Cour pénale internationale (CPI): quand un jeune écrivain clarifie les rapports Afrique/CPI
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Cour Pénale Internationale (Cpi): Quand Un Jeune Écrivain Clarifie Les Rapports Afrique/Cpi :: Africa

A la fois diplômé de la Chaire UNESCO des Droits de l’Homme et de la Démocratie (Bénin) et de l’Institut International des Droits de l’Homme (IIDH-Strasbourg, France), le jeune juriste Aubin DASSI NDE vient de publier aux Editions EDILIVRE un ouvrage à forte inclination polémique intitulé : La Cour pénale internationale – Une chance en Afrique (Edilivre, Paris, janvier 2018, 316 pages).

Tout en s’efforçant de proposer d’une part une clarification actualisée des quatre crimes rentrant dans le champ de compétence matériel de la CPI et, d’autre part, des suggestions justifiées de réformes du Statut de Rome de la CPI, l’auteur ne manque pas de tourner en dérision les critiques acerbes élevées en Afrique comme ailleurs contre cette juridiction internationale.

Sans méconnaître les imperfections de la CPI qui s’améliore au fil du temps, ni manquer de fustiger les pesanteurs de certaines Grandes-Puissances (Etats-Unis, Chine, Russie, etc.), l’auteur loue l’opportunité de l’action de cette Cour en Afrique, en développant un argumentaire digne d’intérêt, agrémenté de citations fort saisissantes. Ce livre qui suscite actuellement de vives polémiques au sein des classes intellectuelles africaines pourrait être appréhendé sous quelques points saillants :

I- Une dynamique de réception de la CPI en Afrique

L’on apprend d’une part en lisant cet ouvrage que nonobstant le retrait effectif du Burundi, l’Afrique compte encore le plus grand nombre d’Etats parties au Statut de Rome[1] et, d’autre part, que le tout premier Etat au monde à ratifier le Statut de la CPI était africain (le Sénégal), que tout premier Etat au monde à renvoyer une situation devant la CPI était africain (l’Ouganda), le deuxième encore un Etat africain (la République Démocratique du Congo - RDC), le troisième toujours un Etat africain (le Centrafrique), et ainsi le quatrième (Côte d’Ivoire), et ainsi le cinquième (Mali), puis le sixième (Centrafrique une fois de plus) et le septième, Gabon, dont le Ministre de la Communication, Alain-Claude Bilie By Nze, précisait récemment sans équivoque : « […] le Gabon a déjà saisi, de sa propre initiative, la CPI, seul juge international reconnu par tous […] Nous nous en tiendrons à ce que dira la CPI. Nous n'entendons, à ce stade, accéder à aucune autre demande d'enquête internationale. » [2]

L’auteur cite, entres autres, pour illustrer cette dynamique de réception, ces propos de l’ancien Chef d’Etat centrafricain Cathérine Samba-Panza : «Ce n'est pas la première fois que la République centrafricaine sollicite le concours de la Cour pénale internationale. En décembre 2004, mon pays a déjà déféré devant votre Cour la situation concernant les crimes commis au cours du conflit de 2002-2003, ce qui a abouti à l'arrestation et à la comparution de M. Jean Pierre Bemba Gombo devant la Cour […] Depuis août 2012 au moins, la République centrafricaine est profondément ébranlée par l'une des crises les plus graves de son histoire récente. Je parle ici d'un conflit armé dans lequel les atrocités et les crimes les plus odieux ont été commis […] Si nous voulons œuvrer pour obtenir une paix et une réconciliation durable entre tous les Centrafricains, nous ne pouvons fermer les yeux sur ces crimes. Pour sceller la réconciliation et rétablir durablement la paix en Centrafrique, il faut que la justice soit rendue aux victimes dans un pays dont les fondations se sont écroulées et où la justice a jusque-là disparu […]»[3]

Encore en fonction ou pas, les dirigeants africains ratent difficilement l’occasion de solliciter l’intervention de la CPI le cas échéant, comme ils l’ont fait à l’occasion de l’esclavage des migrants africains récemment décrié en Libye. Tandis que pour Mahamadou Issoufou, Président du Niger, « L'esclavage est un crime contre l'humanité et je saisis l'occasion pour lancer un appel à la Cour pénale internationale pour qu'elle se saisisse du dossier» [4], Abdoulaye Wade, ancien Chef d’Etat du Sénégal, suggérait dans le même sens que « […] le Procureur de la Cour pénale internationale n’a qu’à sauto-saisir, immédiatement, pour que cesse la vente aux enchères d’esclaves en Libye.» La « vente aux enchères publiques de personnes humaines constitue une violation particulièrement grave des droits de l’homme et leurs auteurs devraient être poursuivis devant la Cour Pénale Internationale pour crimes contre l’humanité […] » [5]

