L'ACCELERATION DU PROCESSUS DE DECENTRALISATION AU CAMEROUN : QUELLES ORIENTATIONS POUR QUELLES PERSPECTIVES ?
CAMEROUN :: POINT DE VUE

L'acceleration Du Processus De Decentralisation Au Cameroun : Quelles Orientations Pour Quelles Perspectives ? :: Cameroon

Dans son discours de fin d’année 2017 à la Nation, le Président de la République affirme : « Les consultations que j’ai menées, mais aussi les multiples avis et suggestions que j’ai recueillis, m’ont conforté dans l’idée que nos concitoyens souhaitent participer davantage à la gestion de leurs affaires, notamment au niveau local. Je crois fermement à cet égard, que l’accélération de notre processus de décentralisation va permettre de renforcer le développement de nos régions. J’ai dans cette optique, prescrit la mise en œuvre des mesures nécessaires pour concrétiser rapidement cette réforme majeure. »

Ces propos du Président de la République me donnent l’occasion d’affirmer sa ferme volonté de concrétiser la réforme majeure de la décentralisation qui constitue un pilier de son septennat des « Grandes Réalisations », et un gage essentiel pour l’émergence du Cameroun en 2035. Ils interviennent dans un contexte marqué par des revendications d’une frange de la population des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, fondées sur les frustrations et la marginalisation qu’ils subissent dans la société, et qui réclament le retour au fédéralisme à deux Etats voire même au sécessionnisme. Certains partis politiques en ont profité pour soutenir cette revendication et réclamer à leur tour un retour au fédéralisme. Face à ces revendications, le gouvernement n’entend pas négocier la forme actuelle de l’Etat unitaire décentralisé consacré par la constitution du 18 janvier 1996, et l’engagement du Président de la République pour l’accélération du processus de décentralisation, traduit ainsi sa ferme détermination pour le respect de la Constitution qui fait du Cameroun un Etat unitaire décentralisé. Il vise à concrétiser un vœu qui lui est cher et qu’il a exprimé auparavant en ces termes : « L’objectif ultime de mon action demeure le développement durable du Cameroun au profit des Camerounais. Il s’agit de donner à chaque Camerounais la possibilité de se nourrir, de se soigner, de se loger, d’élever ses enfants et d’assurer leur scolarité, d’aller et venir en toute saison et en toute sécurité, de bénéficier d’un emploi. C’est une très grande ambition, la plus grande des ambitions qui sont les miennes et que je veux voir se transformer en réalité pour tous. »

L’espoir pour la réalisation d’une si grande ambition trouve pleinement sa justification dans la décentralisation dont la concrétisation rapide du processus de mise en œuvre permettra de renforcer le développement harmonieux des régions et du territoire national. En effet, la décentralisation consiste en un transfert par l’Etat, aux collectivités territoriales décentralisées, de compétences particulières et de moyens appropriés. Il s’agit d’une dévolution par l’Etat à des autorités locales élues de moyens et de compétences pour la mise en œuvre de services publics. Cela signifie que les collectivités locales, que sont les communes et régions, deviennent entièrement responsables des décisions dans leurs domaines de compétences. Ces collectivités publiques locales sont plus à même, qu’une administration centralisée, de répondre aux préoccupations immédiates des populations, par une meilleure prise en compte des besoins de ces derniers et l’amélioration de leurs conditions de vie. L’Etat définit les priorités nationales en même temps qu’il élargit le champ d’intervention des collectivités locales, notamment en matière de développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif. Dès lors, la mise en œuvre de la décentralisation doit être conçue comme une véritable politique de développement et de mise en valeur des potentialités des territoires, à travers la territorialisation des politiques publiques. A cet effet, l’article 2 alinéa 2 de la loi n° 2004/017 du 22 juillet 2004 d’orientation de la décentralisation dispose clairement : « La décentralisation constitue l’axe fondamental de promotion du développement, de la démocratie et de la bonne gouvernance au niveau local. » Les principaux enjeux de cette stratégie politique sont : l’enracinement et l’approfondissement de la démocratie locale, le développement local, la bonne gouvernance.

