Roman, A lire :Journal d'un clandestin africain de Enoh Meyomesse.
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AFRIQUE :: Roman, A lire :Journal d'un clandestin africain de Enoh Meyomesse.

En cellule au poste de police. — Vous ôtez vos chaussures, vos ceintures, vos montres, et tout autre objet métallique que vous avez avec vous. Vous déposez votre argent ici en consigne.

L’agent de police qu’ils avaient trouvé dans le poste de police se tenait devant eux, également une matraque à la main, pendant que ceux qui venaient de procéder à leur arrestation quant à eux les ceinturaient. Impossible de s’échapper. Abokup et tous les autres clandestins s’exécutèrent. Que pouvaient-ils faire d’autre, pis encore, à présent qu’ils se trouvaient dans l’enceinte du poste de police ? Lorsqu’ils se retrouvèrent tous pieds nus, sans ceinture, sans montres et qu’ils avaient sorti de leurs poches tous les billets de banques et les jetons qu’ils possédaient, il fut procédé à l’enregistrement de leurs noms et à la consigne de leurs avoirs. Beaucoup d’entre eux tentèrent tant bien que mal de dissimuler leurs passeports, en vain. Les agents de police les découvrirent tous dans les plis de leurs vêtements et les leurs arrachèrent avec nervosité. Après quoi, ils furent conduits dans un long couloir faiblement éclairé, au fond duquel se trouvait une porte métallique fermée par une chaîne et un gros cadenas. L’agent de police qu’ils suivirent extirpa une clé du trousseau qu’il tenait en main, l’introduisit dans la fente du cadenas, et la tourna. Celui-ci, en un bruit métallique, libéra la chaîne qu’il retenait, et elle heurta bruyamment la porte de la cellule. L’agent de police l’ouvrit. Une odeur toute chaude et pestilentielle en jaillit et vint s’engouffrer brutalement dans les narines d’Abokup. Il la rejeta de toute la puissance de ses poumons, se boucha les narines avec ses doigts et cessa un moment de respirer. Peine perdue, lorsqu’il recommença à le faire, elle avait déjà, à toute vitesse, envahi tout le couloir, et il ne put à contrecœur que la respirer. De la salive inonda sa bouche. Il voulut cracher par terre. A ce moment précis, l’agent de police tonna :

— Entrez ! Qu’attendez-vous ? Entrez ! Je dis d’entrer, et vite !

Les clandestins et Abokup ne bougèrent pas, épouvantés par l’odeur qui émanait de la cellule du reste totalement plongée dans le noir. Les agents de police ne demandèrent plus leur reste, ils sortirent leurs matraques. Abokup en reçut plusieurs coups d’une rare violence sur tout le corps, sur la tête, sur le dos, sur le ventre, sur les jambes, sur les bras. Il se mit à se tortiller de douleur telle une chenille et se précipita tout seul en courant dans la cellule pour ne plus les subir. Il se retrouva dans le noir, au cœur de cette odeur. Elle était épouvantable. Il sentit en même temps ses pieds marcher sur des jambes allongées. Il glissa sur celles-ci en voulant les éviter et se

retrouva étalé au sol. D’autres pieds se mirent à leur tour à marcher sur les siennes. La porte métallique de la cellule se referma lourdement dans un bruit de fin du monde, emportant avec elle le semblant de lumière qu’elle faisait pénétrer dans ce réduit. Il se retrouva plongé dans le noir total.

18

La « déviation »

Après plusieurs jours de sondage, Abokup apprit qu’il existait une autre possibilité pour rejoindre Melilla. On l’appelait la « déviation ». Qu’est-ce que c’était ? Le contournement de la clôture par son bout, là où elle prenait fin, au bord du précipice du rocher surplombant la mer sur lequel elle était, à cet endroit, fixée. Toutefois, il y avait un risque extrêmement élevé de glissade et de chute de plusieurs dizaine de mètres, et mourir écrasé en contre-bas du rocher. D’autre part, de loin, les « guardia civil » observent la clôture, voient quiconque tente de s’y approcher, et peuvent lâcher leurs chiens contre cette personne. Dans ce cas, c’est la mort. Les chiens vont la pousser par leurs morsures à se sauver vers le vide. Elle chutera du haut du rocher, et ira s’écraser au pied de celui-ci, impossible de survivre à pareille chute. Beaucoup ont déjà été tuées de cette manière. Les « guardia civil » peuvent aussi faire usage de leurs fusils et tirer sur le clandestin qu’ils apercevraient depuis leur tourelle.

Abokup pour sa part n’hésita pas un seul instant. Il décida de braver ce risque.