II- Des contextes sociopolitiques africains sulfureux et cruels, propices à l’action de la CPI

De Tunis au Cap, de Mombassa à Dakar, l’auteur présente sans ménagement les foyers de conflits armés qui jonchent notre continent, et les atrocités qui vont avec, facilités par l’incapacité ou au manque de volonté des Etats d’en juger les présumés auteurs, également facilités par la vacuité de mécanismes juridictionnels sous-régionaux ou régionaux pour en connaître (le Protocole de Malabo étant resté léthargique faute de ratifications suffisantes) :

« Le continent africain, se désole DASSI NDE, est confronté à de nombreuses crises charriant chacune son cortège de crimes ou de massacres généralisés, face auxquels l’on n’entrevoit toujours pas de solutions juridictionnelles africaines. Le terrorisme semble y avoir trouvé son champ de prédilection : tandis qu’au Kenya et dans la corne de l’Afrique les Shabbabs massacrent à longueur de journée, en Afrique centrale et de l’ouest (au Tchad, au Cameroun, au Nigeria et au Niger), des femmes, des enfants, des hommes sont spoliés, exterminés, violés, décapités par Boko Haram. De même au Mali, au Burkina Faso comme au Niger, Aqmi, Ansar Dine, Al Mourabitoune perpétuent des attentats ou des attaques et déciment des vies humaines, tandis que Ansar al-Charia repend son lot de désolation sur la Tunisie. La terreur s’abat sur les villes et villages de Libye, d’Egypte, du Burundi ou de la République du Congo, du fait des terroristes, de bandes armées plus ou moins identifiables, voire des indélicatesses de certains dirigeants. Nos populations civiles centrafricaines sont prises en tenaille par les horreurs de l’UPC, de l’UFDC ou des Antibalakas, tandis que les vautours saturniens planent chez nous dans le ciel de Bouake, où chaque jour sans mutinerie est une veille de mutinerie. Certains de nos Etats font des perpétrations de crimes d’agression et des essorages à l’est de la RDC leur principaux moyens de développement : des organisations rebelles aux allures de brigands par procuration, formées, financées, lourdement armées et soutenues de l’extérieur y poussent sans cesse telles des champignons vénéneuses, pour y répandre leurs nuées ardents de prédations et de désolations […]

Ici chez nous, tantôt des hommes, du seul fait de leur identité ethnique, sont arrêtés par centaines, au Kenya, circonscrits, et leurs verges systématiquement tranchées; tantôt nos tambourinaires se muent en sanguinaires, et nos tambours envoûtants du Burundi cèdent aux foudres écœurantes des atrocités ; tantôt nos bergères se muent à Maiduguri en bombes humaines, explosent en causant des carnages incommensurables, et les nuages floconneux de la désolation assombrissent le ciel bleu du Nigéria ; tantôt des flots de sang innocent inondent nos rues et nos carrefours gabonais à l’occasion d’une simple élection présidentielle ; tantôt l’or et le diamant de notre Bangui la coquette se muent en plombs chauds sifflant de toute part et supprimant aveuglément des vies humaines !

Ici chez nous, à Arlit, à Tessalit comme à Louqsor, les folles tempêtes de l’innommables foudroient nos dattiers comme nos tentes, nos chameaux comme nos caravanes et nos vies ! Il bave les laves visqueuses des crimes odieux sur les eaux étales du Kivu et du Lac Tchad ! Il pleut les flammes du mal et de la mort aveugles à Bambari comme à Mogadiscio, à Kidal comme à Goma, à Malakal comme à Kismaayo et Kaga-Bandoro! Les orties de la mort et de des atrocités poussent et prospèrent autour des puits de pétrole, et les colombes de la paix désertent le ciel de Juba, de Tripoli, de Misourata, de Benghazi ! Dans le Pool, à Kisangani comme à Bangassou, fini le « mboté », fini le « mibaramo », quand l’Homme croise l’Homme : plutôt les claquettes inextricables des mitraillettes et les cris d’agonie et les tonnerres élégiaques ! Baobabs et fougères frémissent, lions et gazelles terrifiés courent dans tous les sens dans nos forêts luxuriantes du Kasaï, quand tonnent et brulent et rugissent armée républicaine et sanguinaires de feu Kamuina Nsapu ! »

