Belgique- Cameroun- Diaspora : Pillage de l'état  du Cameroun, Thierry Amougou montre la portée politique et sociétale désastreuse de la crise civique
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Belgique- Cameroun- Diaspora : Pillage de l'état du Cameroun, Thierry Amougou montre la portée politique et sociétale désastreuse de la crise civique :: BELGIUM

Thierry AMOUGOU est enseignant à l'UCL (Université Catholique de Louvain-la-Neuve), Macro économiste hétérodoxe du développement, il est également membre de plusieurs organisations de la société civile belge et camerounaise. Dans cet entretien qu'il vient d'accorder à bâton rompu à la rédaction de camer.be, cet acteur de la société civile camerounaise analyse l'actualité camerounaise. Lisez plutôt 

Thierry Amougou bonjour

Bonjour à vous et à vos lecteurs. C’est avec un plaisir chaque fois renouvelé que je vais dialoguer avec eux via cet échange même si le sujet traité devient la honte de tout un pays et de ses citoyens.

Dans le « Biyaïsme », votre ouvrage désormais un classique sur l’évolution sociopolitique du Cameroun depuis 1982, vous dénoncez, avec fermeté ce que vous appelez la (dé)civilisation des mœurs et la libido accumulatrice de l’élite au pouvoir. L’actualité camerounaise récente où de hautes personnalités ont été relevées de leurs fonctions et d’autres incarcérées pour détournements de deniers publics vous donne complètement raison.

La situation est gravissime. Le dernier épisode de détournements de deniers publics au Cameroun n’est que la suite d’une interminable chronique de la descente aux enfers d’un pays. Une chronique camerounaise désormais triste et honteuse à travers le monde. Notre pays est désormais connu sur le plan international comme une truanderie subsaharienne. La situation est d’autant plus honteuse que c’est une élite postcoloniale, c’est à dire chargée de reconstruire son pays après la colonisation, qui en est l’auteur. C’est inédit dans l’histoire de l’humanité que ce soit une élite postcoloniale bardée de diplômes qui pille sans vergogne et à un tel degré son propre pays depuis 1982. Un Prix Nobel des hauts diplômés pilleurs de leur propre État existerait qu’un Camerounais l’obtiendrait chaque année avec très grandes félicitations du jury. J’aurais préféré ne pas avoir raison dans mon ouvrage mais c’est hélas le cas. Le « Biyaïsme effectif » est bien une gouvernance de consommation et de jouissance des privilèges du pouvoir par transformation de l’État camerounais en un patrimoine privé.

C’est cela que vous appelez la (dé)civilisation des mœurs ?

Thierry Amougou : Bien entendu. Si notre pays se dit un État au sens moderne de ce terme, alors la gestion dudit État, c’est-à-dire de la chose publique, se fait suivant des civilités modernes. Ces dernières impliquent que l’intérêt général prime à tout instant sur les intérêts particuliers. Si, en plus de cela, notre pays se dit une république, c’est-à-dire une forme de société qui assure les mêmes chances à tous les Camerounais et à toutes les Camerounaises, alors être à la tête de l’État équivaut à poursuivre un objectif de justice sociale pour tous les Camerounais. Transformer l’État camerounais et ses ressources en un bien privé, que dis-je, en un véritable business, est le signe de la faillite éthique, morale et spirituelle du « Biyaïsme effectif » et de ses serviteurs. Nos élites au pouvoir sont la négation incarnée et patentée de ce qu’on entend par État et par république. Cela est une (dé)civilisation des mœurs induite par une libido accumulatrice aliénante, c’est-à-dire un désir libidinale d’accumulation matérielle supérieur à l’éthique qu’exige la gestion de la chose publique.

Cela ne vient-il pas aussi du fait que le capitalisme s’est généralisé ?

