Crise sécessionniste : La Manyu, département martyr
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Située dans le Sud-Ouest, cette unité administrative est le principal foyer d’affrontements entre l’armée et les miliciens de l’Ambazonie.

Un décompte non-officiel fait état de ce que, entre le 28 novembre 2017 et le 06 janvier 2018, 15 hommes en tenue en mission du maintien de l’ordre ont été tués dans les régions du Nord- Ouest et du Sud-Ouest. Soit deux dans la première circonscription et 13 dans la seconde. 12 éléments des forces de défense et de sécurité du Cameroun ont été abattus dans le seul département de la Manyu (cheflieu Mamfe), l’un des six que compte le Sud-Ouest, contre un seul dans le département de la Mémé. Tout au long du mois de décembre dernier, les combats ont fait rage dans la Manyu entre l’armée camerounaise et les « forces de défense ambazoniennes ».

A en croire un officier supérieur de l’armée camerounaise, la fréquence des attaques y était même plus élevée qu’aux premières lueurs de Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord, fin 2014. D’une superficie de 9 565 km², la Manyu compte quatre arrondissements (Akwaya, Eyumodjock, Mamfe et Tinto) pour une population estimée à plus de 200.000 habitants. Selon la presse d’expression anglaise, la circonscription administrative a été vidée de plus de 60% de sa population depuis novembre 2017. En effet, de folles rumeurs ont agité l’opinion au sujet d’un bombardement programmé de certaines localités du département par l’armée qui y traque les combattants séparatistes. Dans un communiqué publié le 02 janvier dernier, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Hcr) indiquait que, fuyant les combats entre l’armée camerounaise et les sécessionnistes dans les régions anglophones du Cameroun, 7204 Camerounais sont arrivés récemment dans les zones reculées de l'Etat de Cross River, au Nigeria. Et que des milliers d'autres attendent d’être enregistrés. Ils viendraient majoritairement de la Manyu.

Epicentre

Le ministre délégué à la présidence chargé de la Défense, Joseph Beti Assomo, y a passé le réveillon du Nouvel an 2018 avec les soldats. C’était très exactement à Dadi, village de l’arrondissement d’Akwaya, où les sécessionnistes avaient hissé leur drapeau le 13 décembre 2017, avant d’être délogés par le Bataillon d’intervention rapide (Bir). Pourquoi la Manyu cristallise-t-elle autant aujourd’hui la montée de fièvre sécessionniste dans l’ensemble de la partie anglophone ? « Le fait que la Manyu est devenue l’épicentre de la lutte pour la sécession peut s’expliquer par plusieurs facteurs. D’abord, le leader proclamé de cette sécession y est originaire ; ensuite, la position géographique de ce département !

C’est également l’une des zones les plus enclavées du pays ! Les difficultés d’accès et l’importance du couvert végétal donnent un terrain propice aux actions de guérilla, en plus de la possibilité de repli ou de ravitaillement du côté du Nigeria. La ville de Mamfe se situe à environ 70 km de la frontière nigériane. Les autres départements qui l’entourent l’éloignent et l’isolent des centres de décisions et du reste de la région », explique l’historien et analyste sociopolitique Ahmadou Séhou. De plus, par sa localisation centrale et sa proximité avec la frontière, poursuit l’enseignant à l’université de Maroua, «la cuvette de Mamfe offre d’indéniables atouts stratégiques au plan militaire. Pour les sécessionnistes, c’est un terrain idéal pour les attaques sporadiques et ciblées ». Cet environnement escarpé, enclavé, forestier et frontalier expose d’autant plus les forces régulières qu’« il leur est difficile de cacher leurs mouvements ou leurs positions à l’ennemi qui peut se fondre dans la masse ou dans la nature dont il a meilleure connaissance et maîtrise. C’est également la meilleure jonction entre les deux régions anglophones en crise », conclut Ahmadou Séhou.

Drapeau

L’historien, écrivain et homme politique Enoh Meyomesse, lui, établit une corrélation entre une trop grande proximité de la Manyu avec le Nigeria, la forte présence de ressortissants de ce pays voisin « naturalisés camerounais » et la radicalisation de ce département. « Plus on s’éloigne du Nigeria, moins on rejette le Cameroun, plus on s’y rapproche, plus on rejette le Cameroun. Ou encore, plus on se rapproche du Nigeria, plus son influence est importante ; plus on s’en éloigne, plus elle est faible », analyse-t-il. En d’autres termes, « un Camerounais authentique, c’est-à-dire de cœur et non de papier, ne peut, quelle que soit la raison, mettre le feu au drapeau national, à moins d’avoir bu une quantité importante d’alcool. Seul un Camerounais d’adoption, qui nourrit peu de sentiments envers notre pays, peut le faire.

Un Camerounais, authentique ne peut, quelle que soit la raison, aller mettre le feu dans une de nos ambassades à l’étranger et, pis encore, y lever un drapeau étranger. Cela est impossible. Il suffit de voir combien les sportifs camerounais jubilent avec leur drapeau pendant les rencontres sportives, alors que très souvent, ils ont même été floués dans leurs primes. Mais, aucun d’eux ne songe à profaner le drapeau national. Un Camerounais, authentique ne peut se permettre d’égorger un militaire, un gendarme, un policier camerounais, en dehors d’une bagarre. Donc d’un acte non-délibéré. Seul un Camerounais d’adoption peut le faire », relève l’intellectuel, sentencieux. Analysant la situation dans la région du Sud-Ouest, un autre universitaire, haut cadre du parti au pouvoir et ancien ministre, remonte plus loin dans l’histoire du Cameroun. Bien que ne disposant pas des références statistiques du referendum du 11 février 1961, il affirme que la majorité des votes du Sud-Ouest n’étaient pas pour le rattachement au Cameroun.

En représailles à ce rejet, au départ, « le président Ahidjo décida de n’appeler aux affaires presqu’exclusivement les originaires du Nord-Ouest. Au poste de Premier ministre, on aura successivement John Ngu Foncha et Solomon Tandeng Muna. La plus haute fonction occupée par un ressortissant du Sud-Ouest était celle de vice-ministre de l’Education nationale ». Il s’agissait de Martin Ngeka Luma, devenu par la suite leader du Southern Cameroon’s National Council (Scnc). Pas surprenant donc, à l’en croire, que la Manyu soit aujourd’hui le foyer des tensions sécessionnistes.

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