Cameroun: LE RETOUR DE LA PAIX DANS LES REGIONS ANGLOPHONES ?
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Cameroun: Le Retour De La Paix Dans Les Regions Anglophones ? :: Cameroon

Depuis l’annonce de la militarisation de la crise anglophone par le président de la République à son retour d’Abidjan, le doute sur un retour à la paix dans les régions anglophones est complètement dissipé. A en croire un certain journal, « L’armée sécurise, les populations apprécient ». Par la même occasion, on nous apprend « Comment est tombé « Général » Armstrong », un sécessionniste.

Si sur la forme, cette esthétisation de la crise dans les régions anglophones peut rassurer ceux qui craignent le pire, sur le fond, elle nous dit une chose douteuse : en dehors des trouble-fête de sécessionnistes, il n’y a aucun problème dans les régions anglophones. Les populations de ces régions n’ont qu’un problème, qu’on leur enlève cette épine sécessionniste qu’elles ont dans le pied et qui les empêche de marcher vers l’horizon 2035 annoncé par le chef de l’Etat, qu’on leur enlève ce boulet révolutionnaire qui reste en travers de leur gorge et qui les empêche de crier sur les toits du monde leur bonheur d’être camerounais, qu’on les débarrasse de ces parasites révolutionnaires dissimulés dans les plis de leur côté de la couverture nationale pour qu’ils bénéficient eux-aussi de la chaleur de la fraternité et du vivre-ensemble. Si les anglophones ont une souffrance, c’est celle que leur imposent les dissidents, les sécessionnistes. Comme le « « général » et des hommes à lui avaient pris en otage les populations à Bafia et Muyenge », d’autres sécessionnistes ont pris en otage les populations anglophones en général. Tel est l’unique et l’inique vérité que Cameroon-Tribune veut nous faire voir et lire entre les lignes de la tragédie anglophone, en nous faisant croire que l’armée va enfin libérer les populations du joug de leurs oppresseurs et rétablir l’ordre une fois pour toute. Bref, il veut nous dire qu’il n’y a pas de problème anglophone, mais seulement des problèmes posés par quelques individus anglophonisés qui veulent pour leurs intérêts personnels, se servir de la population comme chairs à canon, comme bombes et boucliers humains, et que l’Etat dans son obligation régalienne par la force de son armée ne le permettra pas. Mais peut-on croire à cette eschatologie de la paix du peuple contre un esprit guerrier individualiste ?

Non. Car « sous la cendre le feu ». On peut être soucieux de la paix, de l’unité de la République sans pour autant procéder au déni de la réalité. Peut-être que les populations elles-mêmes se sont laissés emprisonnés par les discours sécessionnistes. Mais n’est-ce pas là la puissance de l’idéologie ? Donner aux frustrations et ressentiments individuels l’élément vital, transcendant

dont ils pourront se nourrir pour se transformer en violence collective ? Peut-on cependant nier l’existence de cette frustration originelle ? Ce ressentiment vécu par chacun et qui le pousse finalement à rechercher un élément fondateur de la légitimité de son combat que l’on a trouvé ici dans l’existence historique d’un pays imaginaire ? A force de chercher à faire croire qu’il n’y a que des sécessionnistes, des revanchards, des haineux dans ce qu’on a nommé la crise anglophone, l’on finira par occulter la réalité d’une misère qui cherche à se faire voir, on finira par empêcher les cris de souffrance d’une partie de la population qui a fait acte de courage en s’exprimant, de se faire entendre ; on finira par poser une pierre sur le couvercle d’une marmite bouillante. Et c’est cette solution que tout le monde salue quand aujourd’hui l’armée fait officiellement son entrée en scène. En faisant revenir la force à la loi des armes républicaines, le président de la République et ceux qui le soutiennent, tentent simplement d’étouffer une révolte juste et justifiée. Pas celle des « sécessionnistes », mais celle d’une population qui ne serait pas tentée par la scission si les conditions de son bien-être étaient mises sur pied. On cherche encore à construire par les moyens de la guerre qui selon la formule de Clausewitz continue la politique, la paix du Renouveau. Cette paix dont il se dit qu’un seul homme depuis 35 ans a réussi à la préserver. Mais une paix qui en réalité repose sur l’intimidation permanente n’est-elle pas aussi fragile que la vie d’un peuple dormant au pied d’un volcan ?

La paix ne peut se construire avec la guerre, tout comme elle ne peut reposer sur le refus de dialoguer. Non ! Bien sûr que le gouvernement a tout essayé, qu’il a ouvert la voie du dialogue, qu’il a cédé à certaines exigences, qu’il a mis sur pied une commission du bilinguisme et même expier les fautes de certains après leur excommunication en leur faisant grâce d’une libération de prison... ça ne peut donc plus être de sa faute si les choses coincent. Ça veut simplement dire que les autres ne veulent rien entendre, que la seule chose qu’ils peuvent et veulent entendre, c’est le bruit des chars descendant sur leurs villes. Mais la commission nationale du bilinguisme peut-elle résoudre les problèmes élémentaires des citoyens ? Ceux liés à leur survie ? La commission nationale du bilinguisme peut-elle répartir équitablement les richesses nationales ? Ceux qui disent que le problème des anglophones est un problème commun à tous les camerounais, à savoir leur extrême misérabilisme face à la richesse insolente des autres ont raison. Mais eux, contrairement à l’apathie qui règne chez les francophones, ont eu le courage de se révolter. On peut déplorer le radicalisme de certains, mais on ne peut nier l’évidence de cette misère contestée. Il devient alors curieux d’observer que l’on applaudisse l’extermination en cours dans les régions anglophones au nom de la préservation de l’intégrité du territoire. La seule manière de préserver aussi bien ce territoire que la sécurité des individus, est de donner à chacun ce qui lui revient de droit. Pourquoi refuser catégoriquement de penser le fédéralisme ? Pourquoi en faire un processus interminable ? Pourquoi il est difficile d’admettre que les mêmes ne vont pas continuer à s’enrichir tout le temps ? La seule manière d’éviter la radicalisation, c’est d’admettre qu’il y a des problèmes, qui ne se résument pas à la langue, français ou anglais. Qu’il y a des problèmes réels, existentiels, structurels et infrastructurels. Qu’il y a un problème de mal gouvernance et d’accaparement des richesses par une classe. Le silence qui règne aujourd’hui dans plusieurs régions du Cameroun n’est pas la paix. C’est juste le calme avant la tempête. On aura beau fait descendre l’armée dans des quartiers, sur des villages, des villes, des régions, mais il viendra sans doute un jour, où même ceux qui condamnent la révolte anglophone, seront les premiers à accepter la mort comme unique condition pour une vie meilleure. Une guerre nous coûte plus chère que le dialogue qui ne nécessite rien d’autre que le temps et la disponibilité de l’écoute de l’autre.

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