Bernard Ouandji : Le RDPC a ruiné le développement du Cameroun
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Bernard Ouandji : Le RDPC a ruiné le développement du Cameroun :: CAMEROON

L’économiste, par ailleurs homme politique, revient sur les moments qui ont précédé l’avènement du renouveau et fait le bilan de ce parti au pouvoir depuis 30 ans.

Dans une interview publiée le 24 mars sur les colonnes de Cameroon tribune, le secrétaire général du Rdpc, Jean Nkuete, brosse un bilan positif des 30 ans d’existence de ce parti ; que vous inspire cet anniversaire ?
C’est un bien triste anniversaire, au vu du bilan du Rdpc. En 1985, j’étais déjà haut cadre de société ; j’occupais le poste de directeur de l’économie et des finances à Cellucam à Edéa et j’avais déjà une assez bonne vision de la chose politique. Au mois de mars 1985, à un moment donné, il y a eu de petits frémissements et puis brusquement, on a appris qu’il y a congrès du parti qui, à l’époque s’appelait Unc et le lundi on a appris que ça s’était transformé en Rdpc. Parmi les frémissements qui ont précédé ce congrès, certains conseillers du président de la République lui conseillaient de réhabiliter l’Upc et d’engager directement le multipartisme Upc contre Unc ; d’autres lui conseillaient de réhabiliter l’Upc et d’en prendre la tête, car on chuchotait que Paul Biya était upéciste dans sa jeunesse. Et c’est ainsi que le nom du futur parti du président a évolué ; on entendait des choses comme Apc, Rpc et puis finalement c’est le Rdpc qui a été retenu.

Comment avez-vous su tout ça, étiez vous un membre du parti unique ?
Loin s’en faut, au contraire mon parcours est marqué par mon refus d’adhérer au parti unique, ce qui m’a causé bien des désagréments puisque j’étais un agent de l’Etat. Je savais tout ça parce que des proches de Paul Biya comme Thomas Melone et Georges Ngango avec je discutais régulièrement quand ils venaient à Edéa, leur village, ainsi que Marcel Yondo. Aussi j’ai capté quelques bribes du processus de formation du Rdpc auprès de Jean Nkuete, à l’époque ministre à la présidence de la République, à qui je rendais visite lors de mes déplacements à Yaoundé, essentiellement pour défendre le dossier Cellucam. Le Rdpc est un parti néo-upéciste, ce qui signifie que le Rdpc veut surfer sur l’idéologie nationaliste de l’Upc mais en lui substituant un nouveau personnel.

Sur le plan politique, le Renouveau revendique plusieurs réalisations. Est-ce votre avis ?
Sur le plan des réalisations politiques, la différence entre l’UNC et le RDPC c’est que l’UNC était une main de fer alors que, d’après mon observation, le Rdpc, c’est une main de fer dans un gant de velours. Parce que sous le règne de l’Unc, la loi était dure, mais elle était appliquée. Honnêtement, du temps de l’Unc, en dehors des lois restrictives sur les libertés publiques, de l’activité des partis politiques qui était interdits, on appliquait la loi au Cameroun. Maintenant, voyez-vous, les textes réglementaires sont appliqués de façon laxiste. Chaque fois qu’une loi est votée, on la vote en même temps avec un loop-hole, c’est-à-dire une échappatoire qui permet au gouvernement ou aux gouvernants de s’en affranchir. Il y a donc beaucoup d’échappatoires dans nos certains de textes qui doivent être revisités, à commencer par la loi électorale, la désignation des membres d’Elecam et du Conseil Constitutionnel.

Sous le renouveau comme vous venez de le souligner il y a pas mal de choses qui demandent être revisitées. Est-ce le cas sur le plan économique ?
Le PIB du Cameroun a triplé de 10 milliards de dollars en 1985 à 27 milliards de dollars en 2014 ; c’est à mettre à l’actif du Rdpc. Sur le plan économique, le premier échec,  du Rdpc est de n’avoir pas été capable de doubler le revenu per capita, c’est-à-dire le revenu par habitant. En 1985, le Cameroun était déjà inscrit sur la liste des pays à revenu intermédiaire qui ont un revenu par habitant de 1000 dollars. 30 ans plus tard, on est à 1300 dollars. C’est un échec en un seul chiffre.

