Cameroun,Les déboires d'Ousmane Mey ministre des finances de Biya Paul à Harvard J.F. Kennedy School of Government: La réaction du cinéaste Jean Marie Teno
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Cameroun,Les déboires d'Ousmane Mey ministre des finances de Biya Paul à Harvard J.F. Kennedy School of Government: La réaction du cinéaste Jean Marie Teno :: CAMEROON

J’étais présent lundi 18 avril 2016 à Harvard pendant la rencontre entre Mr Alamine Ousmane Mey, Ministre des Finances du Cameroun, et les étudiants du Harvard School of Governement. J’ai été témoin de l’incident qui est relaté dans cet article et je souhaite réagir avec ces quelques mots.

Je suis arrivé à la conférence avec 15 minutes de retard et j’ai fait quelques photos.

Pour moi, modeste cinéaste qui ne suis pas dans la finance, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt l’exposé de Mr Mey concernant les réformes envisagées pour assainir les finances publiques, les choix et les arbitrages qu’il doit faire et la vision stratégique qu’il entend mettre en place pour les années à venir. Il a parlé des investissements en infrastructures mais aussi des investissements sur le capital humain et dans ce chapitre, il a surtout fait des appels du pied à la diaspora camerounaise afin que celle-ci vienne investir au pays. Mais à la question de savoir quels sont les actes politiques concrets pour rassurer et séduire cette diaspora, la réponse était moins claire ; c’est un work in progress en quelque sorte. D’autre part, concernant le capital humain au pays, je n’ai pas entendu grand-chose. La question de la double nationalité, un élément essentiel pour le retour des cerveaux et des investisseurs d’origine camerounaise dans leur pays n’a pas été évoquée non plus. C’est sans doute les limites de l’exercice quand un ministre important d’un gouvernement répond en direct aux questions de politique générale. Ceci était d’autant plus vrai quand il a été question du franc CFA : le ministre a avancé prudemment en laissant entendre que lui et ses collègues des autres pays de cette zone travaillaient pour tirer le meilleur parti d’une situation qui est ce qu’elle est pour le moment.

Ce qui me paraissait nouveau était la manière très naturelle et presque pédagogique avec laquelle le Ministre répondait aux questions, sans essayer de se cacher derrière de grands principes ou des théories complexes. Ses propos étaient clairs et parfois surprenants, notamment sur l’intégration régionale, avec par moments une vision panafricaniste qui reprenait certaines idées des pionniers des indépendances africaines. Le fait que des quarantenaires et cinquantenaires reviennent sur ces idées ne pouvait que me faire sourire et, pendant quelques minutes, me faire rêver. Ainsi donc au Cameroun comme dans d’autres pays africains, il existe bien une génération d’hommes politiques qui maitrisent le monde, qui s’expriment avec clarté et qui ne redoutent pas la confrontation intellectuelle. Alors pourquoi ne les voyons-nous pas plus souvent ? Pourquoi ne les entendons-nous pas davantage ?

Et c’est à 18 heures, à la fin de la conférence qui avait commencé à 16h30, que s’est déroulé l’incident qui me pousse à écrire ce texte.

Un homme seul à qui personne n’avait refusé la parole, s’est levé. Il tenait dans les mains des images de scènes de brutalités policières qui avaient émaillées un rassemblement récent des partis de l’opposition au Cameroun et des images d’autres incidents dramatiques qui avaient eu lieu au Cameroun récemment.

Le monsieur a déposé sur la table du Ministre des photos en disant, en autre : « Regardez comment on nous traite au Cameroun. Etes-vous au courant de toutes ces violences ? Allez dire à Mr Biya que nous n’accepterons plus ceci… »

Mr Mey a rassemblé les documents qu’il a mis dans la sacoche et a fini de se faire prendre en photo avec les Camerounais présents dans la salle. Pendant ce temps, certains organisateurs de la conférence discutaient avec le monsieur, la cinquantaine, qui a sorti sa carte de visite et s’est présenté comme un professeur à Boston University.

