William Kameni : A la rencontre d’un millionnaire de la terre
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A 35 ans, ce jeune cultivateur s’est lancé avec 100 000 F. Cfa comme capital.  Investi aujourd’hui dans la culture des cultivateur du cacao, du manioc, des pastèques tomates, légumes…, il réalise plus de 12 millions F. Cfa de chiffres d’affaires.

«Boss tu pars au champ? », demande le chauffeur d’une vieille voiture aux vitres brisées et aux sièges déchirés, stationnée au carrefour Yassa, à l’entrée Est de la ville de Douala, capitale économique du Cameroun. « Oui Gabonais, j’y vais», répond le Boss. Le chauffeur ouvre son véhicule et William Kameni s’y engouffre en lançant à son chauffeur : « s’il te plait, laisse la portière ouverte ». Ordre aussitôt exécuté. Environ 20 minutes plus tard, la voiture est pleine. On règle le prix du trajet.

Les portières claquent. Quatre passagers sont assis à l’arrière. Deux à l’avant. « Gabonais » actionne le moteur. Dans la voiture, le téléphone de William sonne à tous les coups. Il décroche, parle tantôt en français, tantôt en « fefe » (langue parlée dans le Haut- Nkam, à l’Ouest du Cameroun). On entend à chaque fois les mots « champ », « pastèques», « élevage ». William Kameni est un jeune cultivateur âgé de 35 ans. Il se rend ce lundi dans sa plantation, au village Sikoum, situé à quelques kilomètres de Douala. Lorsque « Gabonais » s’arrête au niveau de Missole II, sur l’axe lourd Douala-Yaoundé pour réparer sa voiture dont le moteur pétaradant, le visage de William se froisse. « Je joue toujours sur le temps», peste-t-il, les yeux rivés sur son téléphone.

Quelques minutes plus tard, la voiture s’arrête au carrefour du village Sikoum. Les passagers descendent. Un au revoir au « Gabonais », des salutations aux habitants. Voilà William qui arpente déjà la petite colline, puis la piste étroite qui mène à son champ. La terre s’étend à perte de vue. Sous un petit hangar d’où s’élève une fumée noire, trois jeunes hommes, torses nus, sont assis sur un tabouret près d’un feu de bois où trône une marmite. Martial et ses collègues sont les employés permanents du champ. Ils vivent dans la petite maison construite en matériaux provisoires qui jouxte leur cuisine. Cet après-midi, ils préparent leur repas. William s’entretient avec ses employés. « Avez-vous mis les fientes sur les pastèques? », demande-t-il. Martial répond par l’affirmative. William réclame le cahier de « marquage » qui résume en fait la quantité des produits utilisés chaque jour. Le front plissé, il contrôle les chiffres, s’arrête un instant pour demander un détail et continue, l’air satisfait. Après le contrôle du cahier, l’heure est à la visite de toute sa plantation de quatre hectares, un passage obligé, qu’il effectue chaque jour, avant de s’attaquer à d’autres tâches champêtres. « Je passe le plus souvent mes nuits dans mes champs », glisse-t-il.  

120 tonnes de pastèques récoltés

Premier arrêt devant une pépinière de cacao, couvert par un hangar dont le toit est fait de feuilles de paille qu’il vient d’acquérir. 53 000 au total, nous dit-il avec fierté. Ces plants forment une sorte de petit jardin vert. William compte en construire une vaste plantation de cacao. « Je ne suis pas le seul cultivateur à le faire, dit-il. Dès que ça va grandir, je vais transplanter pour repiquer sur le champ ». William « Faites attention où vous mettez les pieds. Ça fait juste trois semaines que j’ai semé les pastèques et dans deux mois, je vais les récolter », affirme-t-il. Son téléphone sonne encore. Cette fois, la famille sollicite sa contribution financière pour l’organisation des obsèques d’un proche. La conversation dure près de 30 minutes. Il raccroche le téléphone et continue la visite.

Sur la vaste surface, l’on observe des tiges de manioc, des avocatiers, papayers, pruniers, manguiers et bananiers. William ne se lasse pas de parcourir son champs. Il s’arrête un instant pour dégager un tronc d’arbre qui barre la voie, puis le second, pour contrôler une rangée de feuilles de pastèques qui poussent. « J’ai semé ces pastèques sur plus de trois hectares. Je m’attends à récolter entre 110 et 120 tonnes », assure-t-il. A la question de savoir comment il arrose ses plantes? William montre du doigt ses trois bacs à eau. Ces bacs contiennent respectivement 5 000 litres de pour le premier et 1000 litres pour les deux autres. « Je tire l’eau avec la motopompe de la rivière située à la limite de mon champ pour verser dans ces bacs avant d’arroser les plantes », détaille le jeune cultivateur, sourire aux lèvres.

La passion de William Kameni pour la terre débute à sa tendre enfance. Son père fonctionnaire à Bafang, pratique l’agriculture pour joindre les deux bouts et nourrir sa famille. Le jeune William, qui n’a pas fait de longues études, selon ses dires, observe son géniteur et prend goût aux travaux champêtres. En 1997, il s’y investit véritablement. « Les débuts n’ont pas été faciles. Il me fallait avoir la matière grise et les techniques, ce qui fait qu’à mes débuts, j’ai investi dans la documentation, la connaissance et les renseignements », se rappelle William. Sa famille n’ayant pas les moyens financiers, le jeune homme trouve une astuce pour se faire un peu d’argent. Il fait une formation en marketing et trouve un travail dans le secteur.  