Ce chiffre à lui seul suffit-il à explique l’échec du Rdpc ?
En statistique, 30 ans c’est une bonne période parce que toute variable qui croit au rythme de 2,4% double au bout de 30 ans ; ainsi avec un taux de croissance de la population de 2,6% la population camerounaise a doublé de 10 millions en 1985 à 20 millions de nos jours. Mais c’est 10 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté qui se sont ajoutées au bout de 30 ans. On s’est rendu compte, que le Rdpc s’est acharné à détruire l’appareil de production même ce qui pouvait être sauvé. Il a fallu 100 ans pour bâtir l’industrie d’Etat, et en cinq ans, le Rdpc l’a  détruite aux deux tiers.

Comment est-ce possible ?
Les Allemands ont commencé dès 1885 à faire l’agro-industrie autour de Buéa et à Tiko. En 1980-1982 le pays comptait déjà de multiples barrages. On avait plusieurs unités qui constituaient le fleuron de l’industrie camerounaise ; et laissez-moi vous dire que dans les années 1970, l’Etat mettait un point d’honneur à créer une unité de production dans chaque lieu de province aujourd’hui appelés régions. Il fallait qu’il y ait une industrie dans les grandes capitales régionales. Mais le Rdpc s’est acharné à détruire les industries de transformation de nos matières premières locales ; à Maroua, il y avait une usine qui faisait le Koussel, qui était un succulent corn-beef utilisant la matière première locale ; à Foumbot, il y avait l’usine de concentré de tomate en boite, aujourd’hui disparue ; pourtant la tomate est cultivée localement ; disparue également la société des tabacs de l’Est. Les complexes de production de riz de Yagoua et de la plaine des Mbos végètent tandis que le Cameroun importe du riz. La gouvernance du Rdpc a eu beaucoup de peine à maîtriser l’industrie et a fermé tour à tour la Sotuc, la Cellucam, la Camsuco, la Camair etc. Le cas de la Sotuc, c’est de la marche arrière, le gouvernement nous demande de monter sur les motos, tandis que quatre mille autobus fonctionnement à Dakar ou à Abidjan. Le Gouvernement a ressuscité Camair mais allez sur Internet, tapez Camair-co, pour voir si quelque chose apparaît ; il n’y a pas moyen de faire une réservation en ligne sur un vol Camair-co.

Est-ce que ce n’est pas sévère ce bilan parce que la conjoncture défavorable qu’a connue l’Etat y est aussi pour beaucoup ?
Ce bilan n’est pas sévère. Je peux vous dire qu’en cinq jours seulement, le congrès du Rdpc nous a fait perdre deux opportunités en or de devenir un pays industrialisé. Voici les faits : le 27 mars 1985, c’était un mercredi, le vice-président de la compagnie pétrolière Mobil, chargé du Moyen Orient et de l’Afrique, atterrissait à Douala au petit matin à bord d’un jet privé. Il a un entretien avec le staff local de la Mobil qui à l’époque exploitait un réseau de stations service. Et le vice-président monte à Yaoundé, s’installe au Mont Febe, parce que depuis le début du mois de mars, il avait pris un rendez-vous pour négocier deux projets avec les plus hautes autorités du pays. D’une part, la Mobil voulait racheter la Cellucam via sa filiale qui s’appelait Container Corporation of America, qui produit du papier et des cartons. Deuxièmement, la Mobil avait entrepris de négocier avec le Cameroun un assouplissement de son régime pétrolier ; au niveau de la fiscalité, ils voulaient la possibilité de faire ce qu’on appelle «accelerated depreciation», c’est-à-dire, amortir rapidement les frais de développement des gisements. Des experts américains étaient venus évaluer Cellucam, j’ai travaillé avec eux c’est comme ça que j’ai eu accès au dossier.

Quel était le lien entre le pétrole et le papier carton ?
En 1974, suite à la crise pétrolière, on avait cru que le pétrole va finir ; alors plusieurs compagnies pétrolières internationales ont entamé des projets de plantation d’arbres dans les pays tropicaux afin de fournir de la biomasse et alimenter les chaudières et les turbines électroniques dans le futur ; à côté de nous au Congo, Elf a cultivé des milliers d’hectares d’eucalyptus à Pointe noire, ces plantations sont arrivées à maturité ; dans la même stratégie, Mobil avait acheté Container corporation. Suite aux difficultés de la Cellucam, le ministre de l’Industrie Monsieur Edouard Nomo Ongolo avait fait venir un cabinet de consultants américains pour étudier les possibilités de relance de la Cellucam. Les consultants ont approché Container Corporation of America et Mobil, son parent company, s’est saisie du dossier.

