L’Histoire, le héros, l’éthique : dialectique de trois catégories discursives. Court traité d’histoire politique 1er volet : cas d’espèce, la Côte d’Ivoire »
CÔTE D'IVOIRE :: POINT DE VUE

CÔTE D'IVOIRE :: L’Histoire, le héros, l’éthique : dialectique de trois catégories discursives. Court traité d’histoire politique 1er volet : cas d’espèce, la Côte d’Ivoire » :: COTE D'IVOIRE

Afin de marquer leur existence, les hommes ont, de tout temps et en tout lieu, posé des actes significatifs et singuliers. Ces actes acquièrent de la valeur selon l’impact qu’ils ont sur la société, et selon la qualité de leurs auteurs.

C’est le fait d’occuper le temps par ces actes marquants, remarquables et, conséquemment, mémorables (car déterminant l’actualité et le devenir de la société), qui constitue ce que l’on appelle « l’Histoire ». Autrement dit, une société ne s’inscrit dans le sens de l’Histoire que lorsqu’elle a posé des actes remarquables, sinon décisifs dans sa vie. Au mieux, quand ces actes ont eu des répercussions sur le monde alentour. C’est pourquoi, aux yeux de l’ethnologue (des premiers âges), du colonisateur et de l’esprit colon, tous les deux gravement atteints d’un complexe ridicule de supériorité, les sociétés tranquilles (en apparence), qui ne semblent pas connaître de bouleversements, ni en avoir connu de majeurs, sont apparues (ou apparaissent) comme des sociétés qui ne sont pas « entrées dans l’histoire » ou qui n’y sont pas « suffisamment entrées » — prête-moi tes réflexions erronées, Henri Guaino ! Cependant, ne dit-on pas généralement d’une communauté, d’un pays, d’un couple tranquille, paisible, équilibré, qu’ils vivent une vie ‘‘sans histoire’’, c’est-à-dire sans heurts et perturbations ?

L’Histoire est donc cela : le temps marqué au fer d’actes et de faits mémorables, nécessairement perturbateurs. Et la vie des hommes nous apprend que la violence et son expression maximale qu’est la guerre, fait partie de ces actes remarquables qui fondent l’histoire d’une société. Une précision à l’endroit des bellicistes impénitents et euphoriques : je n’ai pas dit que la violence, à elle seule, suffit à signer l’histoire d’une société, ni qu’elle en est une condition absolument nécessaire d’accès. Les grandes découvertes scientifiques, les événements sportifs de niveau planétaire (Jeux olympiques, Mondial de football) ou national, des moments artistiques de grande envergure et des épisodes douloureux d’une nation (disparition d’une haute figure, par exemple), participent du ‘‘capital histoire’’ d’une société. Le fait historique est et demeure l’acte qui traduit un saut qualitatif (hautement positif ou régressif ou tout simplement mémorable) dans le mouvement de la société qui l’a signé, vécu et enregistré comme repère.

Repère ! Voilà ce qu’est l’acte ou le fait historique. De ce point de vue, le coup d’Etat qu’enregistre la Côte d’Ivoire, le 24 décembre 1999 acquiert statut et valeur de fait historique. D’abord parce qu’il est une Grande première dans la vie de ce pays. Ensuite, parce qu’il postule la légitimité de la prise du pouvoir par les armes, ébranlant ainsi, de manière décisive, les fondements républicains de la société moderne ivoirienne. Précisons qu’en plus de cela, il s’inscrit dans un espace topique qui avait fait de la paix et du dialogue, son credo national. Le 24 décembre 1999 signe une rupture avec l’ordre ancien et met fin à ce que j’appelle souvent « le Premier empire ivoirien — 1960-1999 », qui correspond à la régence houphouétienne.