Or, que constate-t-on ? Depuis 22 ans, la Constitution du 18 Janvier 1996 fait de la République du Cameroun un Etat unitaire décentralisé. Les lois de décentralisation de 2004 ont été promulguées 8 ans seulement après la Constitution, l’Etat n’a effectué les premiers transferts de compétences aux communes qu’en 2010, et le parachèvement des transferts de compétences aux communes tels que prévues par la loi s’est concrétisé en 2015 par le transfert, aux communes et communautés urbaines, de 63 compétences initialement exercées exclusivement par 21 départements ministériels. Certes, des avancées significatives ont été enregistrées dans le cadre de la mise en œuvre du processus, mais de nombreux balbutiements sont apparus au niveau de l’Etat central. Parmi les avancées, nous pouvons souligner : la publication de nombreux textes juridiques d’encadrement de la décentralisation, notamment la loi n° 2009/011 du 10 juillet 2009 portant régime financier des collectivités territoriales décentralisées et la loi n° 2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale ; la mise à la disposition des communes et communautés urbaines, des ressources budgétaires additionnelles soit à travers le FEICOM et le PNDP, soit à travers le Dotation Générale de la Décentralisation, pour leur permettre de réaliser des projets au bénéfice de leurs populations. La principale entrave se caractérise par les hésitations du gouvernement à opérer un désengagement réel de l’Etat de l’exercice des compétences transférées aux collectivités territoriales décentralisées et leur assurer un accompagnement approprié. Ces hésitations sont accentuées par un transfert de projets à gestion déconcentrée aux collectivités territoriales décentralisées, en lieu et place d’une allocation effective des ressources suffisantes pour leur permettre de jouer pleinement leurs rôles en matière d’identification, de planification et de programmation des projets de développement local. Quant aux élus locaux, ils tardent à prendre la juste mesure de leurs responsabilités et se focalisent très souvent sur leur mandat politique, dont la gestion est souvent soumise à l’épreuve de considérations plus aléatoires que d’efficacité. Ce faisant, ils s’éloignant des vrais enjeux de la décentralisation qui requiert d’eux une vision plus large de leurs missions qui consiste à la promotion du développement de leurs territoires, pour le bien-être des populations.

Tous les aléas susvisés prouvent, s’il en était encore besoin, que le processus de décentralisation se met en œuvre à un rythme jugé lent par les principaux acteurs. Ces derniers pensent que l’Etat doit accélérer le rythme pour permettre aux collectivités territoriales décentralisées d’exercer la plénitude de leurs compétences conformément aux lois et règlements en vigueur. A cet effet, le ferme engagement pris par le Président de la République pour l’accélération du processus de décentralisation confirme la nécessité pour l’Etat, en tant que garant et régulateur dudit processus, d’assurer une responsabilisation accrue des collectivités territoriales décentralisées par la promotion de la compétence locale, afin de permettre aux populations et aux élus locaux de prendre véritablement leur destin en main et participer activement à la conduite des actions de développement de leurs localités. Cet engagement traduit à juste titre la volonté politique du Président de la République et du gouvernement à rendre irréversible ce processus.

Mais en quoi pourrait véritablement consister l’accélération du processus de décentralisation ? De prime abord, l’accélération du processus de décentralisation fait penser à la mise en place des conseils régionaux élus en vue de parachever le processus. Or, il serait hasardeux et prématuré de le faire dans la précipitation en 2018, sans tenir compte rigoureusement des préalables et des exigences qu’induisent la mise en place et le bon fonctionnement de ces institutions. Les préalables pour l’élection des conseillers régionaux concernent notamment : les modalités de composition des collèges électoraux constitués d’une part, des conseillers municipaux qui élisent les délégués départementaux, d’autre part, des chefs traditionnels de 1er, 2ème et 3èmedegrés autochtones qui élisent les représentants du commandement traditionnel ; la convocation du collège électoral qui doit intervenir quarante-

cinq (45) jours au moins avant la date du scrutin. Par ailleurs, le fonctionnement des régions nécessite l’installation de leurs services dans des locaux appropriés, la publication des textes juridiques d’encadrement de la décentralisation, notamment ceux relatifs aux transferts des compétences aux régions, le transfert effectif des compétences et des ressources aux régions. Autant d’exigences qui font penser qu’en 2018, l’accélération du processus de décentralisation tant souhaité et prescrit par le chef de l’Etat se limitera à quelques actions d’envergure marquant la volonté du Gouvernement de concrétiser rapidement cette réforme majeure. A ce titre, nous pensons que les mesures ci-après sont nécessaires en 2018 : l’assainissement de la gestion des communes et communautés urbaines qui constitue un préalable à la réussite de la décentralisation ; le transfert effectif des compétences et des ressources appropriées aux communes et communautés urbaines pour faire de la décentralisation l’instrument du développement socio-économique de la Nation ; le parachèvement de la publication des textes juridiques d’encadrement de la décentralisation ; le renforcement des capacités du personnel et des élus locaux ; l’adoption d’un statut de l’élu local ; l’adoption d’un statut du personnel des collectivités territoriales décentralisées ; la publication d’une charte de la décentralisation ; le désengagement de l’Etat de l’exercice des compétences transférées aux collectivités territoriales décentralisées ; l’autonomisation et une responsabilisation accrue des collectivités territoriales décentralisées sous l’encadrement de l’Etat ; l’adoption d’une Stratégie nationale de la décentralisation, résultat d’une action commune de l’administration centrale, des collectivités territoriales décentralisées et de la société civile. Cette stratégie doit inclure les mécanismes de coordination inter-institutionnelle et prévoir des stratégies pour les différents secteurs concernés.

