Cameroun, Fotso Fonkam : « Notre éducation est encore coloniale »
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Cameroun, Fotso Fonkam : « Notre éducation est encore coloniale » :: CAMEROON

Le jeune enseignant de Français dans la section anglophone et d’Anglais dans la section francophone, parle des insuffisances du système scolaire camerounais.

Professeur, comment préparez-vous la rentrée scolaire 2017/2018?

Je prépare la rentrée du mieux que je peux. En ce qui me concerne, la préparation est à deux niveau, ou même trois : Je me prépare sur le plan pédagogique, c’est-à-dire que j’apprête mes documents, j’achète le matériel pour mes préparations, je m’assure que j’ai le nécessaire pour démarrer l’année scolaire dans des bonnes conditions. Ensuite, je me prépare psychologiquement. J’enseigne dans un établissement situé dans le Sud, et l’endroit n’est pas facile d’accès. Pire encore, les conditions de vie n’y sont pas idéales. On n’a par exemple pas accès à l’eau potable, l’électricité y est intermittente et le réseau très mauvais. Quand à Internet, nous n’avons droit à la 2G, dans le meilleur des cas. A l’approche de la rentrée, je commence à me préparer psychologiquement à retourner à ce mode de vie. Enfin, je me prépare financièrement. À cause de contraintes familiales (notamment ma femme qui travaille à Mbalmayo et mes enfants qui y vont à l’école), je suis obligé de faire la navette chaque semaine entre Mbalmayo et mon lieu de service, à Melane. Ça me coute en moyenne le quart de mon salaire en transport, chaque mois. Donc pour moi la rentrée rime également avec dépenses énormes. Voilà donc comment je prépare la rentrée scolaire.

Au Cameroun, plusieurs observateurs pensent que le système scolaire national doit être révisé. Parce que celui en place actuellement ne profite pas au pays. Etes-vous du même avis ?

Je suis du même avis que ces observateurs. En effet, notre système éducatif a grand besoin d’être révisé. Il n’y a qu’à observer les jeunes diplômés désemparés face aux réalités du monde du travail pour s’en rendre compte. Un système éducatif qui produit des chômeurs à la pelle est sans aucun doute un système inutile au pays. Je pense que le véritable problème de notre éducation, c’est qu’elle n’est pas en adéquation avec notre contexte socio-économique. Pour faire simple, ce qu’on enseigne à nos enfants ne leur sert à rien (en terme d’apport à l’économie nationale, bien entendu). À mon avis, on devrait d’abord évaluer nos besoins, recenser nos ressources, et adapter les formations scolaire et universitaire à ça, de façon que, si on se rend compte qu’on a beaucoup de terres cultivables par exemple, qu’on oriente nos programmes scolaires vers l’agriculture, pour permettre aux apprenants de mettre leur savoir au profit de la société. Aujourd’hui, nos enfants en apprennent plus sur les cultures étrangères que sur la leur propre. Notre éducation est encore coloniale, et une révision nous ferait le plus grand bien.

Toutefois, plusieurs collèges du pays innovent. On a par exemple le Collège Sacré-Cœur de Makak, où les langues nationales sont dispensées, ainsi que d’autres langues étrangères. Dans ce même établissement, il y a des cours de pisciculture, d’agriculture, de technologie, etc. à partir du premier cycle, qui sont au programme cette année. Une bonne nouvelle selon vous ?

C’est une excellente nouvelle en effet. Et mon avis c’est que tous les établissements scolaires sur l’étendue du triangle national devraient leur emboîter le pas, en tenant bien sûr compte des atouts et des spécificités de la zone dans laquelle chacun de ces établissements se trouvent. J’espère également que le Collège Sacré-Cœur de Makak a l’accompagnement pédagogique et technologique adéquat pour que les apprenants tirent le meilleur parti de ces disciplines. Pour terminer, je dirai qu’il y a plusieurs établissements privés qui développent des initiatives intéressantes comme celles-ci. Mais, tant que les établissements publics ne rentreront pas dans la danse, ce genre d’initiative ne constitueront que des exceptions à la règle qui veut que l’enseignement au Cameroun soit très théorique et axé sur des réalités trop éloignées des apprenants.

De façon précise et concrète, qu’est-ce qui manque à notre éducation nationale pour former des Hommes prêts à l’emploi dès l’école primaire ?

Ce qui manque à notre éducation, ce sont, des contenus adaptés au contexte dans lequel nous évoluons. Une fois encore, ce qu’on enseigne à nos enfants ne leur est pas d’une grande utilité quand il faut trouver un emploi, s’auto-employer ou bien créer de l’emploi. Un enfant qui a eu son baccalauréat au Cameroun ne sait rien faire. Il a des connaissances, mais ne peut les appliquer dans aucun domaine. C’est pour cela que pour continuer, il faut intégrer une école de formation. Or, en 7 années que dure le cursus au secondaire, il est possible de donner à l’apprenant une formation qui lui permette d’exercer un métier, un peu comme ça se fait dans l’enseignement technique. Des infrastructures adéquates et une meilleure gestion des ressources humaines. Il existe au Cameroun des établissements scolaires sans enseignants, sans salles de classe, sans bibliothèque, ou dont l’accès est très difficile. La formation des apprenants ne sera pas optimale si le formateur doit parcourir des dizaines de kilomètres pour pouvoir dispenser le savoir, ou bien s’il n’a pas accès à l’eau potable ou à internet pour pouvoir faire ses recherches pendant qu’il prépare ses leçons. Même avec le meilleur programme, le manque d’infrastructures est un gros handicap. Une meilleure gestion du personnel enseignant serait également un plus. Nous avons récemment assisté aux revendications d’enseignants qui ont passé trois, quatre, cinq ans sur le terrain sans salaire. Ce sont des choses qui démotivent et qui soit poussent les enseignants à déserter, soit les empêchent de se donner à 100%.

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