Me Michael Bühler : « Un énorme gâchis pour le Cameroun »
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Me Michael Bühler : « Un Énorme Gâchis Pour Le Cameroun » :: Cameroon

L’avocat franco-allemand de Yves Michel Fotso, tête de file de son collectif de défense, réagit à la double condamnation à vie de son client.

Comment vous réagissez aux verdicts du Tcs : deux fois la prison à vie dans le dossier Camair ?
Nous ne sommes pas surpris par les condamnations de M. Fotso à la réclusion criminelle à perpétuité prononcées par le Tcs. Ces jugements étaient parfaitement prévisibles. Comment veut-on faire croire aux justiciables camerounais qu’un seul homme aurait pu « détourner » de la Camair, une société nationale déjà moribonde au moment où Yves Michel Fotso en est devenu le dirigeant, 53 milliards FCfa, sans autre coauteur ni complice ?

Comment veut-on faire croire par ailleurs aux justiciables camerounais que M. Bekolo, le commissaire aux Comptes de la Camair qui a certifié les comptes de 2000 à 2003 sans aucune réserve, ne s’aperçoive qu’en février 2012, c’est-à-dire une dizaine d’années plus tard, qu’il aurait pu y avoir des irrégularités ? Comment veut-on faire croire aux justiciables camerounais que le seul témoin que le ministère public ait fait cité et qui a été entendu par le Tcs, est ce même M. Bekolo, que le ministre des Finances avait nommé liquidateur de la Camair et qui plus est représentant légal de la partie civile à cette procédure ?

Mais dans ce cas, n’auriez vous pas mieux fait de rester dans la procédure et de plaider cette innocence devant le Tcs?
Certes pas. Pour rappel, les évènements qui ont ponctué les audiences du Tcs, les jugements avant-dire droit rendus par les deux collégialités, sans aucune motivation, et qui auraient dû bénéficier à l’accusé étaient annonciateurs des décisions rendues. N’oublions pas le refus de joindre les volets 1 et 2 du dossier Camair, scindés arbitrairement au stade de l’instruction, sous prétexte de mener des investigations complémentaires qui ne seront jamais réalisées. De plus, deux condamnations à perpétuité pour un même dossier (une seule plainte à l’origine et un seul protocole transactionnel) ? Et à l’issue de rares audiences sur le fond ?

Il y a encore : le refus de constater la nullité du titre de détention de M. Fotso, alors même que ce titre n’avait pas été renouvelé et que la détention provisoire excédait la durée légale maximale ; le refus de suspendre les audiences jusqu’à ce qu’une réponse soit donnée à l’offre de restitution du corps du délit faite par M. Fotso conformément à la loi ; refus de débloquer les comptes bancaires de M. Fotso aux fins de lui permettre de restituer en numéraire le corps du délit, suite à la demande de la Liquidation Camair ; le refus de suspendre les audiences alors que M. Fotso était hospitalisé, ce qui avait été dûment attesté par le médecin de la Gendarmerie nationale. Toutes nos demandes ont été rejetées.

Nous n’avons jamais été écoutés et tout a été mis en oeuvre pour faire obstacle à notre présence aux audiences : des renvois automatiques après 20 minutes d’audience (après une heure et demi de retard), qui ne se justifiaient pas, quand on sait que trois des défenseurs s’étaient déplacés de Paris pour assister aux audiences ; une programmation des audiences rendant une participation constante impossible, sauf si nous avions décidé de rester à temps plein à Yaoundé pendant plusieurs mois. Selon nous, la condamnation à un emprisonnement à vie, rendue sur le siège aux termes de deux lapidaires audiences sur le fond, alors même qu’aucun enrichissement personnel de M. Fotso n’a été démontré et que la partie civile a reconnu avoir accusé ce dernier à tort, ne peuvent que discréditer les décisions du Tcs.   

Qu’en est-il du fond de ces condamnations ?
En première approche (mais nous n’avons pas encore vu le texte des récentes décisions du Tcs,) elles paraissent sans cohérence, pour ne pas dire plus…Le Tcs a tout d’abord refusé de tenir compte du protocole transactionnel signé avec le liquidateur de la Camair, placé sous la tutelle du ministère des Finances, aux termes duquel M. Fotso était reconnu innocent de la quasi-totalité des griefs dénoncés dans la plainte initiale. Nous attendons de lire le jugement pour comprendre comment un organe d’Etat accepte une transaction (le ministère de l’Economie et des finances dont le liquidateur de la Camair, compagnie nationale, était le mandataire) et comment un autre organe du même Etat (le ministère de la Justice) lui dénie toute portée.

