » :: CAMEROON

Consultant en problématique culturelle des dirigeants africains, l’auteur camerounais du best-seller « Je suis noir et je n’aime pas le manioc », paru en 2003 en France, prône l’émergence d’une langue locale.

Quel regard portez-vous sur le salon du livre de Yaoundé ?
Le jour où le Cameroun a institué un salon du livre, je me suis dit que c’est un très grand progrès. Pour sa régularité, j’aimerais qu’il soit annuel, qu’il se déroule aussi dans les autres grandes villes du Cameroun. Parce que s’il y a un salon du livre à Garoua, un à Douala ou à l’Ouest, ce n’est pas mauvais. Au contraire. L’important est qu’on a commencé et c’est très bien. Ce que je reproche à ce salon, c’est le peu de contact avec le public jeune. On aurait dû faire comme lors de la 1ère édition, où il y avait les cars de classes des élèves, des collégiens qui circulaient toute la journée sur le théâtre du salon. C’est le cas en France, où tous les vendredis dans l’après-midi, les salons sont dédiés aux élèves.  

« Le livre, outil de consolidation de la paix et de l’unité » est le fil conducteur de cette rencontre. Comment consolider la paix et l’unité à travers le livre dans un pays où la quasi-totalité des populations ne lisent pratiquement pas ?
Je pense que c’est une sollicitation pour que nous, les écrivains, participions à l’oeuvre de paix par nos écrits. Qu’on fasse des suggestions par essai, par fiction. Bref, qu’on aille dans toutes les dimensions de l’écriture et de la littérature pour la consolidation du pays, peut-être que les gens liront. La lecture, ce n’est pas une génération spontanée. Il faut une politique de lecture pour que les gens puissent s’y mettre. Pour moi, si par exemple au Cameroun, on aime lire Victor Hugo et La Fontaine, je peux être triste. Donc, il faudrait qu’on aille vers la création d’une littérature nationale et pour cela, il nous faut des maisons d’édition capables de produire les oeuvres et que le prix soit au niveau du citoyen moyen. Qu’on puisse aller dans les écoles, que les écrivains qui viennent au salon aillent à la rencontre jeunes. Quand je l’ai fait la première fois avec des élèves en France, ils ne savaient même pas qu’un écrivain noir existait. J’ai eu des gens qui m’ont dit que « Monsieur Kelman, le succèsde vos livres a fait que le premier livre que mon fils et  mon frère ont lu a été l’un des vôtres ». Dont si l’écrivain a du succès et il va vers le public, les autres auront envie de faire comme lui, à lire.

Pourquoi l’appellation « Cameroun », selon vous ne conviendrait pas à un pays qui se veut émergent ?
Si le nom Cameroun convient à quelqu’un c’est parce que nous sommes toujours dans cette logique d’aliénation. Nous ne sommes pas encore arrivés à nous poser les vraies questions. Un pays qui s’appelle « crevette » parce que les Portugais passaient par hasard au large du Wouri au moment où les crevettes passaient me pose problème. Et s’ils étaient venus une semaine avant ou après, on aurait peut-être eu un autre nom. Comment peut-on imaginer qu’un pays s’appelle au hasard de la rencontre d’un étranger avec les crustacés pendant leur saison ?

Vous allez remarquer que tous les pays, dès qu’ils se libèrent, changent de nom. Le nom de l’esclavage par hasard ou par mesquinerie du dominant est toujours un nom qui vous traite de con. Vous savez pourquoi la France portait le nom de Gaule ? Parce que les Romains estimaient que les Français sont bavards et qu’ils n’arrêtent pas de crier. Et ça veut dire que c’est l’oiseau qui chante même lorsqu’il a la merde jusqu’au cou. Avant, on les appelait Gallus c’est-à-dire le coq. Evidemment, la première chose qu’ils ont faite, c’est de changer de nom.

Pendant les conférences, vos discours allaient dans le sens d’un Cameroun qui parle une seule langue nationale. Pourquoi ?
La langue est une vision du monde, elle n’est pas anodine. Manu Dibango m’a sorti cette phrase un jour : « La langue n’est pas biologique, elle est idéologique. » La seule chose qui te rend différent des autres et qui te désigne est ta langue. Vous allez remarquer que le nom du peuple est basé généralement sur celui de la langue. On ne peut pas faire l’économie des langues. Dont ce n’est pas Gaston Kelman qui invente. J’insiste là-dessus parce que c’est quelque chose d’universelle. On ne naît pas avec une langue, on fabrique la sienne qui correspond à notre vision du monde. Je donne parfois cet exemple, la langue est tellement importante qu’elle montre la vision du monde et même comment on entend les sons. Le chant du coq est le même partout dans le monde entier. Mais chaque langue interprète le chant du coq à sa façon.

Les français disent « cocorico » les espagnoles disent « Kikiriki », les anglais disent « coq and doudeldou » ainsi de suite. Comment pouvez-vous imaginer que le même chant du coq est entendu avec tant de différences ? Pour traduire notre univers, il faut que nous l’interprétions avec nos vraies langues, celles qui correspondent à nos valeurs culturelles. Mais nous sommes tellement aliénés quand certains voient que les mots « cousin », « neveu » et autres n’existent pas dans nos langues et d’aucuns se disent que nos langues sont pauvres, c’est parce que nous ne voulons pas la notion de neveu. Chez nous, le fils de votre frère est également votre fils. Quand vous voyez le frère de votre père, vous le traitez au même pied d’égalité que votre père. Vous voyez à quel point votre langue vous permet de voir et d’interpréter le monde à votre manière ?

La multiplicité des langues locales au Cameroun n’est-elle pas un obstacle à votre voeu ?
Le Cameroun peut avoir une langue nationale. Ce n’est pas une question de pouvoir ou pas. Aussi longtemps qu’on parle le français ou l’anglais, on n’existe pas. C’est aussi simple. Dans les pays qui ont deux ou trois langues justement, c’est très compliqué. Il arrive qu’un jour en Belgique, par exemple, les Wallons disent qu’ils ne veulent plus être avec les Flamands, mais aussi longtemps qu’ils sont ensemble, ils sont obligés tous de parler les deux langues. Mais chez nous, c’est tellement imparfait que même les langues coloniales ne servent qu’à nous diviser. Les anglophones veulent partir parce qu’ils parlent anglais.

Qu’est ce qui empêche le gouvernement de dire, à partir de maintenant, tout le monde apprend les deux langues dès la maternelle ? Et si moi je me sens un peu préoccupé par cela, je remercie le ciel de m’avoir fait comprendre peut-être avant les autres qu’il nous faut une langue et qu’il nous faut avoir la fierté de nos origines. Et que nos régions portent les noms de nos origines. Dont pour moi, il nous faut des hommes forts capables de prendre des décisions fortes pour que les choses bouges dans ce sens. Nous devons être fiers de ce qu’on a déjà fait. J’ai dit à la conférence que c’est triste que la logique des pays sous-développé et aliéné comme le nôtre ce que nous sommes divisé. Il y a ceux qui pensent qu’il y a les mauvais et les bons d’un côté. Nous sommes tous dans la même aliénation et nous devons tous savoir que nous sommes dans la période renaissance et que nous devons travailler pour construire notre nation.

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