Au quartier musulman de Bangui, on ne veut plus de groupe armé
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Les rues cahoteuses du quartier musulman de Bangui, capitale de la RCA, fourmillent d'activités marchandes dans un brouhaha de pétarades et de klaxons, comme s'il s'agissait d'une journée ordinaire.
Mais sous cette tranquillité de façade se cache chez les commerçants la peur de sanglantes représailles.

Ce 25 janvier a expiré l'ultimatum lancée par Nimeri Matar Jamous, alias "Force", un des chefs des groupes "d'autodéfense" du quartier. Une semaine plus tôt, les commerçants ont décidé d'arrêter de le payer, lui et tous les autres groupes armés qui monnayent leur "protection".

"On va mettre fin à l'extorsion et au racket", assène Karim Yahya, un des commerçants du quartier musulman de Bangui. "Ça devient la base arrière de tous les malfrats!", abonde un homme proche de l'association des commerçants du quartier.

Lui ne veut pas parler à visage découvert: il risque sa vie. "Force" a proféré des menaces contre lui et ses confrères. Pour lui désormais, c'est "la liberté ou la mort", assure-t-il.

Pour l'instant, les habitants sont rassurés par le défilé inhabituel de véhicules blindés de la Mission de l'ONU en RCA (Minusca, 12.500 hommes) qui cheminent dans les ruelles étriquées du PK5.

"La Minusca circule avec des armes de manière incontrôlée, pour influencer la population", s'emporte "Force", contacté au téléphone par l'AFP.

- 'Mal nécessaire' -

Pourtant, la population et les groupes armés ont longtemps été unis. "C'est nous qui avons amené ces groupes, car l'Etat ne nous protégeait pas", raconte Karim Yahya.

Quand la coalition promusulmane de la Séléka a été chassé du pouvoir en 2014 après l'avoir pris de force en 2013, tous les musulmans se sont enfuis de Bangui ou réfugiés au PK5.

Pris à parti et attaqués par les milices anti-balaka - prétendant défendre les chrétiens -, les musulmans du PK5 ont alors financé des groupes d'"autodéfense", en grande partie composés d'ex-Séléka, pour protéger le quartier.

Avec le temps, ces groupes ont progressivement laissé place à d'autres bandes, mafieuses et désorganisées. A ceux-ci, les commerçants leur versent une "taxe" comprise entre 5.000 et 10.000 CFA (entre 10 et 15 euros) par boutique et par mois. Chaque camion de marchandises chargé ou déchargé s'acquittait également d'un impôt variant entre 25.000 et 50.000 CFA (entre 40 et 90 euros).

Ces commerçants les considéraient comme un "mal nécessaire". Désormais, le discours a changé. La raison ? Les violences incessantes dans le quartier ces derniers mois, et un match de football qui a dérapé, mi janvier.

- Essence et grenades -

Le 17 janvier, les jeunes de "Force" jouaient contre d'autres jeunes affiliés aux hommes de "Tola", une coalition de commerçants armés.

Le match suit son cours mais les esprits s'échauffent. Une grenade est lancée, les deux camps s'accusent tandis que plusieurs blessés sont évacués vers l'hôpital.

Furieux, des hommes de "Force" déboulent dans la boutique d'un frère de "Tola", aspergent son étal d'essence et lancent des grenades.

Les marchandises s'embrasent, l'incendie se propage et englouti le bâtiment sous l'oeil impuissant des commerçants, tenus en respect par les kalachnikovs des pyromanes.

"Ils tiraient sur le sol pour nous faire reculer", se souvient Abdoul, un boutiquier qui a vu bruler ses 32 millions de FCFA (48.000 euros) de tissus de wax.

Résultat, 47 boutiques parties en fumée. Plus de 1.161 milliards de CFA (2,5 millions d'euros) de stock réduits en cendres, selon Karim Yahya, devenu secrétaire général du collectif des victimes de cet incident.

Un événement de plus, qui s'ajoute à la longue liste des dérapages amputant le chiffre d'affaires de ce quartier commerçant.

En décembre, un affrontement entre groupes armés avait fait sept morts. Mi-novembre, c'était un bar du quartier et les violences qui avaient suivi qui avaient fait sept morts et une vingtaine de blessés.

Sans compter les punitions infligées par "Force" et sa bande: "si on conteste ses ordres, ils nous attachent les mains et nous électrocutent. Si on leur coupe la route, ils nous font boire l'eau du canal", l'eau usée du quartier, explique Abdoul.

Les commerçants excédés ont aussi déposé une vingtaine de plaintes contre ces groupes et demandé à l'Etat et à Minusca le démantèlement de leurs bases, une quinzaine en comptant celles des bandes armées plus informelles.

De quoi donner du fil à retordre aux forces de l'ordre, si elles décident de passer à l'action. Dans le cas contraire, Karim Yahya continuera à résister.

"Si la Minusca ne le fait pas, on va prendre nos responsabilités", assure-t-il impassible, alors que la majorité des habitants du PK5 sont armés. Et Karim d'ajouter: "avoir peur ne sert plus à rien. Est-ce qu'on peut perdre plus que ce qu'on a déjà perdu ?"

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