Joseph Charles Doumba : L’homme qui aimait Paul Biya
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C’était sans aucun doute le dernier des acteurs décisifs de la transition entre Ahidjo et Biya. Joseph Charles Doumba disait que Paul Biya avait reçu la succession et lui le testament d’Ahidjo. Ce brillant homme politique, écrivain racé et tribun distingué a définitivement disparu d’une arène politique qu’il avait déjà quittée depuis dix ans. Le sort n’aurait pas pu faire mieux de lui montrer la sortie en ce mois symbolique de mars qui vit la naissance du RDPC qu’il chérissait tant. On doit le voir partir comme l’un des derniers membres d’une espèce en voie de disparition.

Car il en reste de moins en moins qui ont la même haute idée de la politique, de l’intérêt général, de l’Etat et de l’honneur de servir sa patrie que ce fils de Bethen, village de l’Est, où il fit atterrir le premier et le dernier hélicoptère jusqu’à ce jour. Sa modeste demeure qui jouxte un grand caveau est le seul signe que cette contrée a produit un orfèvre de la politique, chevalier d’une classe politique aujourd’hui clairsemée.

Joseph Charles Doumba était un proche d’Ahidjo, qui en avait fait un ministre chargé des missions à la présidence de la République. C’était même son scribe, celui qui écrivait ses discours. Le 4 novembre 1982, Ahmadou Ahidjo reçoit Joseph Charles Doumba trois fois ; il est le dernier de l’entourage présidentiel à échanger avec l’ancien président de la République avant l’annonce de sa démission. Quand Joseph Charles Doumba disait avoir reçu le testament du changement de régime, il exagérait à peine, car il semble bien être le notaire devant lequel la succession Ahidjo-Biya a été consignée et enregistrée. Mais s’il a réussi à conquérir la confiance d’Ahidjo, son histoire s’écrira avec Biya.

En effet, depuis la réforme de la Loi fondamentale de 1975 qui réintroduit le poste de Premier ministre et en fait le successeur constitutionnel, Doumba se risque quelquefois à appeler Paul Biya en public « Monsieur le Président ». Ce qui ne plait pas particulièrement au discret fils de Mvomeka, qui sait qu’une telle entorse protocolaire ne peut que lui apporter des ennuis. Joseph Charles Doumba savait-il déjà qu’Ahidjo n’irait pas au bout de son règne ? Avait-il reçu la confidence du choix porté sur Paul Biya bien longtemps avant des caciques comme Ayissi Mvodo, Maïkano Abdoulaye, Moussa Yaya Sarkifada, Sadou Daoudou ou Samuel Eboua ? On ne saura rien de cette attitude énigmatique mais ô combien prémonitoire de ce sibyllin Doumba. Aussi passe-t-il de l’ahidjoïsme au biyaïsme sans transition, avec armes  et bagages.

Dès le 4 novembre, alors que des délégations de personnalités, dont Paul Biya, essaient de faire revenir Ahidjo sur sa décision, Joseph Charles Doumba est déjà dans l’étape d’après. Tant et si bien qu’Ahidjo confiera qu’il savait bien que Doumba aimait Biya mais pas à ce point, dévoilant par là qu’il n’ignorait rien du « Monsieur le Président » affublé à son Premier ministre. C’est pour cette raison qu’Ahidjo l’exclura du comité central de l’UNC dès janvier 1983 et forcera le nouveau président Biya à le sortir du gouvernement en avril 1983. Henri Bandolo rapporte dans « La flamme et la fumée » que Doumba dira lui-même : « j’ai été abattu en plein vol ».

A la vérité, à cette heure-là, Joseph Charles Doumba est déjà bien conscient du conflit qui s’annonce et a pris fait et cause pour Paul Biya. C’est lui qui l’encourage à assumer pleinement ses fonctions de président de la République, chef de l’Etat, qu’Ahidjo a continué à exercer par procuration plusieurs mois après son départ. Il faut « tuer » le père. L’omniprésence de l’ancien président dans les pattes de son successeur gêne autant Mbombo Njoya, Eteki Mboumoua et d’autres que Doumba, qui redoute plus que jamais ce qui va arriver. Le clash, la rupture.