Ces contextes inextricables pétris de crimes odieux suscitent de temps à autres des jérémiades de la part de dirigeants africains, y compris chez ceux qui fustigent aujourd’hui l’action de la CPI en Afrique. L’auteur reprend ainsi ces cris désespérés d’Idriss Deby Itno, Président du Tchad, face à la Terreur innommable des hommes d’Omar Hassan El-Béchir du Sudan: « Au-delà du Darfour, la politique de la terre brûlée mise en œuvre par El-Béchir a été étendue à notre pays. Jusqu’à 60 km en deçà de la frontière, vous ne trouverez âme qui vive. Tous les villages ont été incendiés, rayés de la carte. Les hommes ont été exterminés, les femmes violées et les enfants réduits à l’esclavage. Les mêmes techniques ont été employées pour chasser du Darfour les 3 à 4 millions de déplacés que nous accueillons. Aucun village négro-africain ne subsiste au Darfour. L’Allemagne nazie et le régime sud-africain d’apartheid n’ont pas fait pire que les Djandjawids et l’armée soudanaise. Ceux qui disent qu’il n’y a pas eu génocide ignorent les faits […] Je l’approuve. J’affirme même la pleine détermination de mon pays à coopérer avec la CPI dans ce dossier [mandat d’arrêt international lancé par la CPI contre S.E. Omar El-Béchir, Chef de l’Etat du Soudan]. » [6]

L’auteur reprend également les appels au secours du Président ougandais Yoweri Kaguta Museveni lancés en direction de la CPI, face aux foudres de l’Armée de Libération du Seigneur de Joseph Kony qui sévissait au nord de l’Ouganda en se servant selon lui du territoire soudanais comme base de repli : « L'implication de la CPI dans la chasse à Joseph Kony est très importante, en particulier parce qu'elle nous permet de faire pression sur Khartoum. Si Kony est en Ouganda ou dans les régions du Soudan, où Khartoum nous autorise à opérer, alors nous n'avons pas besoin d'aide. On l'attrapera nous-mêmes. Mais si Kony pénètre plus profondément au Soudan, au-delà de la région où le gouvernement nous autorise à le poursuivre, alors nous avons besoin de l'assistance de la Cour pénale internationale pour que le gouvernement soudanais coopère avec nous et nous aide à l'attraper. » [7]

Ces contextes d’horreurs et de désolations propices à l’action de la CPI en Afrique, les dirigeants maliens semblent les avoir le mieux décrits dans leur courrier confidentiel daté du 13 juillet 2012 renvoyant la situation du mali devant la CPI, « dans la mesure où les juridictions maliennes sont dans l’impossibilité de poursuivre ou juger les auteurs », courrier reproduit in extenso dans l’ouvrage : « […] Il s’agit de violations graves et massives des droits de l’Homme et du Droit International Humanitaire commises notamment dans la partie Nord du territoire : les exécutions sommaires des soldats de l’armée malienne, les viols de femmes et jeunes filles, les massacres des populations civiles, l’enrôlement d’enfants soldats, les tortures, les pillages généralisés des biens appartenant aussi bien à l’Etat qu’aux particuliers, les disparitions forcées, la destruction des Symboles de l’Etat, des Edifices, des Hôpitaux, des Tribunaux ; des Mairies, des Ecoles, du Siège d’ONG et d’Organisme Internationaux d’aide, la destruction des Eglises, des Mausolées et des Mosquées […] » [8]

III- Des positions divergentes des dirigeants africains vis-à-vis de la CPI

Les dirigeants africains, encore en fonction ou pas, relève l’auteur, sont assez divisés vis-à-vis de la CPI, avec des positions que l’on pourrait situer entre trois clans : le clan des anti-CPI, celui des pro-CPI et celui des ambigus.

1- Les anti-CPI fustigent sans ménagement la légitimité et l’action de la CPI en Afrique. Tandis qu’Omar Hassan El-Béchir du Soudan estime que « Cette CPI fait partie des outils de déstabilisation du Soudan […] je ne me plierai pas et résisterai à cet acharnement politique qui instrumentalise la justice internationale […] »[9], la Gambie sous Yaya Jammeh n’y trouvait rien de mieux plus qu’une Cour utilisée pour « persécuter les Africains et surtout leurs dirigeants […] la CPI, bien qu'appelée Cour pénale internationale, est en fait une Cour internationale du Caucase pour la persécution et l'humiliation des personnes de couleur, en particulier les Africains. »[10] Cette position corrobore celle de Theodoro Obiang Nguema Mbasogo, Chef d’Etat de Guinée Equatoriale où Yaya Jammeh, Président déchu de Gambie, savoure un exile heureux : « […] nous sommes contre la Cour pénale internationale […] Le fait de convoquer un chef d’Etat africain encore au pouvoir à la CPI est aussi grave […] C’est une mesure discriminatoire. Nous, Africains, sommes malmenés et considérés encore comme des esclaves. Cela doit cesser. » [11]

