Lutte contre les sécessionnistes : La «sale» guerre
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En quoi le nouveau front qui interpelle l’armée camerounaise est différent de la lutte menée contre Boko Haram.

La sortie de Paul Biya du 1er décembre dernier n'en finit pas d'être interprétée.  Il en est qui, parmi des aînés à la réputation assise peuvent éprouver du «dépit» sur la forme de cette déclaration. Parmi les militaires, il en est qui pensent que la déclaration du président camerounais est anachronique ou du moins les mesures qui lui ont succédé sont cafouilleuses. « Le président a dit que «les choses sont désormais claires, nous sommes attaqués par des terroristes. Le ministre de la Défense devait alors prendre des mesures claires au lieu d'annoncer une réunion d'évaluation prévue de longue date et dont les participants attendaient la tenue depuis quelques jours à Yaoundé», dénonce un militaire à la retraite. «La situation selon le chef de l'État est connue il faut passer à l'action », poursuit-il.

Le ministre délégué à la présidence de la République chargé de la Défense dans la structure du gouvernement est un acteur de la défense il n'en est pas un maître. Le maître c'est le Conseil national de la sécurité qui est à la présidence de la République.

Conseil national de sécurité

Le Conseil national de sécurité est indispensable. Il a l'avantage de réunir en son sein tous les acteurs: forces de défense, police avec ses commissariats spéciaux éparpillés sur tout l'ensemble du territoire et sa direction de la surveillance du territoire; la gendarmerie et ses brigades territoriales; direction générale à recherche extérieure ... ce Conseil de la sécurité doit fournir les éléments nécessaires pour mener une action.

Les chefs d'états major centraux réunis il y a une semaine sont au Cameroun ce que les Américains appellent des «force provider», des fournisseurs d'hommes pour les opérations, ils sont donc des chefs opérationnels. Le chef d'état-major des armées est représenté sur le terrain par les commandants des régions militaires interarmées. Mais, il faut à ces chefs des informations pour agir. « Le Conseil national de sécurité, le ministère de l'Administration territoriale qui a sa préfectorale, les représentants des collectivités territoriales décentralisées et les chefs traditionnels devraient être associés pour que les chefs militaires aient une situation réelle de ce qui se passe sur le terrain», pense notre source.

Si cela avait été fait, le militaire ne devait plus que venir faire la mise en oeuvre des forces. « Quand c'est bien organisé, lors d'une crise comme celle dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest, il y a des organes d'études et d'évaluation, ils ne sont pas des acteurs sur le terrain, ils étudient l'évolution possible d'une crise.» Ils préparent des plans pour en sortir, des plans de combat, des plans opérationnels. Généralement, les militaires experts qui travaillent dans ces organes préparent trois plans. Des scénarios en fonction de l'évolution de la situation et de la graduation de sa gravité. Ils ont ainsi des plans de niveaux 1, 2,3 ; qui doivent être validés par leur hiérarchie. Quand donc survient une crise, les politiques prennent des mesures pour appliquer l'un des plans apprête.

Pourquoi la crise s'enlise

Mais, la situation actuelle de la crise anglophone montre à suffisance, qu’il y a trois manquements :

  •  Au niveau des militaires, l'on peut se demander si ceux déployés sur le terrain savent précisément quoi il s'agit et qui est l’ennemi. Est-ce qu'ils sont formés dans la maîtrise de la violence? Si ils sont formés à la maîtrise de la violence est ce qu'il y a violence?
  • Est-ce qu'il y a une bonne relation entre l'armée et les populations ? C'est un point central, parce qu'on n'installe pas les militaires dans le désert, on les installe pour la protection des populations et des biens. Ces populations doivent se sentir en sécurité par la présence des militaires. Il ne doit pas exister de suspicion ni de conflit entre les populations et les militaires?
  • L'incident de Eyoumejock où quatre militaires ont été tués et leurs armes arrachées, montre que ces éléments n'étaient pas là pour travailler mais, pour dormir et les populations se sont rendues compte qu'ils ne leur servaient à rien. Il est temps que l'armée se pose la question de savoir s’il y a une conscience professionnelle au sein de toutes ses troupes?