L’exil et le coup d’Etat. De toutes les façons, il avait déjà choisi son camp. Et comment ! Le « Blanc de l’Est » était un biyaïste intégral. Il avait assez vécu au sein du pouvoir pour savoir ce que la loyauté voulait dire. Il avait vu Ahidjo bannir Moussa Yaya Sarkifada, son homme lige, et avait assisté impuissant au conflit Biya-Sengat Kuo, le dernier ayant été l’adjoint du premier à la présidence de la République et les deux ayant construit les premiers pas du Renouveau. Il savait donc que pour durer, la première condition était d’être toujours dans le tempo présidentiel. Quand Paul Biya sent son pouvoir vaciller en 1992, à qui pense-t-il ? En fait à l’un des hommes les fidèles qu’il connaisse.

Il en fait le secrétaire général du comité central, avec pour mission de construire au RDPC une majorité parlementaire qu’il a perdue aux législatives de la même année. A la vérité, le Renouveau est en sursis, la rue gronde et l’opposition vit son âge d’or. Dans sa bibliothèque qu’il avait dénommée Marcel, au milieu de ses livres, Joseph Charles Doumba entame l’incroyable résurrection du parti au pouvoir dont les opposants avaient déjà diagnostiqué la mort imminente. Son invité un après-midi est un certain Dakolé Daïssala, fort de ses six députés, qu’il convainc de faire alliance avec un RDPC à 88 députés sur 180. Le coup est magistral. Il sera complété par le ralliement de l’UPC plus tard. Joseph Charles Doumba entreprend de rebâtir un parti dans un environnement de crise économique, de décrépitude sociale et de violence politique. Il invente l’activité créatrice, dont Urbain Olanguena Awono écrit un livre éponyme, crée le journal L’Action et une maison d’édition Edi’Action.

L’intelligentsia du parti aime cet homme qui aime les livres et afflue. Il institue les « personnalités- ressources » et redonne l’envie du terrain aux élites de son parti. Le parti inaudible retrouve une voix dans le concert de la pluralité dynamique des organes d’expression politique. En 1997, il est chargé de mettre la démocratie apaisée. Il négocie et signe avec l’Undp, il échoue à le faire avec le SDF. Mais ce qu’il fait de mieux pour son parti, c’est la puissance qu’il donne à la fonction de secrétaire général du comité central.

« Je n’ai pas peur de vous. J’ai peur de deux personnes, Lui… et lui », disait- il aux membres du gouvernement, en pointant le ciel et Etoudi. La haute idée qu’il avait de la mission du politique lui interdisait de parler des questions d’argent, qui obnubilent tant aujourd’hui. « L’épreuve de politique est un sacerdoce ou rien », fera-t-il écrire à l’un de ses pupilles, Christophe Mien Zok. « Gardez les problèmes avec vous, apportez-moi les résultats », intimait-il à ceux qu’il missionnait.

Il pouvait être paternel avec ses collaborateurs talentueux et grincheux avec les médiocres ou les indélicats. Paul Biya lui doit d’avoir entretenu et conforté la mythification du pouvoir. Joseph Charles Doumba prononçait rarement le nom du Président devant ses interlocuteurs, qu’il dotait d’une aura quasichristique. Quand il quitte le comité central du RDPC en avril 2007, il a accompli sa mission.

Cet adepte du judo, ascète qui se nourrissait peu de la nourriture du ventre et invitait ses camarades au banquet de la pensée, était aussi un grand malade. Plusieurs fois, ce cadet de trois ans de Paul Biya avait demandé à être déchargé de ses fonctions, sans succès. Quand il s’est retiré, il était affaibli et avait, à son corps défendant, laissé quelques-uns de ses proches affaiblir le RDPC. Le jour de la passation de service avec René Sadi, le 4 avril 2007, il souriait et taquinait comme un joyeux drille. C’était son dernier jour de service. On ne le reverra plus jamais en public.

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