Abondant dans la cette voie, le Burundi, par la voix d’Aimée Laurentine Kanyana, son Ministre de la Justice, rappelle qu’« il est temps, pour les pays africains, de ne plus être partie à ce Statut [Statut de la CPI, qu’il a signé en janvier 1999 et ratifié en septembre 2004], instrument de pression sur les gouvernements des pays pauvres et un moyen de les déstabiliser. » [12] L’ancien Président libyen Mouammar El-Kadhafi, un brin de

véhémence en plus, s’inscrivait dans cette logique de dénigrement de la CPI : « Il est facile de juger Charles Taylor, Bashir, ou Noriega. C’est une tâche aisée. Entendu, mais qu’en est-il de ceux qui ont commis des meurtres de masse contre les Iraquiens ? Ne peuvent-ils pas être jugés ? Ne peuvent-ils pas comparaître devant la CPI ? Si la Cour n’est pas capable de faire ce que nous lui demandons, alors nous ne devrions pas l’accepter. Ou bien elle est conçue pour chacun d’entre nous, petits ou grands, ou bien nous devons la rejeter […] il y eu la tuerie de Gaza en 2008 […] Les agresseurs sont connus et toujours en vie. Ils doivent être jugés par la Cour pénale internationale. Seuls les petits États et les pays du tiers monde sont-ils traduits devant cette institution, à l’exclusion des protégés ? Si elle n’est pas internationale, nous non plus ne la reconnaissons pas ; si elle est internationale, alors tous les pays doivent être justiciables. » [13]

2- Les pro-CPI soutiennent ardemment l’action de la CPI, trouvant en cette juridiction internationale le meilleur rempart de dissuasion contre les crimes graves, de punition de leurs auteurs et d’indemnisation des victimes. Seretse Khama Ian Khama, Président du Botswana, estime dans ce sens que « la CPI aide à envoyer un message fort que personne, indépendamment de sa station sociale, n’est au-dessus de la loi. Nous sommes également d'avis qu'il est important de dissiper l’idée selon laquelle les gouvernements et leurs dirigeants peuvent faire ce qu'ils veulent et que ces personnes devraient savoir qu'il y aura des conséquences pour leurs actions brutales contre les innocents […] » [14] Alassane Dramane Ouattara, Chef d’Etat de Côte d’Ivoire, partage la vision de Seretse Khama quand il martèle que « La Côte d’Ivoire ne quittera pas la CPI et je pense que la plupart des pays sont dans cette volonté […] Il s’agit de lutter contre l’impunité, c’est dans notre intérêt [Les Africains doivent] commencer par la justice au plan national et si possible ensuite au plan régional et continental mais ce n’est pas le cas aujourd’hui au niveau du continent. Donc la Cour pénale internationale fait son travail, souvent d’ailleurs à la demande des pays africains et des autorités africaines. » [15]

Le Président Macky Sall du Sénégal suggère quant à lui aux Africains d’éviter d’« affaiblir » la CPI, tout en relevant que son pays vit un paradoxe : « premier Etat à avoir ratifié le Traité de Rome [qui fonde et régit la CPI], il appartient à l’Union africaine, extrêmement critique envers La Haye. Il faut avant tout éviter d’offrir aux Etats d’Afrique le prétexte de rompre avec la CPI […] Dans le cas de Laurent Gbagbo, c’est la Côte d’Ivoire qui a saisi la CPI. Dès lors, celle-ci peut statuer.» [16] Blaise Compaoré, ancien Président du Burkina Faso, alors qu’il était encore en fonction, ne manqua pas non plus l’occasion de rappeler fort à propos que « […] Ce sont les Africains qui ont permis la création de cette cour. Sans nos voix, je ne suis pas sûr qu’elle aurait existé. Nous estimions que les crimes et les exactions commis sur notre continent ne pouvaient rester impunis. Or il faut bien le reconnaitre, nous ne sommes pas toujours en mesure de nous juger nous-mêmes. » [17]

L’on observe dans l’ensemble, en lisant entre les lignes ce livre, que les anciens dirigeants africains, haute sagesse oblige, sont particulièrement réceptifs à l’action de la CPI en Afrique.

Le Général Olusegun Obasanjo, ancien Chef d’Etat du Nigeria, se souvient ainsi que « Lorsque j'étais Président, j'étais parmi les premières personnes qui avaient signé le Statut de Rome [de la CPI], nous avions cru qu'il y avait là un moyen de traiter les problèmes d'impunité et que personne ne devrait s'y soustraire. S'ils sortent, ce qui est faux, Il doit y avoir un mécanisme pour assurer la justice. »[18] John Kufuor, ancien Chef d’Etat du Ghana,

rappelle dans cette logique que les pays africains ont signé le Traité instituant la CPI « quand personne ne [leur] pointait une arme […] Nous ne disons pas qu'il [un leader africain accusé] devrait aller à la CPI, mais que faisons-nous à ce chef pour que les autres dirigeants n'osent pas répéter de tels crimes contre leur peuple? » [19]

