Cameroun, Dominik FOPOUSSI: « Tout seul, l’écrivain ne peut changer une société, juste parce qu’il a écrit »
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Cameroun, Dominik FOPOUSSI: « Tout seul, l’écrivain ne peut changer une société, juste parce qu’il a écrit » :: CAMEROON

Le Citoyen résistant vient de commettre « Châtiments névrotique » un ouvrage dans lequel il s’insurge contre une société Camerounaise ou « L’odieux a pris possession de nous et nous force à l’arrêt, sinon à faire machine arrière » Au cours de la conférence de presse de présentation, il passe au crible les tares de cette société divisée en deux : les « having » et les « having not ». Propos liminaire.

Citoyen résistant.

Je suis né et j’ai grandi dans un monde qui semblait parfait. C’était quelques années après l’indépendance du Cameroun. Je n’ai eu connaissance des horreurs de la lutte pour notre libération que plus tard, en lisant des livres et en écoutant des témoignages de certains vieux combattants. Nos parents, encore traumatisés par ce qu’ils venaient de subir, n’en disaient pas le moindre mot, sinon par des paraboles incompréhensibles à mon âge.

L’omerta collective les avait muselés. A un jet de pierre de là, on venait de fusiller sur la place publique Ernest Ouandié et Wambo le Courant, après avoir jeté de centaines de résistants dans les chutes d’eau. On ne parlait que pour dire des banalités. Les sujets sérieux étaient chuchotés, sinon tenus en aparté et le choix du confident était d’une méfiance maladive. J’ai néanmoins pu comprendre que les soirs où l’on redoutait des représailles, tout le monde devait nicher dans les arbres afin d’éviter de se faire massacrer. Mon esprit d’enfant n’avait retenu que le côté incongru de cette situation pourtant traumatisante : dormir dans un arbre comme un oiseau...

Un début d’existence tranquille donc. Uniquement perturbée de temps en temps par l’inévitable faucheuse qui rôdait. Les cris stridents et rageurs des familles éplorées, leurs peines exprimées à grands gestes de désespoir, remuaient mon âme d’enfant qui voulait tout comprendre tout de suite.

Mon questionnement existentiel devait connaître une parenthèse avec mes premiers pas à l’école : l’initiation àl’alphabet, les chants, les récitations, les jeux…Un pur bonheur, car il n’en faut pas beaucoup pour en procurer à un enfant. Les primes aux bons résultats et les petits cadeaux d’aînés revenant de la ville complétaient ce tableau féérique.

Au collège, nous nous lancions des défis : réciter et appliquer des formules mathématiques,rivaliser d’adresse pour des dessins en perspective cavalière, déclamer des poèmes d’auteurs français, dire de longs extraits de textes d’auteurs anglais et plus tard des philosophes et écrivains étrangers… Nous ne savions être que des gais lurons et des concurrents loyaux. De voleur, je n’en ai pas connu avant d’avoir atteint l’âge adulte, exception faite des petits chapardeurs de mangues et autres fruits. Dans mon quartier, les charges supplémentaires étaient déposées au pied de l’arbre sacré et pouvaient y rester une éternité, sans qu’on redoute leur disparition.

Au lycée, nous venions des quatre coins du Cameroun, mais ne le revendiquions pas : nous étions unis, et ce n’est pas une propagande. C’est à l’université que les discriminations ont commencé à se prononcer. Pour la première fois, j’ai été témoin des notes fantaisistes, superficiellement attribuées à des «con-villageois» ou à des étudiantes pour leur corps… Mon monde parfait commençait ainsi à se déliter. Certes, quelques années auparavant, je l’avais vaguement soupçonné en écoutant la profession de foi du nouveau chef de l’Etat sur la rigueur et la moralisation de la vie publique, la réduction du train de vie de l’Etat. Pourtant, dès 1954, avec «Ville cruelle», Mongo Béti nous avait bien prévenus des malheurs qui nous attendaient. Il avait su mettre, à la perfection, des mots et des images hideuses sur ce qu’était ce Cameroun qui aspirait à l’indépendance : Tanga nord, Tanga sud. Coupé en deux, sans zone tampon. Deux mondes antinomiques, schéma prémonitoire du Cameroun d’aujourd’hui, qui comme tous les pays qui connaissent la mauvaise gouvernance, est toujours coupé

En deux : Tanga riche, Tanga pauvre.