Le temps passa, et il se prépara, en compagnie de quatre autres clandestins, à tenter cette aventure. Il passa la journée arrêtée pour leur opération, à invoquer le Seigneur, afin qu’il l’assiste dans son périlleux projet. Quand vint le soir, tous les cinq se regroupèrent. Puis ils partirent à pieds à la tombée de la nuit, et se tapirent dans les herbes, non loin du site du bout de la clôture. Ils se mirent à attendre soit la relève des « guardia civil » espagnols, qui y patrouillaient, soit un moment d’inattention de leur part, pour tenter de la franchir, en bénéficiant de la pénombre, malgré les puissants projecteurs qui illuminent l’endroit. Ils demeurèrent immobiles dans le noir pendant près de sept heures d’horloge, à guetter le moment opportun pour entrer en action. Ce fut une attente terrible. La nuit étant tombée, il faisait froid. En plus le vent s’était levé, et était chargé d’humidité car il provenait de la mer. Vers 3 heures du matin, comble de malheur, la pluie vint. Elle les mouilla par rafales intermittentes. Toutefois, vers 4 heures, un épais brouillard envahit la zone, pendant que la pluie de son côté diminuait progressivement. Ils ne pouvaient pas demander mieux. Ils se levèrent, coururent en silence, dans le noir et le brouillard, en direction du rocher, en priant le ciel que les maudits « guardia civil » ne disposèrent pas de chiens. Ils atteignirent rapidement le bout de la clôture, et en même temps, le bord du précipice. Il existait un minuscule espace de 20 cm au maximum sans clôture, entre la fin de celle-ci et le vide. A peine un seul pied pouvait y tenir. A l’évidence, les personnes qui l’avaient installée, ne désiraient pas courir le risque eux-mêmes en le faisant de glisser du rocher et de se tuer au bas de celui-ci.

Le cœur d’Abokup se mit à battre fortement dans sa poitrine. Il se rendit compte qu’il avait peur. Il se trouvait en tête du petit groupe qu’ils formaient tous les cinq. Il posa délicatement ses mains, le cœur tremblant, sur la clôture. Chance, elle n’était pas électrifiée. Si elle le fut, sa vie eut pris fin à cet instant. Il poussa un grand ouf de soulagement. Il s’y agrippa. Il tendit le pied en avant. Celui-ci partit dans le vide. Il

sursauta. Il le ramena en arrière. Il dit une courte prière au nom du Christ sauveur du monde. Il se saisit encore plus fortement du grillage, tendit de nouveau son pied en avant, se mit à chercher dans le noir et le brouillard où le poser. Celui-ci toucha le sol. Il l’y fixa solidement. Il leva son second pied, tenta de le poser à côté du premier. Impossible. L’espace était trop exigu. Pendant quelques secondes, il ne sut quoi faire. Il songea à revenir en arrière. Il se ravisa aussitôt. « L’Europe ou la mort » déclara-t-il intérieurement. Il se mit à faire coulisser le premier pied le long du quart de mètre de grillage replié du côté espagnol, en évitant autant que possible de songer au vide qui se trouvait à sa droite, même si, grâce à l’obscurité de la nuit et au brouillard, il ne l’apercevait pas tout à fait. Puis, il posa délicatement le second pied là où venait de se trouver le premier, tout en tenant fermement le grillage des deux mains. Il se mit à faire coulisser les deux pieds, l’un derrière l’autre, avec d’extrêmes précautions. Au bout d’un moment, une de ses mains ne sentit plus le grillage. C’était le signe qu’il n’existait plus. Il la ramena d’abord sur celui-ci, s’en saisit de nouveau fortement, avança son pied droit à tâtons au-delà de la clôture jusqu’au sol. Lorsqu’il le sentit, il y arrima fermement ce pied, fit coulisser le second, l’arrima également fermement au sol. Enfin, il fit basculer son torse, avança encore ses deux pieds qui se trouvaient déjà au-delà du grillage, et disposaient déjà d’un espace suffisant pour marcher. Il se jeta en avant, roula au sol. Il se trouvait enfin en Europe. Son corps se mit à trembler d’émotion. Son cœur s’affola de joie dans sa poitrine. Des larmes inondèrent ses yeux.