Nous pensions que, comme le Cameroun est une République indivisible ainsi que l’indique sa Constitution en son article premier, le pays n’avait qu’un seul gouvernement. Permettez-nous, afin que les justiciables camerounais comprennent bien la situation, de caricaturer le dossier Camair en ces termes : imaginez un citoyen qui, de retour à son domicile après une dizaine d’années, croit qu’il se serait fait cambriolé. Sans procéder à la moindre vérification, il dépose une plainte avec constitution de partie civile, y déclarant que tous ses objets de valeur ont disparu et les listant avec précision. Imaginez que son ancien locataire est interpellé et accusé du vol. Entre-temps le plaignant retrouve la plupart des objets qu’il croyait avoir été volés. En cours de procédure, il signale son erreur au juge d’instruction et au procureur. Ces derniers lui rétorquent cependant qu’il n’est pas question de prendre en compte cette nouvelle version et qu’ils s’en tiendront à la plainte initiale, que les objets aient été ou non retrouvés.

Voilà en résumé l’illustration de ce dossier. Dans le dossier Camair, la justice d’un côté reconnaît la qualité de représentant légal de la liquidation Camair à M. Bekolo quand il dépose une plainte avec constitution de partie civile contre M. Fotso et, de l’autre, conteste cette qualité lorsque M. Bekolo signe un protocole transactionnel qui innocente M. Fotso ! M Bekolo a, en violation de ce protocole d’accord de 2013, maintenu la constitution de partie civile de la liquidation Camair après avoir reçu paiement de la totalité du corps du délit. Nous n’excluons pas qu’il doive en répondre devant la Cour commune de justice et d’arbitrage seule compétente à décider, selon la loi des parties qu’est le protocole transactionnel de 2013, si M.Bekolo a violé ce protocole.

Qu’en sera- t-il de la somme de 1,7 milliard FCfa remboursée?
Au-delà des décisions défavorables du Tcs, M. Fotso a été privé du droit de bénéficier de la procédure de restitution du corps du délit prévue par la loi. Nous avons en effet déploré l’absence de réponse à l’offre de restitution aux fins d’arrêt des poursuites faite le 30 avril 2015 par M. Fotso. Par ailleurs, en ce qui concerne la restitution en numéraire effectuée le 4 novembre dernier par M. Fotso, outre le retard de plusieurs mois à obtenir une réponse, celle-ci, parvenue début novembre, a purement et simplement ignoré le protocole transactionnel pourtant signé par la seule partie civile à l’origine de la plainte et qui par ailleurs est un représentant de l’Etat.

Ces faits ont conduit M. Fotso à ne plus participer aux audiences du Tcs, décision à laquelle nous nous sommes associés en nous déconstituant. Nous sommes convaincus que, dans ce contexte, notre présence lors des dernières audiences n’aurait rien changé. Bien au contraire, on aurait dit queM. Fotso était bien défendu jusqu’au dernier moment, mais que malgré les excellentes plaidoiries cela n’avait pas suffi pour emporter la conviction des magistrats.

Comment expliquez-vous les sommes faramineuses auxquelles votre client a été condamné ?
Notre perplexité reste entière. Sur le plan civil, nous ne comprenons déjà pas les raisons pour lesquelles le Tcs n’a pas pris en considération les quelques 1,7 milliards de F.Cfa versés par M. Fotso au titre de la procédure de restitution du corps du délit et dont l’affectation reste à ce jour inconnue. Par ailleurs, le Tcs a cru devoir accorder une large partie des dommages et intérêts à l’Etat - qui n’a pourtant jamais été privé de ces fonds et ne saurait être reconnu partie civile aux côtés de la Liquidation Camair. En d’autres termes, nous ne comprenons pas comment des dommages-intérêts ont pu être accordés à deux prétendues victimes, la Liquidation Camair et l’Etat, alors que selon l’accusation, seule la Camair aurait pu être lésée. Surtout, il semble invraisemblable que le Tcs ait retenu un montant de dommages et intérêts sans commune mesure avec les détournements chiffrés dans les ordonnances de renvoi, constituant de fait un enrichissement sans cause de l’Etat.

Nous souhaitons insister sur le fait que M. Fotso a été condamné à des sommes non seulement extravagantes, mais surtout à des sommes qu’il n’a jamais perçues et qu’il ne pouvait d’ailleurs pas avoir perçues. Contrairement à ce qui a pu être dit, le délit du détournement de deniers publics n’implique pas automatiquement un enrichissement de l’accusé. Dans notre cas, on a essayé d’anéantir M. Fotso à la fois sur le plan pénal et civil. C’est d’ailleurs extrêmement préjudiciable pour un pays qui a besoin d’entrepreneurs émergents sachant créer de la valeur pour leur pays. Cette condamnation, en plus d’être injuste, se trouve être un énorme gâchis pour le pays.

Maître, vous semblez dire qu’il s’agit d’une punition à l’encontre de M. Fotso ?
M. Fotso ressent ces condamnations comme un châtiment à son encontre. Ne nous demandez pas ni pourquoi ni qui se trouverait derrière cette punition, car nous l’ignorons.

Allez-vous vous pouvoir en cassation ?
Bien entendu ! Les verdicts du Tcs dans l’affaire de la Liquidation Camair devraient, dans un Etat de droit, être sanctionnés par la Cour Suprême, car celle-ci ne devrait pas tolérer une justice tant partiale qu’expéditive.

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