Par ailleurs, le problème des maires ne concerne pas tellement la quantité des compétences transférées. Ils déplorent plutôt le fait que les recettes financières transférées sont insignifiantes au regard de l’importance de leurs responsabilités. Les montants des recettes de l’Etat destinés aux communes se situent en dessous de 1%, loin des 10% proposés par le Comité Interministériel des Services Locaux (CISL). Dans un plaidoyer adressé au gouvernement en 2016, il ressort que les communes ont participé à moins de 5% de l’investissement public en 2008, contre plus de 95% pour l’Etat, et que leurs dépenses n’ont représenté que 4% de l’ensemble des dépenses publiques. Les maires attendent davantage que l’Etat transfère effectivement aux communes des compétences et des ressources pour leur permettre d’assumer pleinement leurs compétences. Ils souhaitent que l’Etat leur alloue des financements pour leur permettre de réaliser un certain nombre de projets identifiés par les populations à la base en vue de satisfaire leurs besoins en éducation, santé, alimentation en eau potable, électrification, infrastructures routières, promotion du tourisme, etc.

Le chemin ainsi balisé et avec la garantie que la commune, qui constitue le premier niveau de la décentralisation, fonctionne normalement et à la satisfaction des principaux acteurs, l’élection des conseils régionaux viendra parachever la construction de cet édifice de la décentralisation sur des fondations stables, capables de supporter la région qui constitue un échelon important destiné à mieux appréhender les problèmes de déséquilibre territorial et de planification spatiale. Toute démarche hasardeuse et hâtive pourrait compromettre sérieusement les nobles objectifs visés par cette réforme profonde de l’Etat et des rapports entre le citoyen et le pouvoir. Il faudra mettre un accent particulier sur l’atteinte des résultats afin de satisfaire les Camerounais qui veulent des changements réels dans l’amélioration de leurs cadres et leurs conditions de vie. Ces changements sont marqués par : l’amélioration de leurs pouvoirs d’achat pour ne pas sombrer dans la pauvreté ; un développement intégral et harmonieux de l’ensemble du territoire national ; l’expression et la prise en compte de leurs

besoins et leur contribution auprès des pouvoirs publics pour y apporter des solutions idoines ; l’obligation pour les élus locaux de rendre régulièrement compte de la gestion des deniers publics locaux et d’être sanctionnés en cas de mauvaise gestion avérée ; la répartition équitable et solidaire de la richesse nationale. D’une manière générale, les populations souhaitent participer davantage à la gestion de leurs affaires, notamment au niveau local.

La mise en place et le suivi des mesures ci-dessus nécessiteraient la création d’une AGENCE NATIONALE DE LA DECENTRALISATION, structure d’encadrement et de pilotage du processus de décentralisation. Cette structure engloberait les missions actuelles du FEICOM, concernant le financement des investissements des collectivités territoriales décentralisées et la distribution des recettes de péréquation à leur profit, et celles du Programme National de Développement Participatif (PNDP) et du Programme de Développement des secteurs Urbains et de l’Eau (PDUE), concernant l’appui à la maîtrise d’ouvrage des collectivités territoriales décentralisées. En outre, un accent particulier sera mis sur le développement des politiques pour accélérer l’emploi et lutter contre le chômage des jeunes dans un contexte où le taux de chômage des jeunes de 15 à 50 ans (47% de la population totale) est inquiétant, leur occupation se limitant pour la plupart aux emplois précaires et aux sous-emplois dans le secteur informel. Cette importante structure constituera la vitrine de l’Etat et le baromètre de la décentralisation au Cameroun.

En conclusion, j’ai la conviction que la décentralisation bien gérée garantit, mieux que le fédéralisme et la sécession, un développement intégral et harmonieux du territoire national, dans le cadre d’un système politique d’aménagement du territoire cohérent, concerté et ambitieux fondé sur la prise en compte des aspirations des populations et une répartition équitable des richesses nationales.

Barthélemy KOM TCHUENTE

Ingénieur Général de Génie Civil

Expert-Consultant en Décentralisation

et Développement Durable

Tél : 677.75.31.01 - 690.47.62.88

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