Ces dérives qui entourent l'exploitation forestière au Cameroun
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Ces Dérives Qui Entourent L'exploitation Forestière Au Cameroun :: Cameroon

Les communautés riveraines ont dénoncé. Mutations s’est rendue sur le terrain, notamment dans les arrondissements de Messamena dans le département du Haut-Nyong, région de l’Est et de Minta dans le département de la Haute Sanaga, région du Centre. Dans l’une comme dans l’autre localité, les sources de conflits entre exploitants forestiers, villageois, municipalités, voire administration sont les mêmes. Parmi celles-ci, le non-respect des engagements, la corruption, la mauvaise gestion, le manque de suivi, la complicité des agents. La présente série se propose de présenter quelques-uns de ces maux.

Cahier de charges :première cause de déchirement

Dialogue de sourds entre communautés villageoises entrepreneur à cause de l’absence des documents écrits.

Par Adrienne Engono Moussang

Même si l’on observe un calme apparent, il faut dire que les six derniers mois ont été agités autour de la forêt des huit villages de l’arrondissement de Messamena, dans le département du Haut-Nyong, région de l’Est, concernés par l’exploitation de l’unité forestière d’aménagement (Ufa 10-048); ainsi que dans le village Ngo’o, dans l’arrondissement de Minta, autour de la vente de coupe (Vc 0801236). Les deux concessions forestières sont exploitées par deux entités différentes, Société forestière du Haut-Nyong (Sofonhy), pour L’Ufa 10-048 et Express Affaire pour la Vc 0801236 attribuée en 2015. Mais les problèmes posés par les riverains sont presque les mêmes et se résument en «le non-respect des engagements vis-à-vis des commu-
nautés villageoises».

« Nous avons les 100 chaises en plastique, l’adduction d’eau et la construction d’un espace commercial qui sont toujours attendues. La société nous a remis des houes, des meules, des machettes et des tôles qui ne sont pas de bonne qualité », reprend André Atangana, le chef de village de Ngo’o. Sur le terrain, l’on aperçoit la violation des limites de la Vc sur près de deux kilomètres (côté opposé à la concession). Difficile de transporter les produits des champs par moto ; des jeunes arbres ne pouvant plus résister au vent après que les plus robustes ont été coupés tombent et obstruent la piste. Les ponts et les autres moyens de communication sont absents.

Mais au-delà de ces aspects techniques parfois difficiles à prouver par le premier venu, Messamena, les villages Dimpam, Mejoh, Nemeyong II, Kompia, Malène II, III et V, Bifolone, etc. continuent d’attendre l’exploitant de leur forêt. Les chefs de ces villages ont adressé des lettres au Réseau des chefs traditionnels d’Afrique (Rectrad) sollicitant son intervention face aux promesses non-tenues par Sofohny. Ici, l’exploitant avait, entre autres, promis de construire une salle de classe à Dimpam. «Mais nous n’avons rien vu», clame Destin Mati, riverain de l’Ufa.

Joint au téléphone, le directeur de Sofohny a réagi en disant qu’il ne s’est pas dérobé des promesses faites aux populations riveraines de l’Ufa 10-048. « Je suis sinistré. Un incendie a consumé mon unité de transformation basée à Yaoundé. Je suis étonné que malgré tout cela, les communautés riveraines m’accusent. Ce sont des promesses que j’ai délibérément faites, sans aucune contrainte », va-t-il reconnaitre, en souhaitant garder l’anonymat. Sur la présence des Chinois dans son entreprise, le responsable de Sofohny va s’insurger par une série de questions: « Pourquoi ceci fait-il problème ? Sofohny est enregistrée dans le fichier des entreprises camerounaises, pour quelle raison s’attarder sur la provenance des fonds ? Nous utilisons le franc cfa au Cameroun. Cette monnaie est-elle battue sur place ? ».

L’entrepreneur insiste plus sur le cahier de charges officiellement signé avec l’administration qu’il respecte scrupuleusement depuis cinq ans. En réalité, à Messamena comme à Minta, les riverains reconnaissent n’avoir aucun engagement obligeant les exploitants forestiers à réaliser quoi que ce soit en contrepartie du bois coupé. « Nous ne le savions pas ! », confessent l’un après l’autre, les chefs des différents villages parcourus dans les deux forêts. La situation est similaire dans la majorité des exploitations forestières du pays.

La corruption présente à tous les maillons de la chaîne

Les communautés riveraines spoliées de leurs ressources plongent dans une extrême pauvreté.

