éTAT- CIVIL ET INCIVISME D'éTAT AU CAMEROUN
CAMEROUN :: POINT DE VUE

État- Civil Et Incivisme D'état Au Cameroun :: Cameroon

En attendant que les juristes le lui expliquent en de termes plus justes et plus techniques, le profane comprend l’état-civil comme un acte de droit par lequel un Officier assermenté, et donc dûment mandaté constate, reconnaît et valide un statut à un individu ou à une collectivité.

L’état-civil d’une personne est donc l’acte par lequel ladite personne se fait inscrire dans un statut en société. Un acte d’état-civil nous fait entrer dans un statut donné : il institue. Si au niveau de l’individu on parle d’acte de naissance ou de décès, on parlera d’acte de mariage pour un couple, et de Constitution pour un État.

L’établissement d’un état civil est entouré de multiples précautions pour une raison majeure : il faut distinguer chaque individu des autres de manière si claire qu’il ne puisse y exister aucune confusion ni équivoque. Cette spécification a l’ambition de reconnaître à chacun une spécificité si exclusive qu’aucune identification ne puisse souffrir d’aucun doute.

Cette disposition exprime la volonté de sécuriser l’état-civil; car toute insécurité de l’état-civil expose l’État à l’insécurité.

Au Cameroun, des actes administratifs tendent à convaincre du souci que les Autorités ont de sécuriser l’état-civil et, à travers lui, la nationalité camerounaise : le Bureau Central des Recensements et des Études de Population (BUCREP) a été créé par décret présidentiel N° 99/230 du 04 octobre 1999 ; le décret N° 2013/031 du 13 février 2013 porte organisation et fonctionnement du Bureau National de l’état civil. (BUNEC) et, comme son nom l’indique, le SENAC est chargé d’assurer la sécurisation de la nationalité camerounaise. Deux idées remontent de ces trois importantes dispositions de l’État : d’une part l’identification de tout individu est étroitement liée à la nation dont il se réclamerait, ce qui rend toute identité tributaire d’une nationalité. D’autre part toute opération d’identification d’un individu est intimement liée au décompte de ladite population, ce qui associe étroitement l’identification d’un individu à une population dûment recensée. Mais plus important encore, l’individu identifié au sein d’une population elle-même codifiée par un recensement doit avoir adhéré aux principes de vie, d’honneur et de pérennité d’une nation pour être admis à en revendiquer la nationalité.

Le BUNEC chargé de l’état-civil ne peut donc efficacement travailler à l’exclusion du BUCREP chargé du recensement de la population, encore moins en méconnaissant le SENAC chargé de sécuriser la nationalité camerounaise.

La question de l’état-civil n’est donc pas une question périphérique : elle n’est pas simplement centrale; elle est cruciale et vitale pour la sécurité de l’État. Les soins dont un État l’entoure reflètent l’importance que cet État accorde à sa propre sécurité. Inversement, les insuffisances dont un État vulnérabilise l’état-civil révèlent les handicaps que ledit État s’inflige. Car ne pas être en mesure d’identifier qui a fait quoi expose l’État à se faire impunément infliger n’importe quoi par n’importe qui. Le déclenchement d’une poursuite judiciaire, l’ouverture d’un procès ne commence qu’avec l’identification du prévenu. L’ignorance de l’état-civil d’un criminel par sa non identification est la garantie de son impunité.

Aussi, est-il indispensable d’évaluer la fiabilité de l’état-civil dans l’État du Cameroun pour savoir si notre pays n’est pas l’instigateur involontaire de l’incivisme impuni dont il est victime, incivisme qui est graduellement passé de la délinquance domestique la plus banale aux crimes économiques, pour culminer dans l’escalade de cet incivisme d’État de classe exceptionnelle qu’est la menace de l’intégrité de l’État par la guerre civile.

Tous les pouvoirs préfèrent les louanges aux analyses et observations critiques. ’’Dieu tout puissant’’ ne se lasse pas d’être loué. L’expérience montre du reste que plus on le loue, plus il attend d’être loué. C’est sans doute au vu de cette boulimie de louanges et de cette insatiabilité qu’au plus dramatique des catastrophes humaines ou naturelles, il se trouve encore des personnages pour vous dire de ’’louer Dieu tout puissant’’ : à les entendre, tout sinistré est un élu privilégié, ’’Dieu tout puissant’’ l’ayant exceptionnellement honoré en le frappant du malheur dont il est violemment mutilé.

Nos observations sur l’identité et l’état civil au Cameroun ne risquent donc pas de plaire aux dieux du monde. Comme ce n’était nullement leur projet, personne n’y perdra; le Cameroun pourrait même y gagner en qualité d’indentification, en qualité d’identité et d’état-civil pour une nationalité de qualité dûment sécurisée...