* *

*

Le voilà enfin à Melilla. Le voilà enfin en Europe. Il se dit qu’il fallait qu’il quittât rapidement cet endroit hautement dangereux, avant que la malchance ne fasse en sorte les « guardia civil » ne l’y repèrent. Il entama une course folle dans le noir à perdre haleine. Plusieurs fois de suite ses pieds heurtèrent divers obstacles, pierres, branches d’arbres tombées au sol, mottes de terre. A chaque fois il se renversa. Il se fit même véritablement mal. Mais, il se releva aussitôt toutes les fois, et reprit sa course quasi-olympique vers la ville, vers l’Europe, vers la vie, tout simplement. Lorsqu’il sentit ses poumons sur le point d’éclater, et que ses jambes étaient devenues extrêmement lourdes et douloureuses, il s’affala au sol, et se mit à respirer fortement, complétement essoufflé. Il avait couru sur plus de cent mètres, et entendait au loin, devant lui, sans qu’il ne puisse rien distinguer, le bruit des vagues qui venaient s’abattre sur une plage. « Je suis à Mélilla. Fini l’Afrique ! Fini la misère ! Fini le désespoir ! C’est une nouvelle vie qui commence en cet instant », se réjouit-il intérieurement. Dans le même temps, la pluie cessa complétement de tomber.

26

Douche froide à l’ambassade à Paris.

Abokup suivit à la lettre les recommandations du monsieur. A chaque arrêt du métro, il déchiffra attentivement le nom de la station. Il le fit jusqu’à découvrir finalement avec une joie inégalée : « Porte d’Auteuil ». Il se leva alors prestement de sa place, et sortit du véhicule. Il suivit les passagers qui en sortaient également, et s’engouffraient dans un couloir à l’entrée duquel pendait au-dessus une plaque sur

laquelle était écrit : « sortie ». Il se retrouva dans la rue, après avoir gravi plusieurs marches d’un escalier.

Il trouva aisément la « Rue d’Auteuil », en lisant, l’une après l’autre, les petites plaques rectangulaires et bleues placardées sur les murs des immeubles situés à proximité de la bouche de métro, et indiquant les noms des rues. Il s’y engagea tout confiant, le cœur en joie, et atteignit rapidement l’ambassade de Kolgememis.

La splendeur de la bâtisse l’impressionna. Elle n’avait rien en commun avec celles toutes crasseuses de son pays abritant des services publics. Toutefois, un drapeau aux couleurs nationales toutes défraîchies flottant au vent, en ternissait quelque peu la beauté. Des gens, à n’en pas douter de Kolgememis, déambulaient sur le trottoir. Il les dévisagea dans l’espoir de reconnaître peut-être une personne. En vain. Il les dépassa et pénétra dans le hall de l’ambassade. Il se retrouva dans une grande salle bien chauffée, au fond de laquelle une pancarte sur une porte portait la mention : « Renseignements ». Il s’y dirigea et y frappa.

— Ouuuiiiii !!!! répondit une voix masculine à l’intérieur.

Il ouvrit la porte, entra et la referma précautionneusement derrière lui. Il se retrouva face à un monsieur assis derrière un bureau, qui leva la tête, lui fit signe de s’avancer, et finalement lui désigna du doigt une des chaises devant celui-ci. Abokup se défit de son sac de voyage en le déposant au sol.

— Que puis-je pour vous, jeune homme ? lui demanda le monsieur.

Il s’éclaircit la voix.

— Euh … je m’appelle Abokup.

— Très bien.

— Abokup André.

— Oui, très bien.

— Euh … je viens d’arriver en France.

— Ok, pas de problème, donc vous êtes venu vous immatriculer au consulat, n’est-ce pas ?

— Euh … oui …

— Très bien, il vous faut pour cela deux photos d’identité au format 4x4, et votre passeport. Ok ?

— Euh… je n’en ai pas sur moi …

— Ce n’est pas un problème, retournez à la station de métro, vous y trouverez des appareils photos automatiques. Après quoi, vous reviendrez. Les services se ferment à 16 heures. Ok ?

Abokup se gratta la tête, puis s’éclaircit de nouveau la voix.

— Euh …

— Oui, jeune homme …

— Euh … je viens d’arriver ici en France, et je ne connais personne... je … euh …

Le monsieur se raidit dans son fauteuil roulant, et braqua sur lui un regard réprobateur et dur. Son ton changea du tout au tout.

— Jeune homme, vous êtes venu « chercher la vie » ici en France, ainsi que vous le dites là-bas au pays, n’est-ce pas ? Très bien. Vous êtes venu clandestinement comme tous les autres écervelés que je reçois régulièrement ici, en bravant la mort à chaque étape. Eh bien, qui vous dit, vous tous qui arrivez de cette manière, qu’elle se trouve ici, dans ce bâtiment, cette vie que vous venez chercher en Europe ? L’ambassade n’est pas un centre social, jeune homme, elle ne l’est pas. Détrompez-vous. Elle ne dispose pas de budget pour des gens qui comme vous se lancent dans l’aventure sans réfléchir. Aucun. Compris ? Allez la « chercher » ailleurs, la vie, l’ambassade n’est pas là pour ça.

Le monsieur se leva aussitôt, contourna sa table de travail, se dirigea vers la porte, l’ouvrit :

— Je vous souhaite du courage.

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