Par Adrienne Engono Moussang

Les actes de corruption sont constamment décriés par des communautés villageoises riveraines des forêts exploitées. Ils vont des complicités à la confiscation de l’argent versé par les opérateurs. A Messamena, département du Haut-Nyong, région de l’Est, où se trouve l’unité forestière d’aménagement (Ufa 10-048) comme à Minta, département de la Haute Sanaga, région du Centre, dans la vente de coupe (Vc 0801236), la forêt se vide. Mais les populations ne voient pas les retombées. « Nous sommes convaincus que l’exploitant forestier ne peut pas couper le bois et le transporter sans reverser de l’argent », débite un habitant de Medjoh, dans l’arrondissement de Messamena. Celui-ci ne semble pas si bien le dire. « Les populations doivent s’adresser à leur maire. Je paie régulièrement la redevance forestière depuis 5 ans à concurrence de 147 millions de francs cfa l’an », confiera le directeur général de la Société forestière du Haut-Nyong (Sofohny). Celle qui exploite l’Ufa 10-048.

Ce responsable joint au téléphone va déplorer cette attitude des élus municipaux. Lui qui n’est pas à la première situation du genre. Car, dans ce même département, il a apporté les mêmes éclairages concernant la commune de Lomié. Approché, le maire Gérard Lomié s’était justifié en disant que : « Nous avons sélectionné une entreprise pour la construction des hangars. C’est une question de procédure que les populations ne comprennent pas. Si l’entrepreneur ne s’exécute pas, nous allons choisir un autre et je promets que dans deux mois les hangars seront disponibles.» Six mois après, rien n’a évolué.

100 milliards perdus chaque année

La corruption semble avoir été érigée en règle universelle dans le secteur forestier. « 20% seulement des impôts versés par les compagnies forestières aux communes sont investis dans le développement local.» C’est ce que révèle une étude du Centre de recherche et d’action pour le développement durable en Afrique centrale. Plusieurs travaux documentés ont été réalisés sur l’impact de la corruption dans le secteur forestier. Selon une enquête menée par Greenpeace Forest Monitor et le Centre pour l’environnement et le développement (Ced), 100 milliards Fcfa seraient perdus chaque année à cause de l’exploitation forestière qui a pour socle la corruption.

En 2013, la Commission anti-corruption (Conac) qui s’est intéressée à l’étude du phénomène sur l’axe Beka-Lom-Kousseri, dans le grand Nord, a constaté que le racket des transporteurs des produits forestiers (bois) était un sport favori pour les agents publics, forces du maintien de l’ordre y compris. Dans l’ensemble, des observateurs dans la filière forêt se réjouissent de la nette amélioration du fléau avec des mesures prises par le ministère des Forêts et de la Faune (Minfof).

Les complicités: forces de l’ordre, religieux, agents publics dans le lot

La présence remarquable de ces personnalités dans l’exploitation des forêts multiplie des mécontentements des riverains et des pertes dans ce secteur.

Par Adrienne Engono Moussang

Il n’est pas facile de trouver une forêt dont l’exploitation n’est pas querellée ; la majorité, sinon, la totalité des récriminations de l’activité émanent des populations riveraines. Et ces dernières n’hésitent à aucun moment à soupçonner les autorités et autres agents, concernés ou non par l’exploitation forestière. «L’entreprise Cta a imputé près de 67 millions de francs pour le pont qu’elle a construit, dans ce qu’elle devait nous reverser», regrette Timothée Engongomo Abomo, président du comité de gestion de la forêt communautaire d’Endoum, dans la Haute-Sanaga. Celui-ci s’exprimait lors d’une rencontre, suite aux dénonciations de l’exploitation abusive de leur forêt portées à notre connaissance. Ici, « le fait que beaucoup aient été interpellés et gardés à vue est synonyme de complicité des autorités », rapporte-t-il.

A Ngo’o, dans l’arrondissement de Minta, dans le même département, c’est le même sentiment. « Nous avons voulu faire grève mais le sous-préfet nous a interdit de le faire. Il nous a dit qu’une telle chose va nous créer des problèmes parce que nous serons traités comme des terroristes. J’ai été menacé par le chef parce que j’avais condamné la coupe sous diamètre de certaines espèces », témoigne Blaise Selma, du village Ngo’o.

Le cas Nasako Besingi ne saurait ne pas être cité ici. Bien que son combat ait été mené contre une agro-industrie (Herakles Farm), dans la région du Sud-Ouest, bien loin des régions du Centre, de l’Est et du Sud, il le faisait quand même pour s’opposer à l’accaparement et à la destruction massive de la forêt. Condamné pour diffamation et réunion illégale, M. Nasako va échapper à la prison grâce à la mobilisation des organisations de défense des protecteurs de l’environnement. Une somme de près de trois millions de Fcfa sera versée.

Gros bonnets
Les complicités sont un gros problème. « Comment un bois illégal peut partir d’une forêt du Centre, Sud ou Est et être acheminé jusqu’à Douala ou parfois jusqu’en Europe ? », s’interrogera un expert. Le phénomène est un véritable casse-tête pour l’administration en charge des forêts et de la faune. D’autant plus que les agents qui représentent cette administration sur le terrain ont moins d’influence que celles qui huilent le réseau d’illégalité. « Même si le bois réussit à sortir frauduleusement des forêts, il finit par être rattrapé. Mais il faut comprendre qu’il n’est pas facile pour
un agent du ministère des Forêts et de la Faune de s’opposer à un procureur, un administrateur ou à des gros bonnets.