I- Les recensements démographiques du Cameroun devaient être techniques et impersonnels. Ils sont à décomptes politisés. En cette veille de 2018, nous ne savons toujours pas combien nous sommes. La mise au jour et la validation des indicateurs susceptibles de nous amener à nous compter objectivement sont manipulés; près de soixante ans après les indépendances, ces indicateurs demeurent si aléatoires que nous ne pouvons compter sur eux pour nous compter. Non point que nous ne disposions pas de compétences pour le faire, mais parce que le couteau des pressions politiques chatouille la gorge des techniciens. Dans ce climat de chantage à la carrière et d’approximation organisée à des fins électoralistes, tout peut arriver. Et tout finit par arriver : pour cause de démographie à géométrie variable, certains résultats électoraux révèlent que les votants de certaines régions du Cameroun sont régulièrement plus nombreux que le volume global des populations – dont il n’est pas dit que tous les résidents se soient inscrits; certains inscrits disposent en effet de cinq cartes électorales et votent cinq fois dans différents bureaux. Dans le même temps, les inscrits présents votent pour les inscrits absents, sans besoin de procuration. Cet exercice certes hautement démographique est loin d’être démocratique. L’apothéose de telles élections démographiques veut donc que dans ces conditions de mauvaise identification ou de refus d’identifier des électeurs, on réussisse l’exploit compter et de valider les votes de ces grands absents que sont les morts.

Cette incurie au plan démographique provoque et entretient de graves frustrations politico administratives.

II- Le flou déploré dans le processus des recensements démographiques est l’arme de prédilection des administrateurs du pouvoir au Cameroun : en effet ce flou alimente l’arbitraire des découpages administratifs et fonde les injustices de représentation dans les Chambres de la République.

Toute gouvernance conséquente s’applique à sécuriser les peuples ou les cultures qui se reconnaissent des affinités ou qui révèlent une homogénéité incontestable aux divers plans territorial, socioéconomique et partant culturel. Le souci de garder en cohésion lesdites populations guide toute gouvernance d’inclusion pour une mise en perspective commune. Il se trouve qu’au Cameroun, l’arbitraire colonial affiché dans la dislocation des peuples et des cultures est entretenue et parfois renforcée par l’administration néocoloniale : au-delà du

principe connu des Romains, diviser pour mieux régner, il y a comme une volonté de fragiliser les peuples déjà marqués par la répression coloniale et dont l’intrépidité a conduit le pays à l’indépendance : laissés intègres, et reconnus dans leur homogénéité, ces peuples développeraient davantage une prise de conscience politique susceptible d’interpeller un pouvoir dont la légitimité devient, chaque jour, aussi douteuse que discutable. Il est donc fréquent qu’au Cameroun, vous trouviez qu’un peuple a été délibérément désintégré et dispersé dans plusieurs unités administratives à des fins de fragilisation. Le pouvoir néocolonial se définit ainsi par la gestion des rancunes coloniales. Ce pouvoir de gérance n’affiche aucune ambition de saine gouvernance. Il assume pleinement sa vocation : punir et enclaver tous ceux qui ont combattu le maître colonial dont il est héritier, puis entraver tous ceux qui ont inspiré, soutenu, ou activement mené la lutte pour l’indépendance du Cameroun.

Cette mission d’entrave administrative et d’asphyxie sociopolitique trouve son application dans la répartition des sièges dans les deux Chambres parlementaires du Cameroun : dans les zones qui portent gravement les stigmates des violences coloniales, et au-delà des hypocrisies circonstancielles que seul justifie l’opportunisme, le nombre de sièges des Députés ou des Sénateurs à pourvoir est inversement proportionnel au volume des populations à représenter. Toutes proportions gardées et à titre indicatif, vous y trouverez aisément un siège pour mille (1000) habitants, alors que dans les zones bien nées, c’est un siège pour cent (100) habitants. C’est ainsi que dans le Parlement camerounais, certains députés représentent dix fois plus de Camerounais que d’autres.

L’arbitraire administratif ainsi relevé soulève la question de l’adéquation entre le mandant et le mandataire. C’est la question éthique de l’identité parlementaire : en effet, les populations mandantes se demandent de plus en plus souvent, non sans gravité, à quel mandataire s’identifier, eux qui ne savent plus à quel parlementaire se vouer. Ce malaise d’identification est d’ordre éthique, disons-nous, en ce qu’il interpelle la représentativité même du parlementaire camerounais. Ainsi, bien que nos parlementaires soient présents dans l’hémicycle, cette présence physique n’est pas forcément un certificat de représentativité politique, les populations ayant du mal à se reconnaître en plus d’un. Ce handicap de représentativité hypothèque le fonctionnement des parlementaires dont la plupart sont plus portés à faire commerce et affaire avec le gouvernement qu’à contrôler son action au bénéfice des populations qui leur ont accordé leur mandat.