De 100 000 F. Cfa  à plus de 12 millions

L’argent gagné est investi dans l’agriculture, surtout dans les « renseignements » qu’il appelle phase pratique. William, accompagné de son épouse, va vers des ingénieurs à Douala. Il paie leurs honoraires à partir de 3 000 F. Cfa l’heure pour obtenir le savoir. Il prend des cours auprès d’eux et retourne dans son village pour la phase « expérimentale ». A chaque fois, William échoue l’expérimentation. Il reprend, échoue encore et retourne auprès des ingénieurs agronomes. « Ça m’a coûté beaucoup de millions. Je ne peux pas compter les champs de pastèques et de tomates que j’ai perdus, se rappelle le jeune homme. Mais, j’ai toujours cherché à bien connaitre, à maitriser ce que je fais car, si je dépense un million de F.Cfa pour avoir la connaissance, même avec 10 000 F, je peux réussir sur ce sujet au lieu d’avoir un million et m’engager dans un sujet que je ne maitrise pas ».

Malgré ces échecs, le jeune William n’a qu’un objectif : acquérir la connaissance agricole qu’il mettra en pratique quelque soit le temps mis. En bref, il veut par tous les moyens financiers possibles, « avoir la tête bien pleine ». « Si je connais que 1+1=2, même en pleine nuit, si tu me réveilles, je vais te le dire et si tu me dis que c’est 3, je te dirai que c’est un mensonge ». D’ailleurs, ce têtu comme il se définit, n’a jamais aimé travailler pour quelqu’un. Il a toujours voulu être son « propre chef ». Entre ses aller et retour auprès des ingénieurs et ses expérimentations, William finit par maitriser certains rudiments de la terre. Ayant constaté que la culture réussissait à Douala, le cultivateur y débarque, avec femme et enfant.

William commence avec 100 000 F. Cfa en poche et moins de  3 000 m2 de superficie au quartier Ndogpassi en 2007. Son épouse et lui travaillent de 6 h à 20 h, sans repos parfois. Même la naissance de leur petite fille qui a six ans aujourd’hui ne les empêche pas de continuer à travailler dur. Les deux jeunes mettent leur enfant à l’ombre, sous un parasol, pour semer, bâcler et récolter. « Certaines personnes ont surnommé l’enfant ‘’bébé parasol’’. On cultivait les légumes, le piment et le maïs », raconte l’agriculteur. Qui précise que les produits récoltés étaient vendus à la population environnante et aux commerçants. Avec le bénéfice issu des ventes, les deux époux achètent de nouvelles terres. Ils prennent une autre portion de terre au quartier Nyalla.

Au fur et à mesure, les Kameni achètent quatre hectares au village Sikoum et d’autres au lieudit Pendaboko, non loin de la localité de Souza. « Nous avons 10 hectares aujourd’hui. Sept nous appartiennent et nous louons les trois hectares restants à des particuliers», confieWilliam Kameni. Ce père de six enfants, qui croit en Dieu et lui confie tous ses problèmes et ses espoirs, est aujourd’hui multimillionnaire. D’ailleurs, lorsqu’on lui demande son chiffre d’affaires, il réfléchit un instant avant de dévoiler: « mes terres et tout le reste (entendez produits des plantations, ndlr) valent aujourd’hui plus de 12 millions ». Cet homme qui a appris un peu de Gestion et de Comptabilité compte aussi sur les bénéfices issus des ventes pour payer ses employés permanents, et saisonniers qu’il recrute lors des récoltes.

Pionnier dans la tomate à Douala

Une confidence de l’agriculteur : que ce soit les pastèques, les tomates, légumes et condiments qu’il cultive, s’il investit un million de Francs par exemple, il s’attend « toujours à obtenir le double » lors des récoltes. « La terre trompe difficilement, reconnait William. Il faut oser et innover. Lorsque je suis arrivé à Douala, on n’y pratiquait pas la tomate car, c’est une culture qui se fait à l’Ouest et dans le Sudouest. J’ai consulté des agronomes, pris des cours et commencé en 2008 », relate-t-il, avant de poursuivre: « Il faut maitriser la texture du sol car ici, le sol est beaucoup plus argileux et sableux contrairement à l’Ouest où le sol est compacte. Il faut donc nourrir le sol avec des éléments comme les fientes et engrais organiques qui jouent les rôles mécanique et nutritionnel, ce qui pallie la carence du sol ».

De nos jours, il cultive la tomate deux fois l’année. Malgré ces succès, William n’hésite pas, lors des foires et comices agropastoraux, à sensibiliser les jeunes et leur prodiguer des conseils. Il veut leur apprendre en « peu de temps », ce qu’il a appris durant plus de 10 ans. « Faire l’agriculture ne veut pas dire qu’on a forcément été à l’école. Il suffit d’avoir la santé et la force physique. En allant de réussite en réussite, on s’égare sans s’en rendre compte. Les difficultés façonnent l’homme. J’ai formé une centaine de jeunes. Certains ont abandonné les mototaxis pour travailler avec moi. D’autres ont aujourd’hui leur propre champ », se réjouit-il. William compte aussi, dans les prochaines années, exporter ses produits. Avant la fin de l’année 2015, il se lancera dans l’élevage, avec une ferme d’environ 10 000 poulets de chair. Ce n’est encore qu’un projet. Mais, William sait qu’avec le chemin parcouru, il résistera contre « vents et marées», aux difficultés qu’il rencontrera.

© Le Jour : Josiane Kouagheu

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