Allemagne: Helmut Kohl s’est éteint vendredi à l’âge de 87 ans.
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Allemagne: Helmut Kohl s’est éteint vendredi à l’âge de 87 ans. :: GERMANY

Il était l’une des personnalités politiques les plus populaires d’Allemagne. Mais aussi l’une des plus contestées. C’était le 31 octobre 2009 et l’une de ses dernières apparitions en public. Helmut Kohl, alors âgé de 79 ans, prend la parole – en fauteuil roulant – devant le public du Friedrichstadt-Palast, un théâtre de Berlin où la CDU fête alors les pères de la chute du Mur. Au premier rang, près d’Angela Merkel qu’il évite visiblement, Helmut Kohl côtoie Mikhaïl Gorbatchev (alors âgé de 78 ans), et George Bush père (85 ans). Le public – 1800 invités triés sur le volet – ovationne les trois vieillards qui ont mis fin à la Guerre froide. Les quelques mots prononcés par l’ancien chancelier diminué par un accident cérébral survenu à la suite d’une chute en 2008, visiblement ému, sont à peine audibles.

Panthéon germanique

Helmut Kohl est depuis longtemps entré pour les Allemands au Panthéon germanique. Des années après sa retraite en 1998, il est resté l’une des personnalités de l’histoire allemande les plus populaires auprès de Konrad Adenauer et Willy Brandt ou de Goethe et Schiller. Il vivait cloîtré depuis des années dans sa villa de Ludwigshafen dans le sud-ouest de l’Allemagne. C’est là, dans un bloc de béton blanc de 10 pièces, sans charme et communément appelé le «bunker» qu’il vivait retranché du monde et de la politique. La grille, infranchissable, est ornée d’un «H. Kohl» en lettres géantes.

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Helmut Kohl a passé là les dernières années de sa vie en compagnie de sa seconde épouse, Maike Kohl-Richter, 53 ans. La jeune femme, qui collectionnait les posters d’Helmut Kohl depuis l’adolescence, est accusée par l’entourage de l’ancien chancelier de l’avoir isolé de ses amis et même coupé de sa famille – les deux fils Kohl Walter et Peter n’ont pas été invités aux secondes noces de leur père – afin de garder la main sur son colossal héritage d’archives. Nombre de vieux compagnons de route, comme l’ancien ministre du Travail Norbert Blüm, se plaignaient depuis des années de ne plus avoir accès au chancelier.

Enfance modeste

A priori, rien ne prédisposait Helmut Kohl à entrer un jour dans l’Histoire. Helmut Joseph Michael Kohl est né le 3 avril 1930 à Ludwigshafen, en Rhénanie-Palatinat. Son père est un modeste fonctionnaire des finances, son grand-père agriculteur. Son enfance et son adolescence sont marquées par la guerre. Son père a combattu pendant les deux guerres, revenu marqué du front de Pologne en 1940. A la fin du conflit, le jeune homme perd son frère aîné Walter, parachutiste tué par les Américains au cours de la retraite sur le front de l’ouest. A peine âgé de 15 ans, Helmut est enrôlé dans l’armée et doit brièvement servir dans un camp d’entraînement militaire près de Berchtesgaden. Après la défaite, il est réquisitionné pour ramasser les cadavres dans les rues de sa ville réduite à l’état de ruines. Les années de l’après-guerre sont marquées par les privations.

Le jeune homme travaille pendant trois années comme ouvrier d’usine dans l’industrie chimique pour payer ses études. Ses origines petites-bourgeoises et le catholicisme influencent, aux côtés de la guerre, son développement et sa personnalité. Entré à 17 ans dans les jeunesses chrétiennes-démocrates, il est élu ministre président de son Land à 39 ans. Quatre ans plus tard, il devient président de la CDU.

Au pouvoir durant seize ans

En 1976 il se présente pour la première fois aux élections législatives, battu de peu par le social-démocrate Helmut Schmidt. Il devra patienter jusqu’en 1982 pour parvenir au pouvoir. Et s’il est alors élu chancelier c’est avant tout parce que le parti libéral FDP vient de casser la coalition qui le liait avec les sociaux-démocrates sous la direction d’Helmut Schmidt. Il sera réélu à quatre reprises, devenant avec seize années passées au pouvoir le champion de la longévité en politique. Son «règne» a duré deux années de plus que celui d’Adenauer.

Moqué par la presse

A ses débuts, la presse se moque de «l’Homme à tête de poire», de son peu de charisme, de ses bourdes et de son provincialisme. Il s’installe à Bonn avec Hannelore, son amour de jeunesse épousée en 1960 à l’issue de longues fiançailles. Hannelore est secrétaire bilingue, protestante, réfugiée de guerre: sa famille a fui l’avancée de l’Armée rouge à la fin du conflit. Elle fait partie de ces réfugiés qui ont tout perdu, très marqués par l’hostilité envers les Russes. Le couple s’est connu dans un bal. Elle avait alors 15 ans et lui 18. Ils auront deux fils, avec qui les Kohl posent régulièrement lors de leurs traditionnels séjours dans les Alpes suisses ou autrichiennes.

Les deux garçons en culottes de peau entourés de leurs parents font la une de la presse tabloïd, rompant avec la tradition qui voulait qu’un chancelier n’ait pas de vie privée. Walter et Peter Kohl ont depuis mis fin à ce mythe de l’idylle familiale et bourgeoise, réglant tous deux leurs comptes avec un père absent et autoritaire, rendu responsable du suicide en 2001 de leur mère, qui souffrait de dépression et d’une grave allergie à la lumière.

Ténacité et rancœur

Les Allemands ont longtemps sous-estimé l’animal politique qu’était Helmut Kohl. Doté d’une mémoire d’éléphant, d’une ténacité et d’une rancœur légendaires, il n’hésite pas à éliminer ceux qui pourraient se mettre en travers de son chemin. Lui qui n’a rien d’un intellectuel se laisse guider par son instinct politique. C’est ce qui lui permettra d’entrer dans l’Histoire, lorsque convaincu de la faiblesse de son ami de sauna Mikhaïl Gorbatchev, il arrache – dans le sillage de la chute du Mur – l’Unité allemande au Kremlin.

La décision est prise lors d’un mémorable soir d’été 90 à Stavropol. Helmut Kohl surprend alors par sa détermination jusqu’à son inamovible ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher en présentant au Bundestag un plan en 10 points visant à rétablir au plus vite l’unité du pays. Le 3 octobre 1990, moins d’un an après la chute du Mur, l’Allemagne est réunifiée.

Amitié légendaire avec François Mitterand

La réconciliation avec la France et l’Europe figure parmi ses priorités en politique. Son amitié légendaire avec François Mitterrand, mélange de méfiance et de complicité, est immortalisée le 22 septembre 1984 par l’image des deux hommes main dans la main à Verdun, s’inclinant à la mémoire des soldats français et allemands tombés pendant la Première Guerre mondiale. Dix ans plus tard, le 14 juillet 1994, le corps d’armée franco-allemand défile sur les Champs Elysées. C’est la première fois depuis la guerre que des soldats allemands en uniforme marchent dans la capitale française. Ce passionné d’histoire dont le salon est tapissé d’ouvrages historiques voit dans l’amitié avec la France et l’Europe le moyen pour l’Allemagne de se racheter de son passé nazi.

Il est prêt à en payer le prix: pendant les seize années de l’époque Kohl, l’Allemagne a payé sans broncher pour faire avancer le moteur européen. Helmut Kohl a su ancrer l’Allemagne au sein de l’Union européenne. Conscient de la méfiance de certains chefs d’Etat européens – notamment François Mitterrand – à l’égard d’une Allemagne réunifiée, il participe à la préparation de la mise en place de la monnaie unique, parvenant à convaincre une opinion très attachée au Deutsche Mark, symbole de la prospérité économique et de la stabilité.

Zones d’ombre

Mais la période Kohl a aussi ses zones d’ombre. Lors de sa défaite face à Gerhard Schröder, en 1998, l’Allemagne semble prise sous une chape de plomb. Partout une interprétation conservatrice de la morale catholique semble dominer la société allemande: interdiction du travail le dimanche, fermeture des magasins le samedi dès 14h, des cafés et boîtes de nuit à minuit, non-reconnaissance de la paternité hors mariage, de l’homosexualité… Un vent de jeunesse semble souffler sur le pays lorsque le SPD et les Verts arrivent au pouvoir.

Sur le plan économique, la Réunification prend des allures de catastrophe économique. L’industrie de l’ex-RDA s’effondre, le chômage s’envole à quelque 5 millions de demandeurs d’emploi, le déficit public dérape, la natalité est-allemande s’effondre et des millions de jeunes quittent les territoires de l’Est pour l’Ouest du pays… Contre l’avis de ses conseillers et du président de la Bundesbank, Helmut Kohl impose une décision politique: l’instauration d’un taux de change irréaliste – 1 Ost-Mark vaut soudain 1 DM- coûtera cher au pays pendant de longues années. L’Allemagne devient l’Homme malade de l’Europe. Au total, la facture de la Réunification s’élèvera à 100 milliards d’euros pour le contribuable allemand, selon une étude réalisée en 2009 par l’Université Libre de Berlin. Les Allemands de l’Est à qui «Helmut, Helmut!» avait promis des «paysages florissants» se sentent trahis.

Coup de poignard

Lors de ses derniers meetings, d’anciens supporters déçus le bombardent d’œufs. Le colosse – 1,93 mètre et un poids classé «secret d’Etat» – se jette dans la mêlée et ses gardes du corps ont le plus grand mal à le diriger vers la sortie. Helmut Kohl, empêtré dans le scandale des caisses noires de son parti et des amitiés douteuses avec des hommes d’affaires peu respectables comme le magnat de l’audiovisuel Leo Kirch, est sorti par la petite porte, battu par Gerhard Schröder en 1998 – en partie à cause des difficultés économiques du pays – et évincé de la présidence de la CDU en 2000 par la «gamine», la jeune Allemande de l’Est qu’il avait appelée à son gouvernement pour y tenir un rôle de potiche féminin et de l’Est.

Angela Merkel, l’auteure de ce coup de poignard, prend la tête du parti après avoir publié une tribune ouverte dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung. Elle est à l’époque l’un des rares cadres du parti à ne pas être impliqués dans le scandale. Lui ne lui a jamais pardonné ce parricide. Retiré des affaires, Helmut Kohl se mure dans le silence, refusant de livrer à la justice le nom des généreux donateurs qui ont financé ses campagnes électorales. Il avait juré d’emporter le secret dans sa tombe. Il a tenu parole et son épouse aura fait le nécessaire pour que seules les archives autorisées par le patriarche ne quittent un jour le «bunker» de Ludwigshafen.

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