On sait que la Cellucam n’a pas repris son fonctionnement, que s’est-il passé ?
Ce qu’il faut savoir c’est qu’on est en 1985, soit à peine trois ans après la signature de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, encore appelé protocole de Montego Bay signé le 10 décembre 1982 en Jamaique. Il y a deux points particuliers qu’il faut retenir de ce protocole : c’est qu’il accorde une zone économique exclusive de 200 miles à partir de la côte, et il adopte aussi le principe suivant lequel, les frontières terrestres se prolongent dans la mer pour devenir des frontières maritimes. Au moment où on signe le protocole de Montego Bay en 1982, immédiatement, il y a au moins 200 cas de disputes de disputes frontalières maritimes qui se présentent. Et la baie du Biafra est un cas exemplaire de ce type de disputes.

Parce que quand vous quittez l’embouchure du Wouri, le Cameroun a droit à 200 miles. Mais à peine on a fait 60 kilomètres, qu’on est déjà à Malabo. Quand on quitte Calabar, le Nigeria a droit également à 200 miles, mais à peine on a vogué sur une centaine de kilomètres, que l’on se trouve déjà aussi à Malabo. Ensuite maintenant, comment déterminer la frontière terrestre d’une île comme celle de Malabo. Donc c’était un cas exemplaire pour l’application du protocole de Montego Bay. Parce que la façon dont on négocie l’application du protocole permet d’attribuer les superficies maritimes à un pays au détriment de l’autre.

Avec tout le pétrole qu’il y a dans la baie du Biafra, vous comprenez donc que c’était une question de négociation. La Mobil voulait donc s’entendre avec le gouvernement camerounais sur le plan industriel et sur le plan fiscal, afin qu’avec son poids et son influence de grande compagnie pétrolière, elle favorise la délimitation des frontières maritimes au profit du Cameroun. C’était l’objet de sa visite.  Mais laissez-moi vous dire que toute la journée, le Vice-président de la Mobil n’a pas été reçu, pour la simple raison que ses illustres interlocuteurs étaient occupés à régler les affaires pendantes du congrès du Rdpc qui venait de se dérouler.

Est-ce que le président de la Mobil a patienté ?
Les hautes autorités venaient de rentrer du congrès à Bamenda et s’affairaient à la rédaction du rapport du congrès et on liquidait les petites questions de ce congrès. Donc à cause du débriefing, on a n’a pas eu de place pour recevoir cet important homme d’affaires. Quatre jours après avoir lancé le Rdpc, l’action économique de ce parti était déjà morte. Et c’est également ce jour-là que le Rdpc a échoué. C’est déjà symptomatique de la gouvernance du Rdpc. N’ayant pas été reçu, le Vice-président de la Mobil a repris l’avion pour Douala, a fait venir ses collaborateurs et il a mis une croix sur ses opérations au Cameroun. Nous apprendrons plus tard que une fois rentré à Londres, le Vice-président de la Mobil a pris l’avion pour Malabo. La Mobil nous avait mis en concurrence et nous avons perdu. Le Cameroun a ratifié le Protocole de Montego Bay dès le 19 novembre 1985 mais c’était trop tard. Les résultats sont ceux que vous voyez aujourd’hui : 400 mille barils de pétrole par jour pour ce pays dans une zone économique qui pouvait être mieux négociée entre le Cameroun et la Guinée Equatoriale.

30 ans plus tard, le Cameroun ploie sous le poids d’un endettement croissant, dépense énormément pour consommer, fait face à d’importantes difficultés sur son budget. Sous le Rdpc, le Cameroun a-t-il fait les choix qu’il fallait ?
De toutes les façons le potentiel du Cameroun reste entier. Ce n’est pas avec l’équipe économique du Rdpc que vous allez véritablement faire progresser ce pays. Le Rdpc est un parti top down, c’est-à-dire qu’on ne laisse pas libre court aux initiatives. On applique les slogans venus d’en haut même s’ils sont contraires aux calculs économiques. Le Rdpc dépense beaucoup, mais les priorités d’allocation des ressources ne sont pas bien débattues. Le Cameroun a besoin d’un vrai dialogue sur les priorités et réexaminer les projets faramineux ; c’est le cas de l’autoroute qui ira de Yaoundé à l’aéroport de Nsimalen au coût de 154 milliards de Fcfa, or les usagers ont besoin de multiples échangeurs simplifiés pour rendre fluide la circulation dans Yaoundé ; l’autoroute Yaoundé/Douala alors qu’une simple route ne dessert pas Yokadouma ni Yoko.  De plus, le bilan du Rdpc dans les secteurs sociaux n’est pas flatteur, il manque l’eau potable ; les médicaments essentiels etc.