Lorsque des pointes d’ivoire saisies par le Minfof disparaissent dans le bureau d’un sous-préfet, à qui revient la faute ? Je vais vous surprendre en vous disant que même les religieux sont dans le lot», renseigne une source au ministère des Forêts et de la Faune (Minfof). Pour celle-ci, le sommier des infractions est une preuve que le Minfof réussi à démanteler les réseaux de faussaires complices. Il indique que la fraude dans le secteur forestier se fait aujourd’hui de manière scientifique. « Il est difficile de transporter du bois volé aujourd’hui dans un grumier. L’opération ayant abouti à la saisie d’une cargaison des teck récemment nous l’a montré. C’est avec les lettres de voiture d’une société sucrière que le bois était convoyé.

L’agent du Minfof qui voit un tel véhicule ne peut pas imaginer qu’au lieu du sucre, c’est le bois qui est à l’intérieur », dit-il. Et d’ajouter : « Assez souvent, là où on coupe frauduleusement le bois, l’agent forestier n’arrive pas. C’est souvent avec l’accord des populations qui ne s’opposent que lorsque l’exploitant les lobe. »

Violation des droits:contrat de travail et bulletin de paie inexistants

Ces écarts observés dans des concessions forestières peuvent faire prendre un coup à la gestion durable des ressources naturelles à laquelle le Cameroun s’est engagé.
Par Adrienne Engono Moussang

Le Cameroun est dans la mouvance de la gestion durable des forêts. Même si l’Accord de partenariat volontaire, Application des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux entre le Cameroun et l’Union européenne (Apv-Flegt-Eu), signé en 2010 attend sa mise en œuvre effective depuis 2011 ; mise en œuvre qui attend l’effectivité et l’opérationnalité du système informatisé de gestion de l’information forestière deuxième génération (Sigif II).

Ledit accord prône un certain nombre d’exigences pour que le bois soit qualifié comme celui exploité dans les normes de respect de la gestion durable des forêts. Parmi ces exigences, le respect des droits des travailleurs et des populations riveraines dans les concessions forestières. « Bonne consultation au départ et ralentissement après, faible prise en compte des aspects liés aux droits et intérêts des communautés locales et autochtones, et autres aspects de gouvernance, etc. », comme l’atteste Patrice Kamkuimo, expert en gouvernance forestière. Or, des travers sont relevés dans les chantiers forestiers.
« J’ai travaillé pendant six mois dans l’unité forestière d’aménagement (Ufa). Nous travaillions de 6h à 18h, pour un salaire de 39.000Fcfa.

Ce que j’avais jugé intéressant. Seulement, en aucune fois je n’avais perçu cette somme. L’on trouvait toujours un prétexte pour me retenir de l’argent. Ce qui fait qu’à certains moments, je recevais même 15.000Fcfa. Nous étions payés sans bulletins de paie. Aucun contrat n’avait été signé », se souvient Alain Bidja, un jeune du village Kobilone, dans l’arrondissement de Messamena, département du Haut-Nyong, région de l’Est. Comme beaucoup de ses congénères, l’agriculture est l’activité qu’il pratique. Il a accepté de travailler dans l’Ufa pour trouver des moyens et agrandir son champ. Il faut dire que contrairement à son frère qui a été chassé, le jeune Bidja a démissionné.

Puissance

« Nous n’avons pas traité avec le directeur général. Ces agissements que nous décrions sont des intermédiaires, Camerounais et Chinois confondus », va-t-il nuancer. Des intermédiaires (Camerounais) qui organisent le racket pour des postes d’ouvriers. « Je leur ai donné du plantain et un coq. J’ai même été chanceux parce que plusieurs autres frères de la contrée ont donné des chèvres. Ils nous disaient que les places étaient très chères », rappelle M. Bidja. Une information reprise par une dizaine de personnes (hommes et femmes) rencontrées. La représentativité des communautés est faible.

Cette communauté composée de Bantous et de Bakas dit avoir été interdite d’accès, à un moment donné, à sa forêt communautaire pour le prélèvement des produits forestiers non-ligneux et même pour faire les champs. « La situation s’est arrangée, mais l’accès reste contrôlée », confesse Luc Bene Bene, riverain. En fait, la forêt communautaire est embrigadée par l’Ufa. Ce type de violation des droits des communautés riveraines n’est pas propre à Messamena. Il est souvent dénoncé dans la plupart des zones forestières au Cameroun. Certains riverains sont souvent réduits au silence face à la puissance de l’entrepreneur soutenu par les autorités administratives, l’élite, la municipalité et les forces de maintien de l’ordre. 

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