La bien-pensance arrogante en place avait eu le cynisme de faire croire qu’il ne s’agissait que d’un roman ; qu’échafaudages d’un névrosé ambitieux de refaire le monde. Malgré de nombreuses autres productions intellectuelles, notre pays a continué à s’escarper, accentuant démesurément la fracture sociale. Pourtant, nous savons que ce sont les savants de la Grèce antique qui ont permis le rayonnement de leur civilisation ; que ce sont les philosophes des lumières, leurs devanciers et leurs héritiers qui ont érigé l’identité et la civilisation de la France que nous connaissons et que beaucoup admirent. Que faisons-nous de nos penseurs et écrivains ? Que n’ont écrit et suggéré des personnalités comme Fabien Eboussi Boulaga, Marcien Towa, Bernard Fonlon, Engelbert Mveng, etc. ! Que n’écrivent pas aujourd’hui Leonara Miano, Patrice Nganang, Imbolo Mbue, Eric Essono Tsimi, Oliva Evri, Chantal Epée, Hemle Boum, Max Lobé ou Enoh Meyomesse, etc. ! Que n’écrivent d’ici Béatrice Mendo ou Lionel Manga !

Certes, à lui tout seul, l’écrivain ne peut changer une société, juste parce qu’il a écrit, juste parce qu’il a «fictionnarisé» la réalité pour projeter un monde idéal.

Mais pourquoi écrit-on ? Jean d’Ormesson a déclaré : «J’écris pour ne pas mourir de honte». Quelles qu’en soient les raisons, si on peut écrire, il ne faut pas hésiter. Se contenter de regarder et de ne rien dire est démission et abandon, est trahison des siens. C’est se faire complice de l’origine des maux et douleurs de ses contemporains. Jean-Paul Sartre disait, «L’écrivain engagé sait que la parole est action : il sait que dévoiler c’est changer et qu’on ne peut dévoiler qu’en projetant de changer. Il a abandonné le rêve impossible de faire une peinture impartiale de la société et de la condition humaine».

Quand nos pays tournent le dos au développement ; quand le mal-être des populations prospère ; quand le peuple, souvent dépourvu de leader exemplaire, boit la tasse ; quand ceux qui peuvent l’aider mettent leurs sciences au service des forces d’oppression qui, elles-mêmes, n’écoutent que leurs ambitions nombrilistes…

Quand aujourd’hui plus qu’hier, sévit dans nos pays une mode de l’aplat-ventrisme surfant sur les misères, une mode qui rabaisse chaque jour un peu plus les intelligences ; quand les valeurs sont inversées ; quand les tripes ravissent la vedette aux neurones ; quand le ventre prend la parole au détriment de la raison ; quand il n’écoute que ses viscères, on ne peut se taire. «Gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile d’un spectateur, car la vie n’est pas un spectacle (…)», disait Aimé Césaire.

Aujourd'hui que la culpabilité paraît absente, refoulée, au profit d'un «tout est permis» dans un «monde sans limites» où l'impératif est de «jouir à tout prix», la morale est jetée aux orties. A sa place, trône en haut de l’échelle, l’immoral. Le peuple s’y mire et s’y reconnaît malgré lui. Il est devenu sale et s’aime ainsi. C’est que l’immoral a dompté les intelligences et les sagesses. Il a tout corrompu. Nous pourrissons et nous nous aimons ainsi. Nos plaies puent, mais ne nous dégoûtent point. Nous apprivoisons nos odeurs les plus nauséeuses et restons indifférents à nos meilleures flagrances. Parce que nous sommes enveloppés par le terrible linceul de la misère que nous avons générée. L’odieux a pris possession de nous et nous force à l’arrêt, sinon à faire machine arrière. Car sur le chemin du développement, qui n’avance pas recule.

D’où viendront donc les secours pour nous sortir de cette situation d’enlisement continu, de démission collective qui confine au désespoir ? Du refus de subir. Des lanceurs d’alerte. Des sentinelles de la société. Du citoyen résistant.

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