Le Rdpc peut s’occuper d’autres secteurs de la vie nationale comme la sécurité, l’administration territoriale, la Justice, mais pour l’économie, ils ne peuvent plus. Beaucoup d’investisseurs anglo-saxons ont déserté le Cameroun ; et à la même époque, on avait des investisseurs allemands impliqués dans des brouilles avec des partenaires camerounais dans le domaine brassicole et du tabac. Donc beaucoup d’investisseurs ont fui le Cameroun. De nos jours, les litiges fonciers font fuir les investisseurs qui souhaitent cultiver le palmier, le sucre, le riz etc.

Il y a quand même des projets structurants qui sont lancés partout dans le pays…
Est-ce que vous en connaissez un ? Il y a quelques temps, j’avais regardé à la télévision l’inauguration d’une station d’essence à la sortie de Yaoundé. On a dit que c’était un projet structurant ! quand même, arrêtons la propagande!

Les barrages, les ports…
Ce n’est pas ça la définition d’un projet structurant. Un projet structurant est un projet qui produit des effets bénéfiques en amont et en aval. Une fois le barrage construit, il faut maintenant que des industries, des Pme viennent se greffer à cette infrastructure. Le port de Kribi on l’a construit mais il n’y a rien à greffer autour de ce port qui va rester déficitaire pendant longtemps. Ceci dit, quand on regarde le coût par MW de la construction de ces barrages, c’est effrayant ! il va falloir augmenter le coût de Kwh aux utilisateurs pour rembourser ces barrages.

Donc toutes ces initiatives sont des échecs cuisants ?
De toutes les façons, nous avons le temps de repenser le développement de notre pays. L’agro-industrie, l’industrie, nous avons des jeunes qui sont suffisamment formés dans tous les corps de métiers, les Tic, les anciennes disciplines comme la biologie, l’agronomie etc., bref, les Camerounais sont bien formés dans tous les domaines. Quand nous allons nous asseoir dans un pays démocratique, nous allons faire bondir le taux de croissance.

Pourquoi ce taux ne bondit-il pas aujourd’hui ?
Parce qu’il n’y a pas de moteurs de croissance. Il n’y a pas de projets capables d’impulser le développement régional. Tous les projets qui étaient capables de structurer le développement régional ont été tous fermés. Entre 1985 et 1990, beaucoup d’entreprises publiques avaient déjà été fermées et abandonnées alors qu’elles transformaient les matières premières locales. En 1991, quand je m’occupais de la réforme du système bancaire et de la restructuration financière des entreprises publiques au ministère des Finances, des entreprises comme la Cdc, Sodecoton et Hevecam étaient scellées par les impôts ou les banques. Nous les avons sauvées in extremis. Ensuite, le Rdpc a fermé celles qui existaient mais remplacé par quoi ? Par rien !

Vous êtes par ailleurs homme politique. Si vous aviez des solutions à proposer pour que les choses aillent dans le bon sens, quelles seraient-elles ?
Dans mon parti, on a un projet de société,  tout un programme bien articulé sur le plan des réformes institutionnelles, des mesures pour assurer le développement durable et sur le plan de la croissance économique. J’ai fait ça pendant des années pour plusieurs pays pendant que j’étais fonctionnaire international. Donc pour mon pays que je connais bien, la proposition est déjà là. J’attends seulement que me soit offert un cadre de dialogue, un vrai dialogue sur les priorités et les politiques.

Dans le même message le Secrétaire général du Rdpc, Monsieur Jean Nkuete, affirme que l’Upc figure par les alliés du Rdpc qui sont appelés à apporter leur contribution  au développement de notre pays, sous la très haute impulsion du Chef de l’Etat Paul Biya. Quel est le contenu de la plate-forme qui vous lierait et quels sont vos rapports?
Le bilan négatif du Rdpc est attribuable à son caractère monolithique, à ses processus top down. Dans le but d’entendre un autre son de cloche, un Comité conjoint de politique économique et sociale pourrait offrir un cadre de dialogue. Pour nous, la priorité c’est de travailler pour voir 10 millions de Camerounais sortir de la pauvreté extrême, et la moitié d’ici sept ans, c’est faisable ; nous souhaitons recommencer l’industrialisation du Cameroun sous l’économie verte et désenclaver tous les bassins de production agricole.

© Mutations : Propos recueillis par Pierre Célestin Atangana

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