Il ne faut pas confondre les choses. Le capitalisme se généralise effectivement et promeut un homme individualiste, égoïste, accumulateur et hédoniste. Cela installe obligatoirement une anthropologie particulière en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Dans mon ouvrage, le « j’ai donc je suis » que je mets en évidence comme la logique profonde du Camerounais et de la Camerounaise sous le Renouveau National, est, en partie, lié à cette généralisation de l’homme capitaliste. Mais, comme je le dis bien, seulement en partie car l’économie de marché n’est pas une économie de voleurs et de pilleurs de biens publics. Dans l’éthique du capitalisme, Max Weber nous enseigne que le capitalisme est une forme de vie mise en place par un homme qui rationalise son comportement et son travail pour accumuler en respectant une éthique spirituelle forte suivant laquelle être excellent dans son travail/sa vocation et y réussir sur terre est la preuve qu’il a été élu par Dieu.

« Un Prix Nobel des hauts diplômés pilleurs de leur propre État existerait qu’un Camerounais l’obtiendrait chaque année avec très grandes félicitations du jury »

L’élite camerounaise qui pille l’État camerounais est le résultat d’une faillite éthique, spirituelle et morale du « Biyaïsme » et non la conséquence du capitalisme car celui-ci n’est pas une économie illicite, il n’est pas une économie de l’arnaque et encore moins une mafia républicaine. Le capitalisme a des règles, des institutions d’arbitrage et des normes que les capitalistes respectent.

Lier le pillage à ciel ouvert du Cameroun au capitalisme peut cependant se faire si on considère la lecture marxiste de celui-ci. Dans ce cas, l’élite camerounaise au pouvoir devient une bourgeoisie compradore qui exploite le travail du peuple camerounais via ce que Karl Marx appelle une accumulation primitive de même nature que ce que les Occidentaux ont fait en Afrique via l’esclavage et la colonisation. Ce qui veut dire que l’élite camerounaise au pouvoir a remis les Camerounais et les Camerounaises en situation d’esclaves et de colonisés. Cette lecture-là est plus indiquée dans le cas du Cameroun car c’est ce qui se passe effectivement. C’est donc très grave pour l’avenir du pays car la république, au lieu d’être la chance de tous et de toutes, devient le canal via lequel l’élite au pouvoir accumule pour dominer le Cameroun de demain sur tous les plans. Les autres Camerounais accepteront-ils cela en croisant les bras ?

Biya n’est-il pas victime d’une élite sans valeurs éthiques, morales et spirituelles fortes ?

Une lecture faiblarde et de courte vue de l’opération Épervier peut pousser à penser que Biya, sanctionnant ceux qui volent parce qu’il les relève de leurs fonctions et les incarcère, est victime des gens qui ne respectent pas ses consignes de rigueur dans la gestion et de moralisation des comportements. Il ne serait donc responsable de rien, mais victime de tous, de tout et partout. C’est une lecture faite par son fils George Gilbert Baongla. Je ne la partage pas parce qu’elle est logiquement et politiquement fausse.

Sur le plan logique, Biya est hautement responsable parce que le « Biyaïsme effectif » est son système de gouvernance effectif. Ledit système de gouvernance a donc une responsabilité centrale dans le pillage dont fait l’objet l’État camerounais depuis 1982. Cette responsabilité systémique, c’est-à-dire celle de Biya, coexiste avec la responsabilité individuelle de chaque membre de son système. En effet, si le « Biyaïsme » comme système de gouvernance a orienté la gouvernance vers la jouissance des privilèges du pouvoir, chaque membre dudit système est libre et responsable des actes de pillages qu’il pose.

Sur le plan politique, c’est bien sous le « Biyaïsme » que le Cameroun et les Camerounais sont ainsi spoliés par des individus. C’est sa politique qui est comptable de cela car c’est sous son règne que cela se passe. C’est sous le « Biyaïsme » que le Cameroun et les Camerounais font l’expérience de l’opération Épervier. Une opération qui est justement la preuve que la rigueur dans la gestion et la moralisation des comportements n’ont jamais été une réalité. Ils auraient été une réalité que l’opération Épervier n’existerait pas aujourd’hui. Nous sommes en présence d’une faillite politique totale. L’élégance et la justice politiques exigent qu’on reconnaisse cela au minimum au lieu, comme le font certains, de vouloir transformer un cuisant échec en victoire pour la reconquête clanique du pouvoir.

Que vous évoque le fait que ce soient des intellectuels qui pillent ainsi le Cameroun ?

Déjà je ne pense que pas qu’ils soient des intellectuels. Et si ce sont des intellectuels, alors ils sont de système et donc sans importance pour la vie intellectuelle, les idées et le dévoilement des dispositifs de dominations dont ils sont manifestement parties intégrantes. Piller ainsi les biens publics montre qu’ils sont au service d’eux-mêmes et de leur égoïsme. Je pense que nous avons plus affaire à de hauts diplômés qu’à des intellectuels. J’ai une approche très normative et subjective de ce qu’on entend par intellectuel. Pour moi, un intellectuel, encore plus dans nos pays qui ont été colonisés, à une fonction tribunitienne qu’il doit assurer à la perfection. Ceux qui, au Cameroun, replacent le Cameroun et les Camerounais dans une forme de colonisation endogène ne sont pas des intellectuels. Ils sont disqualifiés de cette appellation et du statut sous-jacent. Ils ne sont pas animés par un désir de compréhension et d’explication du monde. Ils ne sont pas orientés vers une production et une déclaration de la vérité politique au peuple. En ce sens, le « Biyaïsme effectif » est aussi la faillite de la croyance que de hauts diplômés sont automatiquement des intellectuels. Mongo Béti était un intellectuel. Achille Mbembe est un intellectuel. Ceux-là n’ont pas qualité car ils n’œuvrent pas pour la libération des dominations mais y participent plutôt.

Cependant, le fait que ce soient de très hauts diplômés qui liquident ainsi leur propre État est inquiétant à plus d’un titre. D’abord, avoir des Africains instruits était un besoin pour les jeunes États africains indépendants. On pensait qu’une élite africaine postcoloniale allait développer l’Afrique. Dans le cas du Cameroun, cet espoir s’évanouit car l’élite postcoloniale instruite est manifestement aller à « l’école des Blancs » pour être une élite agrégée en pillage de son propre État. Ensuite, quand nos professeurs, des gens qui m’ont personnellement enseigné sont pris la main dans le sac alors qu’ils ont fréquenté les plus grandes universités du monde, cela discrédite l’universitaire et l’université camerounaise. C’est un très mauvais signal qu’ils envoient aux jeunes car ce sont des gens avertis du mal sociétal et des conséquences collectives désastreuses de ce qu’ils font, mais le font quand même. Ceux qui ont fréquenté gratuitement aux frais de l’État camerounais sont ceux-là mêmes qui le dépouillent de nos jours de ses biens et, ainsi, hypothèquent l’avenir des générations futures : c’est une injustice qui va être de très longue portée dans la société camerounaise à venir. Nous vivons la faillite des indigènes diplômés car ils restent sous-développés mentalement, moralement éthiquement et spirituellement.

Les Camerounais le paient donc au prix fort ?

le prix à payer par les Camerounais contemporains et du futur est très élevé. Ce n’est pas seulement un manque à gagner au sens économique du terme, étant donné que les richesses ainsi exfiltrées des caisses de l’État sont le résultat d’un effort historique et collectif de tout le peuple camerounais. C’est aussi à la fois une injustice intra- générationnelle (les uns roulent sur l’or et d’autres trainent le cul par terre), et une injustice intergénérationnelle (les enfants de l’élite au pouvoir vont dominer ceux du bas peuple car ils héritent des patrimoines très élevés et font de hautes études que les enfants du bas peuple ne peuvent payer). Ceux qui spolient l’État camerounais préparent donc la domination généalogique de leurs clans dans le Cameroun futur. C’est la preuve d’un Cameroun futur très inégalitaire et donc polarisé socialement et politiquement. Un Cameroun où la guerre sera inévitable mais la solution objective à son état actuellement préparé.

Le prix fort que paient le peuple camerounais et le Cameroun comme pays ne s’arrêtent pas là. Cette accumulation vulgaire et illicite à la tête de l’État sape la renommée internationale du pays et de ses citoyens. Ces derniers, aux yeux des étrangers, souffrent d’une discrimination statistique qui fait de chaque Camerounais un truand en puissance. Une autre perte qu’enregistre le pays est que sa justice a désormais pour fonction, non de rendre justice, mais de rattraper les faillites éthiques et morales du pouvoir en place. On peut alors comprendre que les Camerounais anglophones aient besoin de leurs propres institutions car celles des francophones sont polluées par le « Biyaïsme effectif ».

La revendication du fédéralisme prend d’après vous un nouveau sens avec ces pillages continus des biens de l’État camerounais ?

Il se passe que l’État camerounais est pillé par une clique, très souvent du centre-sud du pays, majoritairement francophone, et issue d’un parti francophone au pouvoir le RDPC. Pour paraphraser feu Charles Ateba Eyene, je dirai que « le pays organisateur » est aussi le pays spoliateur du Cameroun. Ces données objectives et politiques montrent que ce sont majoritairement les Camerounais francophones qui dirigent le Cameroun mais le pillent aussi. Par conséquent, le fédéralisme se présente, dans une telle situation, comme une solution pour que les uns ne subissent pas les effets négatifs de la mal gouvernance des autres. Via un fédéralisme ou, ce que je préfère encore plus, une décentralisation poussée, les Camerounais de chaque localité peuvent se rendre justice en générant eux-mêmes dans leurs régions les biens publics pour leur bien-être. Sans cela, la mauvaise gestion de l’État unitaire et centralisé va continuer à affecter négativement ceux qui n’y sont pour rien mais paient les externalités négatives qui en découlent. Avec les régions et la décentralisation qui la sous-tend, la région est responsable de son destin politique, économique et sociétal, responsable de ses actes. Si ça ne marche pas elle s’en prend uniquement à elle-même. Avec cela le Cameroun peut sortir d’une élite nationale qui met le pays en faillite politique, économique et sociétale. Même si la crise civique et morale dont je parle peut avoir des sources plus profondes, un pouvoir exécutif plus décentralisé peut aider le pays à sortir du cercle vicieux d’élites pilleuses qui remplacent d’autres élites pilleuses d’années en années. Contrairement à ce que disait Paul Biya il y a quelques années, je pense que quand Yaoundé respire, c’est-à-dire pille l’État, le Cameroun s’enfonce dans la pétaudière.

Vous dites dans votre ouvrage que la sortie de cette crise éthique, morale et civique ne sera pas facile. Pourquoi ?

Pour deux raisons fondamentales. La première est liée au fait que je pense les racines de la crise civique actuelle plus profondes. Il me semble que la façon dont s’est négociée l’indépendance camerounaise est cruciale dans la structure éthique et morale de ceux qui dirigent ce pays depuis 1960. Les gens qui aimaient ce pays au point de perdre leur vie pour son indépendance immédiate et sans conditions, n’ont pas eu le pouvoir. Celui-ci est entre les mains de ceux qui n’ont jamais rien risqué pour ce pays ou milité pendant une seule minute pour son indépendance réelle. Je pense donc que la cause de cette crise civique se trouve aussi dans le fait que l’éradication des Camerounais qui avaient une très haute idée de leur pays, a mis à la place une élite camerounaise qui n’a jamais milité pour rendre réellement indépendants le Cameroun et les Camerounais. Ce sont ces parvenus politiques parrainés par le système colonial qui reproduisent la colonisation sur leurs compatriotes.

La deuxième raison est d’ordre générationnelle. Le jeune leader politique camerounais n’a plus pour modèle qu’un aîné pilleur de l’État. Le jeune fonctionnaire n’a plus pour modèle qu’un aîné pilleur de l’État. Le jeune étudiant n’a plus pour modèle qu’un professeur ou un recteur d’université pilleur de l’Université d’État. Ainsi de suite. Cela veut dire que les jeunes n’ont plus que des contre-modèles qui, pourtant, dans la logique du « Biyaïsme effectif », sont les réussites au sein d’une société camerounaise où on ne jure plus que par le « j’ai donc je suis ».

Sortir le pays des contre-modèles qui deviennent des modèles de la société camerounaise sera très très difficile. La preuve en est qu’on sanctionne mais ça continue de plus belle, signe que le mal est profond parce que justement d’ordre éthique, moral et spirituel.

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