Moncef Marzouki, ancien Chef d’Etat de Tunisie, estime quant à lui qu’« […] il faut soutenir le peuple syrien […] Au nom de quel machiavélisme politique aurais-je soutenu la révolution dans mon pays et dans le même temps Bachar al-Assad, alors que sa place est devant la Cour pénale internationale [CPI] ? »[20] Des vœux que formule également Mohamed Morsi, ancien Chef d’Etat d’Egypte : « C'est le peuple syrien qui décide [...] Ce n'est pas moi qui le veux [que Assad soit jugé devant la Cour pénale internationale pour crimes de guerre], mais c’est le peuple syrien qui le veut [...] Cette phase est la phase du peuple. Pareil à ce que le peuple égyptien voulait, le peuple syrien le veut. Et nous soutenons le peuple syrien, et ils vont gagner, et ils ont la volonté de gagner. » [21]

Ces soutiens multiformes à la CPI en Afrique rencontrent en outre l’assentiment de nombreuses fortes personnalités citées dans cet ouvrage (leaders de la société civile, responsables religieux, etc.), à l’exemple de Mgr Desmond Tutu, l’ancien archevêque anglican du Cap en Afrique du Sud. Selon lui, bon nombre de dirigeants africains qui s'opposent à toute coopération africaine avec la Cour pénale internationale (CPI) sont motivés par la recherche d’une "licence de tuer" et ont besoin de la menace d'une poursuite de la CPI pour les dissuader. Parce qu'un certain nombre de ces dirigeants africains veulent être libres de tuer, pense Tutu, ils croient que «ni la règle d'or, ni la règle de droit ne leur sont applicables» et «ils accusent naturellement la CPI de racisme. » Les alternatives à la CPI « sont trop douloureuses: se venger comme ce qui s'est passé au Rwanda, au Kosovo et en Bosnie, ou procéder à une amnistie générale et emprunter le chemin de l'amnésie nationale, comme ce qui s'est passé au Chili. » [22]

Son célèbre compatriote et ami Nelson Mandela, de très regretté mémoire, ne rata pas non l’occasion de mettre en lumière son soutien à la CPI : « Nous avons cherché à faire en sorte que l'indépendance de la CPI soit garantie et qu’elle soit dotée de pouvoirs adéquats. Notre propre continent a assez souffert d'horreurs émanant de l'inhumanité des êtres humains vis-à-vis des êtres humains. Qui sait, beaucoup d'entre eux n'eussent peut-être pas eu lieu, ou au moins eussent été minimisés, s'il y eût une Cour pénale internationale efficace. » [23]

Ce rôle essentiel de la CPI sur la scène internationale, Abdou Diouf, ancien Président du Sénégal et ancien Secrétaire Général de la Francophonie, à l’instar de bien d’autres personnalités citées dans l’ouvrage, l’a relevé fort à propos en 2013 à la Haye : « Je me présente aujourd’hui, devant vous, avec l’inébranlable conviction qu’il faut répondre à l’ubiquité du crime par l’universalité de la justice, et que la Cour pénale internationale constitue, à cet égard, une avancée historique dans cette longue marche vers un Etat de droit de la société internationale, et qu’elle deviendra, avec le temps, une véritable force de dissuasion et un élément essentiel de prévention des crises […] peut-on tolérer, qu’au nom de la souveraineté, on massacre impunément son peuple ou une partie de son peuple? » [24]

3- Les ambigus constituent le clan de dirigeants qui élèvent des critiques acerbes et brandissent des menaces contre la CPI, tout en s’abstenant de franchir le pas pourtant

facile du retrait de leurs Etats du Statut de Rome, ou tout en sollicitant et bénéficiant des interventions de cette Cour.

L’Ouganda figure de nos jours parmi les pays qui dénigrent avec véhémence la CPI. Il demeure pourtant un Etat partie au Statut de la CPI et fut de surcroît le tout premier pays au monde à renvoyer, en décembre 2003, une situation devant cette Cour internationale. L’Ouganda est actuellement au monde le pays où les victimes de conflits armés bénéficient le plus de l’assistance du Fonds au Profit des Victimes institué auprès de la CPI. Sam Kutesa ancien Ministre des Affaires Etrangères de l’Etat d’Ouganda, traduit subtilement cette ambigüité en ces termes : « […] le Statut de Rome de la Cour pénale internationale prévoit d'abord l'épuisement des recours internes. Dans le cas d’El-Béchir, nous soutenons totalement la position de la CPI selon laquelle quiconque commet des violations des droits de l'Homme ou commet un génocide doit être jugé, mais nous sommes également membres de l'Union africaine qui a adopté une résolution dès que les actes d'accusation que nous, en tant qu'Union Africaine, devrions enquêter nous-mêmes sur la véracité de ces accusations et ensuite prendre position […] Nous sommes donc attachés à la CPI et attachés à la résolution de l'UA. Dès que l'UA prendra sa décision, nous nous conformerons, comme nous le devons, à nos obligations envers la CPI.» [25]