La II è République naît ainsi sous le sceau de l’ordre kaki. « L’esprit des lois » (Montesquieu), notamment les lois 35 et 132, qui la portent, est inquiétant : la première, discriminatoire sur le plan identitaire, reconduit le spectre de l’ivoirité, concept nationalo-génésique alors très décrié ; la seconde offre généreusement l’immunité civile et pénale aux auteurs du coup d’Etat. C’est donc une constitution qui admet, dans son exposé juridique, la légalité de la violation de la souveraineté du peuple par une poignée d’individus en armes. Un coup d’Etat, ce n’est rien d’autre que cela : un VIOL du peuple par une minorité de violents ; car la violence, toute violence, est un acte de viol de la loi sociale qui fut admise !

Violer la loi, la voie juste, le Mode juste — concept de Bamba Moriféré un des pères de la gauche ivoirienne : voilà l’esprit de l’acte majeur qui fait basculer l’histoire post indépendance de la Côte d’Ivoire, à l’orée du millénaire nouveau. C’est un important saut qualitatif. Toute lecture de la crise ivoirienne qui occulterait ce fait, ainsi que la cause directe qui l’a produit, ne serait que vaine démarche de négationniste.

Décembre 1999 intègre donc la violence à l’agir politique et citoyen de l’Ivoirien. C’est cette donne qui actionnera l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo qui, comme on le sait, fut plus l’aboutissement d’une sanglante insurrection populaire, que celui d’une victoire incontestable dans les urnes : jusqu’à son exécution par les gens d’armes du pouvoir de Gbagbo, le Gl Robert Guéi n’a cessé de revendiquer sa victoire à la présidentielle d’octobre 2000. Qui, en octobre 2000, a réellement remporté le gain de ce scrutin de la honte et de la violence ? Mystère. Et je continue de me demander pourquoi, en octobre 2000, alors qu’il y avait un violent contentieux sur le résultat du scrutin, Laurent Gbagbo n’a pas demandé le recomptage des voix (la solution ‘‘fétiche’’ de ses ouailles), et a plutôt préféré en appeler à une insurrection par le canal complice de Rfi qui n’a pas hésité à faire passer cet appel rebelle sur ses ondes. C’était l’époque de ses amours avec la France de Lionel Jospin, n’est-ce pas ? Ah ! France ! Comme tu es bonne quand tu sers nos intérêts, et subitement mauvaise quand tu ne nous soutiens plus ! Vous avez dit « amnésie ? » En la matière, on ne peut pas faire pire ou mieux !...

Le « Forum de la Réconciliation » nationale, que Laurent Gbagbo a eu le bon sens et le mérite d’organiser (en prenant des précautions pour le rendre vraiment impartial — on doit lui reconnaître ce mérite), occultera malheureusement ces aspects essentiels de la crise ivoirienne. Or, c’est indiscutablement cet acte qui trace les nouvelles perspectives de la vie sociale et politique de la Côte d’Ivoire et détermine son actualité politique : les causes de l’instabilité chronique du pays, la permanence de l’agressivité de l’Exécutif contre le citoyen ivoirien, celle aussi, déstabilisatrice, de conspirateurs de l’ombre contre l’Exécutif, etc. C’est, comme on le voit, toute une atmosphère d’insécurité dont la dangerosité semble échapper à la vigilance des dirigeants. Et, face à tout cela, la proclamation de l’innocence de tous, devant le désastre national et collectif ! Lisons Ernest Tigori dans une très récente et hautement pertinente sortie sur les réseaux sociaux :
 
Tout va très bien Madame la marquise !

Voici un pays en grave crise depuis plus de 25 ans, avec plus de 10 000 morts dans des violences politiques, une pauvreté galopante et une jeunesse qui meurt dans la Méditerranée à vouloir fuire la misère ... mais qui va très bien selon tous ceux qui ont eu la charge de le conduire. En Côte d'Ivoire, on ose même afficher une ambition de croissance économique à deux chiffres, il n'y a rien de bien grave Madame la marquise! 