Concernant sa performance publique, que j’ai trouvée maladroite et surtout mal préparée, je me suis posé des questions sur l’opportunité de cette forme d’opposition spectacle et sur la valeur pédagogique de ce geste pour la trentaine d’étudiants présents ?

Etait-ce la réponse appropriée à la violence ininterrompue des forces de l’ordre contre tout ce qui est labellisé comme parti d’opposition au Cameroun ? Pourquoi ne pas avoir formulé une question pendant la conférence pour que le Ministre s’exprime sur ces questions ?

A chacun de trouver sa réponse et surtout de se poser la question suivante : et ensuite on fait quoi ? Si on condamne sans instruire, si on s’invective au lieu de se parler, alors au bout du chemin, il y a quoi ? L’ensauvagement du continent n’est plus une fiction dans certains pays. Et c’est par la violence sous toutes les formes qu’il s’est installé.

La brutalité récente des forces de l’ordre face aux Camerounais nous ramène dans les années 90 et dans certaines périodes du siècle précèdent où, face à des manifestations légitimes et souvent pacifiques, les autorités politiques répondent par la violence. Les incidents récents ont été commentés sur les réseaux sociaux ; partout dans le monde des milliers de personnes se sont mobilisées pour que les partis d’opposition puissent manifester librement et rendre public leurs revendications. Et le mouvement ‘Vendredi noir’ initié dans un esprit de non-violence par des partis politiques de l’opposition est un des moyens de lutte pacifique pour changer la culture politique et mettre en place des règles consensuelles dans le jeu politique de notre pays.

Pendant des décennies, l’attitude des classes dirigeantes a consisté à rester enfermé dans leurs palais, à marginaliser ou à intégrer certains révoltés dans leur système sans pour autant engager les réformes et investissements nécessaires dans l’éducation, la santé, la prévention par exemple avec l’accès à l’eau potable, un investissement indispensable dont on parle depuis 50 ans mais qui n’est toujours pas mis en œuvre. Ce sont les êtres humains qui construisent et qui exploitent les infrastructures et créent de la valeur ajoutée. Mieux ils sont formés et en bonne santé, plus vite et mieux ils pourront améliorer la vie autour d’eux.

La question qui me brulait les lèvres et que je n’ai pas posée à Boston est celle-ci : quel est le pourcentage du budget de l’Etat qui sera consacré à la santé, à l’éducation et à la culture par rapport aux investissements en infrastructures ? Si cette question n’était pas à l’ordre du jour de la conférence à Boston, j’espère qu’elle deviendra une des préoccupations quotidiennes du Ministre s’il veut mener à bien son ambitieux programme de modernisation du Cameroun.

Même des manifestations de franc-tireurs comme celle du 18 avril à Harvard School of Governement, qu’on monte en épingle sur les réseaux sociaux pour continuer de se dire que la lutte continue, nous
instruisent sur la nécessité d’un dialogue pour sortir de l’impasse et mettre toutes les énergies et les talents multiples de nos compatriotes au service de la lutte pour le mieux vivre des Camerounais.

Le monde change. En Afrique, l’intégration régionale devient réalité, les idées panafricanistes sont présentes partout, alors n’est-il pas temps de redécouvrir Nkrumah et Nyerere parmi tant d’autres Africains qui avaient à cœur de lutter contre les inégalités dans leurs pays et les inégalités entre les pays avant de rejoindre le marché global ? N’est-il pas temps de se réapproprier les spécificités de ce continent qui, au cours des 50 dernières années, a vu l’ignorance et la perte de repères et de continuité historiques faire partie de la culture de ses jeunes surdiplômés formés dans les meilleures universités du monde, mais ignorants de leur passé et de leur héritage : un élément essentiel dont ils auront besoin au moment de prendre les décisions importantes pour l’avenir de leur pays et du continent africain ?

La recherche du consensus est un des éléments essentiels de cet héritage.

*Cinéaste https://vimeo.com/user5688138/vod_pages

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