Le Tchad compte également parmi les pays qui fustigent avec ardeur l’action de la CPI en Afrique, son Président, Idriss Deby Itno, évoquant le « deux poids deux mesures » de cette juridiction. Ce pays a pourtant librement ratifié le Statut de la CPI et s’abstient d’envoyer au Secrétaire Général des Nations Unies son instrument de retrait. Mieux, tout comme l’Ouganda, ce pays a ardemment soutenu les poursuites et les mandats d’arrêts lancés par la CPI contre le Président Omar El-Béchir du Soudan. Le célèbre cinéaste tchadien Mahamat Saleh Haroun, qui jusqu’en décembre 2017 était encore Ministre de la Jeunesse, du Tourisme, de la Culture, des Sports et de l’Artisanat de l’Etat du Tchad, ne manqua d’ailleurs pas l’occasion de rabrouer les campagnes de dénigrements orchestrées contre la CPI : « Recourir à la CPI n’est pas une perte de souveraineté. Je crois qu’il faut faire attention, parce qu’il y a des fois des leaders d’opinion ou des intellectuels qui se mettent en avant, et qui trimbalent tout le monde, ou des dirigeants politiques […] C’est un esprit très mafieux que de penser que, parce que c’est un Africain qui a tué un Africain ou qui a exécuté des milliers d’Africains, il vaut mieux le juger par des Africains. Ça suppose que les autres ne comprendraient pas qu’il y aurait une explication essentialiste qui ferait que ces crimes-là ne pourraient être jugés que chez nous. C’est vraiment une insulte, je trouve, à l’intelligence, et je trouve regrettable que des Africains développent un discours qui, pour moi, est proprement raciste. Il nourrit le racisme de croire que nous sommes une exception de l’humanité, et que nos crimes ne peuvent être jugés que par nous-mêmes, comme si on était dans une espèce de tradition qui ferait que les autres ne comprennent pas tout à fait, et qu’il faut qu’on juge les choses entre soi. C’est scandaleux. » [26]

Les dirigeants de la République Démocratique du Congo (RDC), se situent quelque peu sur ce flanc insaisissable des ambigus. La RDC fut le deuxième pays au monde à renvoyer une situation devant la CPI en 2004. Cette saisine a abouti aux poursuites voire aux condamnations de leaders de milices armées qui sévissaient à l’est de la RDC, dont les victimes bénéficient encore des programmes d’assistance du Fonds au Profit des Victimes institué auprès de la CPI. Le Président Joseph Kabila saluait encore en 2013 l’action de la CPI dans son pays en ces termes non équivoques : « […] la quête de la cohésion nationale n’est pas synonyme d’impunité. Bien au contraire : sans justice, la réconciliation est factice ! C’est le sens de la réforme en cours de notre appareil judiciaire. C’est aussi celui de notre active coopération avec la Cour Pénale Internationale […] Quant aux compatriotes détenus à la Cour Pénale Internationale, ainsi que devant d’autres juridictions à travers le monde, au nom de la réconciliation nationale et du droit des citoyens à la protection consulaire, je charge le gouvernement de faire le suivi de leurs dossiers. » [27]

Cette position fut pourtant biaisée par ces propos tenus quelques mois après (mars 2014) par Lambert Mende Omalanga, actuel Ministre des Médias et Porte-parole du Gouvernement de la RDC : « J’ai entendu un officiel de la Cour pénale internationale prétendre que nos engagements avec la CPI étaient supérieurs à nos engagements dans l’Union africaine : c’est du racisme ! Comment cela peut-il ? Donc, ces Etats avec lesquels nous avons pris des engagements dans l’Union africaine seraient des Etats de quoi ? De seconde zone par rapport aux Etats membres du Statut de Rome ? Il ne faut pas parler comme ça ! Pour nous ce sont des engagements internationaux qui ont la même valeur contraignante. Nous sommes face à une contrariété et souverainement nous avons décidé d’appliquer nos engagements vis-à-vis de l’Union africaine, et personne n’a à nous juger pour cela. » [28]

Le lecteur décèle à travers ce livre bien d’autres positions ambigües, à l’exemple de celle d’Uhuru Kenyatta, Chef d’Etat du Kenya, pour qui la Cour pénale internationale « a cessé d’être la maison de la justice le jour où elle est devenue le jouet des puissances impériales en déclin. » [29]

Le Parlement kenyan avait pourtant adopté le jeudi 05 septembre 2013 une motion proposant au Gouvernement de « prendre toutes les mesures urgentes pour retirer le Kenya du Statut de Rome », motion demeurée sans suites. Mieux, le Président Kenyatta déclara une année après qu’il était « excité » et « soulagé » de voir la CPI prononcer l’abandon des charges contre lui : « Ma conscience est absolument claire », déclara-t-il également, avant d’ajouter que son cas avait été « précipité là-bas sans une enquête appropriée. » [30]

IV- Des réponses palpables et pertinentes de la CPI

En dehors de l’effet éminemment dissuasif de la CPI, l’auteur met en lumière les apports multiformes de cette Cour face aux sollicitations incessantes des Africains, couvrant un vaste champ d’offres tant juridictionnelles (plusieurs situations sous enquête, plusieurs enquêtes ouvertes, plusieurs procès vidés, etc.), sociales (assistance et indemnisation des victimes à travers le Fonds au Profit des Victimes institué auprès de la CPI) qu’intellectuelles (organisations régulières de séances de formation ou de renforcement des capacités du personnel juridictionnel à travers le continent africain), etc.

Enfin, pour accompagner cette action glorieuse de la CPI, DASSI NDE, s’appuyant sur la jurisprudence constante tant du Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY), du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) que de la CPI même, offre une clarification actualisée des quatre crimes rentrant dans le champ de compétence matérielle de la CPI. Argument à l’appui, il propose également des réformes du Statut de Rome de la CPI.

Références

[1] Des 123 Etats actuellement parties au Statut de Rome de la CPI, 33 sont africains, 19 d’Asie et du Pacifique, 28 d’Amérique Latine et des Caraïbes, 18 d’Europe Orientale, 25 d’Europe Occidentale et autres.

[2] Alain-Claude Bilie By Nze, déclarations faites au cours d’une conférence de presse à Libreville le 23/10/2017, repris sur VoaAfrica, [« Le gouvernement gabonais rejette toute autre "enquête internationale" que la CPI »], article publié en ligne le 23/10/2017.

(Source : https://www.voaafrique.com).

[3] Cathérine Samba-Panza, Discours prononcé à la 13ème Session de l’Assemblée des Etats Parties au Statut de Rome, à New York le 07/12/2014.

[4] Mohamadou Issoufou, déclarations faites le 21/11/2017 sur les antennes de la Radio Nationale du Niger, de retour de Bonn (Allemagne) où il assista à la COP23, reprises sur le site web 24heures.ch, « Esclavage en Libye: la CPI appelée à agir », article publié en ligne.

(Source : https://www.24heures.ch).

[5] Abdoulaye Wade et son parti le Pds, dans un communiqué cité sur Actusen.sn, [Pour Me Wade et le Pds, “le Procureur de la Cour pénale internationale n’a qu’à sauto-saisir, immédiatement, pour que cesse la vente aux enchères d’esclaves en Libye”], article publié en ligne le 20/11/2017.

(Source: http://actusen.sn).

[6] Idriss Deby Itno, Chef d’Etat du Tchad, interview accordée à Jeune Afrique Magazine, publiée le 15 juillet 2009.

[7] Yoweri Kaguta Museveni, Chef d’Etat d’Ouganda, déclarations faites au cours d’un entretien diffusé vendredi 10 juin 2005 par l'agence d'information des Nations Unies, repris par MUN Claude-Adrien, « Ouganda », in La Croix, publié le 14/06/2005.

[8] Malick Coulibaly, ancien Ministre de la Justice du Mali, Courrier confidentiel N° 0076/MJ-SG du 13/07/2012, ayant pour objet le « Renvoi de la situation au Mali », adressé à Madame Le Procureur près la CPI par l’Etat du Mali.

[9] Omar Hassan El-Béchir, cité par Joan Tilouine, [Omar Al-Bachir: « Ça fait longtemps qu’on me traite de dictateur »], interview accordée au journal LE MONDE le vendredi 20/02/2015 à Khartoum, publiée en ligne le 23/02/2015, mise à jour le 12/03/2015.

[10] Sheriff Bojang, ancien Ministre de la Communication de l’Etat de Gambie, cité sur lusakatimes.com, “Zambia is still a member of the ICC”, article publié en ligne le 28/10/2016.

[11] Theodoro Obiang Nguema Mbasogo, déclarations faites à Sipopo au cours d’une interview accordée à Frédéric Boungou et Alain Njipou, Le Messager, « Obiang Nguéma : « Les présidents africains ne doivent plus avoir peur de l'Occident », article publié en ligne le 25/10/2013.