De l'assaut final de 1992 aux mutineries à répétition de 2017, en passant par le boycott actif de 1995, les manifestations violentes pendant toute la seconde moitié des années 1990, le coup d’Etat de décembre 1999, la transition chaotique de 2000, les affrontements politiques mortels et le charnier d'octobre 2000, le complot de la Mercedes noire de janvier 2001, la rébellion de septembre 2002, l'assassinat de l'ancien chef de l'État Robert Guéi, les escalades à répétition de 2004, les escadrons de la mort et autres miliciens et mercenaires, ainsi que le point culminant de la crise post-électorale qui s'achève en avril 2011 après plus de 3000 morts en cinq mois, la Côte d'Ivoire n'a pas cessé de sombrer dans l'insécurité et le désordre économique, avec une population à l'abandon. Sans parler de la désastreuse situation des dizaines de milliers de déplacés, d'exilés et autres emprisonnés sans jugements ... Mais il n'y a rien de bien grave Madame la marquise ! Si l'on s'en tient aux déclarations des principales écuries politiques, il faut surtout continuer avec les mêmes champions politiques » !
 
Incroyable ! Comment peut-on diriger ou avoir dirigé (même étant dans l’opposition, on a dirigé des hommes), et être innocent des heurts et malheurs qui frappent (ont frappé) le pays ? C’est, hélas, le sombre exercice auquel s’adonne la classe politique de ce pays. C’est, fort heureusement pour ce pays, cet exercice d’irresponsables que Guillaume Soro refuse de faire ; c’est, en réalité, une gymnastique qu’il a toujours refusé de faire, depuis ses années agitées de syndicalisme estudiantin, jusqu’à celles, hautement viriles, de son engagement politique dont le point d’acmé est la direction de la rébellion du nord qu’il a assumée avec tous les risques que cela pourrait entraîner : le verdict de l’Histoire en sa faveur, ou en sa défaveur. L’essentiel, c’est de s’engager et d’assumer cet engagement : voilà ce qu’est et doit être un homme responsable.

Bref, le Forum de la Réconciliation se ferme ainsi en mettant sous scellé les casiers de ces dossiers essentiels. Ce fut donc un inutile show verbal, une exhibition à des fins exécutoires, sur fond d’espérance confessionnelle : « Seigneur (…) dis seulement une Parole, et je serai guéri ! » On a dit mille paroles à ce Forum, mais on en est ressortis plus malades que jamais. Parce que nous avons refusé d’exorciser le fantôme du coup d’Etat ainsi que ce qui l’a provoqué : la gestion socio politique désastreuse du pays par Henri Konan Bédié, et les dangers (qui se profilaient) de l’accession (calamiteuse) de Laurent Gbagbo à l’Exécutif, sous fond de scrutin non crédible et bâclé car mené dans l’exclusion, la tricherie et la roublardise. Au centre de tout cela, les épineuses questions du nord (l’exclusion dont ce nord se sentait victime), et la gestion des mutins déserteurs que les nouveaux locataires du Palais négligent avec morgue.   

On le voit : l’aventure insurrectionnelle avortée du 19 septembre 2002, et qui se transformera en rébellion, s’inscrit en droite ligne de l’option pour la violence comme moyen d’accession au pouvoir d’Etat, et que nous avons légalisée en 1999 ! Dans un cas (le coup d’Etat) comme dans l’autre (la rébellion), la Côte d’Ivoire aura marqué son histoire post-houphouétienne par ces deux faits majeurs par lesquels elle fracture les portes de l’interdit (piétiner le pacte républicain), et transgresse la culture de la paix et du dialogue qui fit la légende de ce pays. Elle accouche alors et à ce moment-là de quatre héros : Konan Bédié, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo, Guillaume Soro. Et voici le peule ivoirien, héros collectif, face à quatre personnages qui se sont octroyé mission de la guérir. C’est un tableau qui mérite un traitement entier, ainsi qu’une lecture entière et attentive.

À suivre : la crise ivoirienne et ses héros.
 Source: guillaumesoro.ci
 
Tiburce_koffi
tiburce_koffi@yahoo.fr

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo