Cameroun ,Enrichissement des fonctionnaires: Sylvain Souop  “L’Etat est à l’origine de la dérive”
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Cameroun ,Enrichissement des fonctionnaires: Sylvain Souop “L’Etat est à l’origine de la dérive” :: CAMEROON

La polémique enfle sur la résidence cossue de l’ex-Dg du Budget, Félix Samba et soulève trois questions : le cumul par les fonctionnaires de la mission de service public et l’entreprenariat privé ; le sort incertain de la déclaration des biens ; et l’infraction d’enrichissement sans cause amputé du projet de loi portant révision du code pénal voté en juin 2016. Sylvain Souop, Avocat d’affaires pose la nécessité d’une loi sur l’enrichissement illicite

Quelle est la pertinence de la réglementation sur l’entreprenariat privé des fonctionnaires?

Toutes ces dispositions posent la règle du non cumul de l’activité de fonctionnaire avec une activité privée lucrative notamment commerciale, entre autres. Cette interdiction se justifie par le fait que le fonctionnaire exerce une mission de service public qui est par principe incompatible avec l’intérêt privé qui bénéficie seulement à une personne au détriment de l’intérêt général de l’ensemble de la nation. Par ailleurs, le fonctionnaire doit se consacrer entièrement et totalement à sa mission de service public alors que dans le cadre d’une entreprise privée lucrative, l’intérêt poursuivi est fondamentalement égoïste. Dès lors, le risque de conflit d’intérêts est flagrant et, dans cette hypothèse, le fonctionnaire risque de privilégier son intérêt privé au détriment de l’intérêt du public. Cette interdiction relève du reste des devoirs déontologiques du fonctionnaire dont la vocation est d’agir dans l’intérêt de tout le monde.

Comment comprendre qu’il y ait tant de dérives au Cameroun malgré l’arsenal juridique ?

Les raisons de la dérive sont multiples. Au premier plan, je situerais la morale de certains fonctionnaires qui n’ont pas compris ou accepté que la carrière de fonctionnaire est une vocation par laquelle l’agent public fait comme un don de soi au service des autres. Ces fonctionnaires considèrent en réalité que le matricule de la fonction publique n’est qu’un marche pied ou une sorte de pas de porte qui leur ouvre la voie à l’enrichissement effréné en détournant à leur profit personnel la position ou la fonction qu’ils occupent. L’autre explication pourrait se trouver dans les conditions d’accès à la fonction publique où il est de notoriété publique que certaines places aux concours officiels se monnaient dans un marché souterrain et occulte où les pratiques sont bien huilées. On a même vu des candidats
convenir de sortes de contrat de gage ou de garantie avec les personnes susceptibles de leur faciliter le succès immérité aux concours d’accès à la fonction publique. Pour ce faire, la famille est souvent mise à contribution et, une fois le service pris, le nouveau fonctionnaire va s’employer à rembourser ses bailleurs de fonds par tous les moyens et, avec le temps et ayant pris goût au lucre, il devient difficile de se départir de cette mauvaise pratique.

L’autre explication se situe dans la faiblesse de la rémunération de la plupart des fonctionnaires qui n’arrivent pas, malgré leur bonne volonté, à faire face à des charges incompressibles et de plus en plus croissantes du fait de la cherté de la vie. En outre, on ne saurait éluder la faute du gouvernement qui, en 1994, a permis que les fonctionnaires exercent des activités lucratives privées avant de fermer la voie six ans plus tard en octobre 2000 avec le nouveau statut de la fonction publique cité ci-dessus. Hors, si en 1994, l’autorisation donnée aux fonctionnaires d’exercer une activité privée lucrative pouvait s’expliquer du fait de la réduction drastique de leurs salaires et la survenue de la dévaluation qui est venue anéantir leur pouvoir d’achat, l’interdiction réintroduite en 2000 ne semble pas avoir été suivie de mesures alternatives aboutissant à l’augmentation des revenus des fonctionnaires. En tout cas, les salaires actuels de la plupart des fonctionnaires (à l’exception de certains corps) restent incompatibles avec le coût de la vie alors même que les revenus de l’Etat augmentent d’année en année. Au bout du compte, et dans une certaine mesure, l’Etat lui-même semble être à l’origine de la situation de dérive que vous déplorez. En effet, on peut se poser la question de savoir si l’Etat traite son personnel comme il se doit en lui versant un salaire raisonnable au lieu de laisser la dérive perdurer.

Le contexte camerounais est-il finalement un frein à l’application de la réglementation ?

L’interdiction du cumul de la mission de fonctionnaire avec une activité commerciale lucrative apparaît comme une pétition de principe non suivie d’outils pour réprimer les violations de cette interdiction. D’abord, on s’interroge sur les mécanismes que l’Etat employeur a mis en place pour quadriller et détecter les fonctionnaires qui mènent des activités commerciales même par personne interposée. Cet outil n’existe pas sauf méprise de ma part. Autrement dit, l’application de l’interdiction n’est pas effective dès lors que, s’agissant des marchés publics par exemple, il est notoire que les fonctionnaires sont les principaux fournisseurs de l’Etat au travers des prête noms et autres montages. La volonté de l’Etat de lutter contre la propension du fonctionnaire à exercer des activités commerciales doit être questionnée. En réalité, cette volonté n’existe pas dans la mesure où on a l’impression que ceux qui sont chargés de mettre en œuvre l’interdiction sont les premiers à fouler aux pieds cette règlementation. Au-delà du principe de l’interdiction du cumul fonction publique/activité commerciale, l’arsenal juridique camerounais affiche un vide inquiétant quant aux dispositions qui ont cours dans certains pays et qui aident à lutter efficacement contre l’appât du gain des agents publics.

La déclaration des biens peut elle être un plus dans l’encadrement de l’entreprenariat privé des fonctionnaires ?

Oui. Seulement, il ne suffira pas seulement au fonctionnaire de déclarer ses biens ; encore faudrait-il que l’organisme appelé à recueillir ces déclarations ait les moyens juridiques et matériels pour vérifier la déclaration, enquêter autour du fonctionnaire pour savoir s’il n’utilise pas des prête-noms. Au-delà de la déclaration des biens qui sera forcément insuffisante, le Cameroun a besoin urgemment d’une loi sur l’enrichissement illicite. Cette loi a l’avantage de renverser la charge de la preuve. Autrement dit, il appartiendra au fonctionnaire ou à tout détenteur d’une fonction publique de justifier la provenance ou l’origine de son aisance matérielle. En cas de non justification, l’enrichissement sera considéré comme irrégulier et la personne mise en cause pourra voir ses biens saisis par l’Etat. C’est le lieu de déplorer que l’infraction d’enrichissement illicite n’ait pas été retenue dans le code pénal en vigueur alors que, d’après nos sources, cette infraction figurait dans le projet validé à l’hôtel Mont Fébé il y a plusieurs années 

Que faut-il pour véritablement garantir le respect de la réglementation ?

Comme je viens de le dire, une loi sur l’enrichissement illicite pourrait considérablement aider au respect de la réglementation sur le non cumul de l’activité de fonctionnaire avec une activité privée lucrative. Par ailleurs, l’Etat doit se doter d’outils d’alerte et d’investigation permettant de révéler les cas qui sont en contradiction avec la réglementation. Au rang de ces outils, on peut citer entre autres, l’informatisation du cadastre, du registre de commerce, du fichier des fournisseurs de l’Etat, de l’Etat civil etc…Cette informatisation systématique permettrait de faire des recoupements et d’établir les parentés utilisés comme prête-noms. En outre, l’Anif doit être mise à contribution en ce sens que l’Etat doit pouvoir déclarer à cet organisme de lutte contre le blanchiment d’argent les cas de fonctionnaires dont le train de vie n’est pas proportionnel aux revenus versés par l’Etat. Plusieurs autres organismes peuvent aussi être mis à contribution à l’instar de la Conac, du fisc, des établissements bancaires et des offices notariales à qui il peut être exigé de déclarer à l’Etat les transactions dans lesquelles les fonctionnaires sont impliqués à titre personnel ou par le biais d’un membre de la famille ou d’un prête-nom, etc.

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