Bien des parlementaires camerounais se sont ainsi dessaisis de leurs prérogatives constitutionnelles : désertant l’éthique parlementaire, ils parlementent plutôt avec les gestionnaires de crédits et les ordonnateurs de budgets pour en obtenir des marchés publics - dont la plupart s’avèrent d’exécution et de livraison douteuse. Par cette défection liée à l’enrichissement illicite par goût du lucre, de nombreux parlementaires ne s’identifient plus à leur vocation constitutionnelle d’élus de la nation chargés de contrôler l’action du gouvernement. Cette perte d’identité constitutionnelle plonge ceux qui s’y complaisent dans l’incivisme parlementaire. Elle ne leur fait gagner qu’un certificat d’indignité parlementaire propre à décrédibiliser le parlementaire et à provoquer l’indignation des populations.

Les parlementaires qui ont ainsi bradé leur identité parlementaire permettent négativement de prendre la grave mesure du déficit d’identité et de citoyenneté au Cameroun. Cette situation de carence identitaire et de déficit de citoyenneté trouve son illustration la plus criarde dans ce que nous appelons ’’carte nationale d’identité’’ - dont l’obtention se veut gratuite au Cameroun.

Nous l’aurons déploré comme d’autres en 2013 : la mise en gratuité de la carte nationale d’identité donne l’illusion de soulager les populations d’une dépense. Elle prouve cependant deux choses : que ces populations sont effectivement pauvres pour avoir été appauvries, et que du fait leur indigence, elles étaient exclues de leurs droits à une identité et, partant de leur droit à la citoyenneté. Longtemps après les indépendances, les populations du Cameroun ont ainsi été privées de leur droit de cité, le droit imprescriptible de jouir d’une identité nationale et d’une nationalité.

Faute de disposer d’une Carte d’identité (CI) de nombreux enfants du Cameroun étaient ainsi expatriés de l’intérieur même du Cameroun. Véritables Apatrides Nationaux non Identifiés (ANI), ils étaient étrangers dans leur propre pays. Ils sont nombreux à le demeurer. Le choix de gouvernance qui inflige cette misère civique à nos populations n’est pas seulement inacceptable pour des adultes; il est socialement et politiquement asphyxiant pour la jeunesse camerounaise qui, faute d’identification crédible et de citoyenneté protégée, se trouve drastiquement exclue de son avenir.

III- La question devient particulièrement sensible quand nous analysons ce que nous appelons ’’ Carte nationale d’identité’’

Ce bout de carton appelé « carte d’identité » porte le terme « nationale » qui, théoriquement, marque l’identification d’un(e) citoyen(ne) à une nation, en l’occurrence le Cameroun. Si après tant de décennies de gestion publique le pouvoir n’a pas su faire de cette identification un acte naturel, spontané ou instinctif de réflexe patriotique, c’est légèreté que de vendre aussi peu cher l’identité des Camerounais, et de croire que la seule dispense du paiement de cinq mille francs puisse résorber un déficit civique ou solder une insuffisance patriotique aussi préjudiciable à la nation. Car le préjudice sociopolitique est bien plus frustrant qu’on ne veut le reconnaître. Ne pas s’en rendre compte traduit une cécité politique et une incurie patriotique à l’évidence irrattrapables.

Contrairement à l’effet escompté, et pour tout Camerounais fier de sa camerounité, la gratuité de la carte nationale d’identité fonctionne comme une injure à la nationalité camerounaise dont la ‘’carte’’ dite ‘’d’identité’’ est la matérialisation.

Au Cameroun, cette pièce officielle est trompeusement bilingue : on a traduit Carte nationale d’identité par National identity card. C’est ici que surgit le drame de citoyenneté et de nationalité : car si en français c’est la carte qui est nationale et non l’identité, en anglais c’est manifestement l’identité qui est nationale, pas la carte. Une saine traduction en anglais de ’’Carte nationale d’identité’’ aurait donné ’’Identity national card.’’ Tandis qu’une saine traduction en français de ’’National identity card’’ aurait donné ‘’ Carte d’identité nationale’’.

Chacun se rend compte que la question n’est plus simplement linguistique, mais qu’elle devient éminemment politique. Elle invite en effet à se demander si en près de soixante ans d’existence, l’État du Cameroun s’est donné la peine et les moyens de construire une identité nationale dans laquelle ses citoyens puissent se reconnaître, dont ils puissent fièrement se réclamer et qu’ils puissent, à l’occasion, courageusement revendiquer, fût-ce au prix de leur vie.