Est-ce que les militaires n'arnaquent pas les populations, ne les briment pas, ne commettent pas d'autres fautes comme le montrent souvent des vidéos sur les réseaux sociaux? Est-ce qu'ils ne profitent pas d'une situation sociale et politique tendue pour régler de vieux comptes à des gens contre qui on a des griefs? Est-ce qu'un accent particulier est mis sur le renseignement? Les attaques sur les militaires se produisent à des endroits particuliers, sur la frontière entre le Cameroun et le Nigeria. Il y a une bande non contrôlée par ces États qui remet en question la gestion des zones frontalières. Le crime organisé peut profiter de ce vide, des contrebandiers à qui les forces de maintien de l'ordre prennent de l'argent quand ils rentrent avec des marchandises prohibées, maîtrisent parfaitement cette zone. Il faut savoir si les assaillants d’Akwen et Eyoumejock localités frontalières ne sont pas ces trafiquants qui règlent des comptes. Il faut avoir le coeur net pour ne pas aller à une conclusion rapide qui peut s'avérer erronée et nous pousser à commettre des actes irrationnels et incohérents qui peuvent nous créer des situations conflictuelles avec l’Etat voisin qui est le Nigeria, des actes que l'on pourrait regretter.  

Le double leadership de la Manyu

Il faut aussi comprendre pourquoi il y a un double leadership dans le département de la Manyu. Sisuku et Agbor Balla en sont originaires. Il faut savoir ce que ces fils Banyangue ont d'héritage commun avec leurs frères de l'autre côté de la frontière au Nigeria. Ces deux leaders de la revendication anglophone ont deux factions différentes et deux positions différentes. Agbor Balla est pour le fédéralisme et Sisuku est le président autoproclamé d’Ambazonie, la République fantasmée des sécessionnistes. L'un des problèmes c'est que les autorités de Yaoundé ont refusé de négocier avec les «modérés ». L'arrestation de Agbor Balla a fait naître la popularité des sécessionnistes.  

A quoi s'attendre?

Logiquement on peut s'attendre à une action offensive du renseignement camerounais. Une action pour comprendre qui sont les acteurs et à identifier les ennemis. On ne peut pas aller en guerre contre un ennemi qu'on ne connaît pas au risque de radicaliser les populations de ces régions. 90% de ces populations dites anglophones semblent être des modérés. Des Camerounais qui pensent qu'ils sont mal gérés On peut les classer en trois catégories : ceux qui pensent qu'il existe du népotisme et du tribalisme dans la gestion de la chose publique et que ça peut se régler par une meilleure distribution des postes et avantages; il y a aussi des fédéralistes, ils pensent en général que le problème peut se gérer par le fédéralisme du Cameroun; il y a enfin une minorité extrême qui pense que la solution c'est la sécession des deux régions.

Il faut que les dirigeants parlent avec la majorité modérée qui pense que des liens forts se sont noués avec les autres régions du pays et qu'un dialogue est possible pour sortir de cette crise. Il faut un dialogue direct, aller vers les modérés largement majoritaires et poser des actes forts qui mettent en minorité les sécessionnistes. Éviter de les aborder avec des armes, répéter au besoin le «je vous ai compris», du général de Gaulle même si les promesses ne sont pas suivies d'un effet immédiat. Opposer la manière forte fait le discours des extrémistes qui ont beau jeu de dire «je vous avais dit qu'il n'y a rien à obtenir du Cameroun ils veulent tous nous tuer parce que nous sommes des anglophones ».

Les sécessionnistes ne semblent pas avoir les moyens de constituer une branche armée structurée. Il faut pour la rendre efficace au cas où ils l'auraient quand même, le soutien d'une puissance. Ils n'en ont pas. Ce sont des extrémistes violents. « Des gens qui pensent que ce n'est que par la violence qu'ils peuvent obtenir satisfaction à leurs revendications. Ils savent qu'ils n'ont pas la force, ils ne s'attendent pas à vaincre par les moyens militaires classiques. Ils se cachent dans les populations, dissimulent leurs intentions belliqueuses et attendent un moment d'inattention pour frapper un coup qui fasse parler d'eux et donc de leur cause», nous dit notre militaire.  

Plus complexe que Sambisa

Le parallèle avec la crise qui a cours dans la région de l'Extrême-Nord où sévissent les extrémistes de Boko Haram ne lui semble pas convenable « contrairement à là-bas où l'environnement est aride et la végétation rare, au Sud-Ouest à la frontière d'avec le Nigeria c'est une zone de forêt dense. La maîtrise de cette zone est plus complexe que la maîtrise de la forêt de Sambisa. Il faut des moyens lourds que nos forces n'ont pas. Il y a des endroits que pour atteindre, il faut passer par le Nigeria. On peut déployer des hommes pour vivre au sein des populations mais, s’il y a des terroristes comme c'est dit, ceux-ci peuvent tuer les militaires facilement parce qu'ils connaissent les pistes, parce qu’ils ont des moyens de survie, ils ont aussi désormais entre leurs mains, une mitrailleuse légère, trois kalachnikovs, saisies chez nos militaires.

Ces  armes peuvent décimer une compagnie, soit 125 hommes, il suffit de réaliser la surprise ». L'on pense que, la méthode adéquate est une approche globale. «Le seul moyen de faire échec aux extrémistes c'est de collaborer avec les modérés.»

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