[12] Aimée Laurentine Kanyana, citée par Aymeric Janier, « Le Burundi accélère sa rupture avec la CP », article publié en ligne le 21/10/2016 (Source : http://www.lemonde.fr).

[13] Mouammar El-Kadhafi, Discours prononcé à New York en septembre 2009 lors de la 64ème Session de l’Assemblée Générale des Nations Unies

[14] Lt. General Dr. Seretse Khama Ian Khama, extraits de son Discours prononcé devant la 10ème Session de l’Assemblée Générale des Etats Parties à la CPI, à New York le 12/12/2011.

[15] Alassane Dramane Ouattara, déclarations faites à l’occasion d’une visite officielle à Paris le 22/11/2016, cité en ligne le même jour par jeuneafrique.com avec AFP, repris par africanews.com, ["La Côte d'Ivoire ne quittera pas la CPI" - Alassane Ouattara], article publié en ligne. (Source : http://fr.africanews.com)

[16] Macky Sall, déclarations faites au cours d’une interview accordée au journal français l’Express, citées le jeudi 28/01/2016 par le site dakaractu.com, reprises par Sylla Arouna, linfodrome.com, « CPI, procès Gbagbo et blé Goudé, /Voici la réaction du Président sénégalais Macky Sall », article publié en ligne le 03/02/2016 (Source: http://abidjantv.net)

[17] Blaise Compaoré, déclarations faites au cours d’une interview accordée à Jeune Afrique Magazine, n° 2792 du 13 au 19 juillet 2014.

[18] Olusegun Obasanjo, déclarations faites lors d’une interview accordée au Sunday Monitor en février 2016, reprisse par Frederic Musisi, "Nigeria: No Leader Should Enjoy Impunity, Says Obasanjo”, article publié en ligne le 28/02/2016 (Source: http://allafrica.com).

[19] John Kufuor, cité par Eriasa Mukiibi Sserunjogi, “Ghana’s Kufuor says two terms are enough”, Article publié en ligne le samedi 03/08/2013 (Source: http://www.monitor.co.ug).

[20] Mohamed Moncef ben Mohamed Ahmed Bedoui-Marzouki, aujourd’hui à la tête d’Al-Irada, parti d’opposition qu’il a fondé, cité par Jules Crétois, [Tunisie – Moncef Marzouki : « La révolution n’est pas terminée »], article publié en ligne le 16/01/2018 (Source : http://www.jeuneafrique.com).

[21] Mohamed Morsi, déclarations faites au cours d’une interview accordée à Wolf Blitzer, CNN, reprises sur le site web du Wilson center, "Egypt: Interview with Mohamed Morsi," article publié en ligne le 14/01/2013 (Source: https://www.wilsoncenter.org).

[22] Desmond Tutu, “In Africa, Seeking A License To Kill”, article publié dans le New York Times le 11/10/2013, cité par le Professeur émérite Edward S. Herman, “Desmond Tutu on the International Criminal Court”, article publié sur son Blog le 03/12/2013. (Source : https://www.blackagendareport.com).

[23] Nelson Mandela, cité par la CPI, “Statement by the International Criminal Court on the passing of Nelson Mandela”, Communiqué de presse publié sur son site web le 6/12/2013. (Source: https://www.icc-cpi.int).

[24] Abdou Diouf, Discours prononcé à la Haye le 20 novembre 2013 lors de la 12ème Session de l’Assemblée des Etats parties de la CPI.

[25] Sam Kutesa, déclarations faites au cours d’une interview accordée à Angelo Izama, "Ugandan Foreign Minister on Peace-keeping and the Al Shabaab,” article publié en ligne le mardi 04/08/2009 (Source : http://angeloizama.com).

[26] Mahmat Saleh Haroun, Emission Internationales, TV5 MONDE, 02/04/2017.

[27] Joseph Kabila, Discours prononcé au Parlement congolais (RDC) le 23/10/2013.

[28] Lambert Mende Omalanga, déclarations faites au cours d’une des éditions de l’Emission Internationales sur TV5 MONDE, reprises sur Youtube, «Lambert Mende Omalanga sur TV5MONDE : Pourquoi la RDC refuse … », vidéo publié le 09/03/2014 (Source: https://www.youtube.com).

[29] Uhuru Kenyatta, déclaration faite au cours du Sommet de l’UA en octobre 2013, reprise par Kenneth Roth, Directeur Exécutif de Human Rights Watch, « La CPI est un dernier recours pour les victimes », article publié en ligne le 25/02/2014 par The New York Review of Books et Jeune Afrique. (Source : http://www.jeuneafrique.com).

[30] Uhuru Kenyatta, cité par la BBC, "ICC drops Uhuru Kenyatta charges for Kenya ethnic violence", article publié en ligne le 5 décembre 2014 (Source : http://www.bbc.com).

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