La question du patriotisme se pose donc avec gravité aux Camerounais. Révélation en est faite à partir de la traduction somme toute bien sommaire du nom d’une pièce officielle. Car c’est fort abusivement qu’on a baptisé carte d’identité un document qui ne définit pour personne, et dans lequel personne ne reconnaît, ce qui fait l’identité du Camerounais, pour ainsi redire la camerounité. L’un expliquant l’autre, nous ne disposons dans le meilleur des cas que d’une carte d’identification de nos individualités du fait de la photographie personnelle qui s’y trouve. Nous n’avons toujours pas une carte d’identité qui, par son obtention et sa seule présentation, nous inscrive affectivement, consubstantiellement presque congénitalement dans notre nation d’appartenance. Notre carton national d’identification n’est donc pas encore notre carte d’identité nationale. L’un est occasionnellement et accessoirement administratif, l’autre est essentiellement éthique et permanemment politique.

L’esprit de raccourci et de facilité prétend que l’une vaut l’autre. Mais ce qui semblait théorique et accessoire se découvre pratique et fondamental : un carton d’identification permet d’identifier un individu; seule une carte d’identité indique la nationalité et la culture nationale portées par l’individu identifié. Le lien entre un individu et une nationalité n’est pas automatique. Car si l’identification d’un individu est un exercice personnel, l’identité de cet individu renvoie à la culture globale par laquelle cet individu se définit, et qui, à plusieurs égards demeure une valeur complexe essentiellement collective. L’on s’en aperçoit toujours assez vite chaque fois qu’une crise mal vécue par un individu le pousse instinctivement à opérer un repli identitaire : l’individu qu’il est se réfugie aussi instinctivement que fébrilement dans sa collectivité, son giron social et ses référents culturels d’appartenance.

Tel nous semble le schéma social qui éclaire la différence entre une identification et une identité. On peut se fabriquer des cartons magnétisés ou biométriques pour le besoins circonstanciels d’identification, mais l’identité est une somme interne de valeurs quasi génétiques non falsifiables - qui nourrissent et forgent pérennement la personnalité d’un individu. Ce sont ces valeurs qui qui se résument par le civisme. Par éducation civique et par choix personnel, elles font transformer en patrie un espace qui n’était encore qu’un simple pays. Nous voudrions y percevoir le seuil d’exigence patriotique auquel il faut, pour la mieux comprendre, hisser la dénonciation que Dr. Sosthène Fouda a faite en Octobre 2015 du ’’trafic de la nationalité camerounaise’’.

Pour ne pas conclure - Quand l’identification s’appuie sur une identité, l’État-civil bâtit l’état civique. Il en naît un citoyen qui sait qui il est comme individu, un citoyen qui se réclame d’une nation dont il est prêt à défendre l’image et l’honneur sur tous les fronts.

C’est dire que l’incivisme d’État dont le Cameroun offre le spectacle provient de l’inadéquation entre l’identification des individus et l’identité nationale. Nous en avons signalé quelques effets pervers en milieu parlementaire et dans les administrations publiques : dans ces grands corps de l’État, chacun tend à prendre son individualité personnelle pour la nation, et à ravaler l’identité nationale aux chétives dimensions de son identification individuelle. On n’aime beaucoup la nation, mais l’on adore littéralement ce qu’on en extrait et qui nous engraisse à titre individuel. L’analyse et certaines confidences collectées établissent que les chorales de soutien ne chantent en vérité que les gains et autres retombées que le choriste en attend ou en retire. Quand on réussit à s’aimer plus que la nation dont on arbore la nationalité, quand on se préfère au drapeau de son pays, il n’est plus surprenant que le pays que ce drapeau représente, comme les immeubles de ses institutions, soit exposé aux détonations, aux explosions et aux incendies…

L’individualisation de l’identité nationale étant le terreau de l’individualisme et le moteur de l’incivisme d’État, l’État du Cameroun pourrait bien avoir échoué à bâtir une nation camerounaise. Or authentifier et protéger l’état-civil des populations c’est protéger la nation de l’incivisme d’État dont les ravages savent toujours se multiplier, se complexifier et s’aggraver au point de menacer l’intégrité même de l’État.

Qu’il ne nous suffise donc plus d’exhiber un carton d’identification; nous devons nous assurer que l’État fait ce qu’il faut pour que les populations se reconnaissent dans une identité nationale dont la déclinaison sociopolitique est la patrie. Car si des services peuvent administrativement et occasionnellement nous identifier dans notre pays sur présentation d’un carton, il appartient à chacun de nous de s’identifier tout seul, moralement et politiquement, à une patrie par ce qui sera enfin une carte d’identité nationale.

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