Le Cameroun promet d’« éradiquer » Boko Haram
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Le Cameroun promet d’« éradiquer » Boko Haram :: CAMEROON

Boko Haram manifeste ces derniers jours sa capacité à ouvrir plusieurs fronts, mais aussi sa maîtrise du calendrier diplomatique. Après avoir mené une succession d’attaques au Niger, une première incursion au Tchad et effectué une démonstration de force au Nigeria dans la ville de Gombe (nord-est), les djihadistes ont eu un nouvel affrontement, lundi 16 février, avec l’armée camerounaise.

Un officier du bataillon d’intervention rapide (BIR), les troupes d’élite, raconte que « l’accrochage s’est produit à 5 km de Waza, au niveau de la frontière, et après nous avons fait du ratissage jusque dans le territoire nigérian ». Le Cameroun ne dispose pas de droit de poursuite, mais le contexte l’incite à faire fi des règles internationales face à un ennemi qui se joue des lignes de démarcation entre Etats. Le bilan des combats est, selon cette source, de cinq morts et sept blessés côté camerounais et d’au moins six insurgés tués. Un blindé que ces derniers avaient arraché à la police nigériane a également été saisi. Quelques jours plus tôt, selon des sources tchadiennes, un blindé AML 90 de fabrication française avait été récupéré, près de Gambaru au Nigeria, par les soldats déployés par N’Djamena.

« Impossibilité de compromis »

Ces derniers combats sont intervenus au moment où six dirigeants de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) tenaient à Yaoundé un sommet consacré à la lutte contre Boko Haram. Fer de lance de la riposte régionale, Idriss Déby Itno a repris son rôle favori de stratège militaire en envoyant aux hommes d’Abubakar Shekau un message emprunté à Sun Tzu, le général et stratège chinois. « La guerre est semblable au feu, lorsqu’elle se prolonge, elle met en péril ceux qui l’ont provoquée », a lancé le président tchadien, copieusement applaudi. Un instant plus tôt, son homologue camerounais, Paul Biya, avait fixé les objectifs : « Il nous faut éradiquer Boko Haram », une « secte terroriste » avec laquelle il existe « une totale impossibilité de compromis ».

Les Etats d’Afrique centrale se sont engagés à débloquer une aide d’urgence de 76 millions d’euros et à apporter un soutien « multiforme » au Cameroun et au Tchad

A l’issue de cette réunion, les Etats de la région se sont engagés à débloquer une aide d’urgence de 50 milliards de francs CFA (76 millions d’euros) et à apporter un soutien « multiforme » au Cameroun et au Tchad. « Ils peuvent nous fournir de l’armement, des avions de transport de troupes, des hôpitaux de campagne, du carburant », avance un proche de la présidence camerounaise, précisant que « cela servira pour le court terme avant que la communauté internationale vole à notre secours ».

Le 7 février, les quatre pays (Nigeria, Cameroun, Tchad et Niger) affectés par les attaques de Boko Haram, ainsi que le Bénin, s’étaient accordés pour former une force multinationale mixte (FMM) de 8 700 hommes mais, selon une source française, « le financement est loin d’être gagné et les Etats de la région n’ont pas des capacités infinies avec la baisse des cours du pétrole ». Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, est attendu cette semaine pour signifier le soutien de la France à cette FMM alors que Paris fait tout pour ne pas être aspiré militairement dans ce conflit. « Ce n’est plus dans l’air du temps. Avec plus de 10 000 hommes mobilisés après les attentats, les effectifs manquent », estime une source officielle.

Au Cameroun, cette posture a souvent du mal à être entendue. « On ressent cette froideur entre notre président et François Hollande. Nous ne demandons pas forcément une intervention directe, mais un encadrement, des conseils. Après le sommet de Paris [le 17 mai 2014], nous espérions plus d’engagement », soupire un député du parti au pouvoir, précisant que cette guerre a déjà coûté à son pays 640 milliards de francs CFA (975 millions d’euros) en 2014.

Cellules dormantes

Le Cameroun est aujourd’hui plongé dans une guerre qu’il a tout fait pour éviter. La région de l’extrême nord était devenue depuis plusieurs années un vivier de recrutement et une zone de ravitaillement des insurgés nigérians, mais Paul Biya se refusait à ouvrir les hostilités contre l’ennemi de ce voisin avec lequel les relations, faites de conflits frontaliers, sont loin d’être apaisées. Lorsque les djihadistes ont commencé à déborder sur son territoire voilà deux ans, il a opté pour de discrètes négociations menées par des notables de la région afin d’obtenir la libération des otages français, la famille Moulin-Fournier le 19 avril 2013 puis celle du père Vandenbeusch, le 31 décembre de la même année.

Des rançons ont été payées et des islamistes ont été libérés des prisons.

« Lorsqu’il a déclaré la guerre à Boko Haram depuis Paris, la surprise était totale », reconnaît un proche de la présidence. Depuis, la hiérarchie militaire dans la région septentrionale a été remplacée. Des hélicoptères de combat, des blindés, des systèmes de renseignement ne devraient pas tarder à venir renforcer les lignes qui tiennent la frontière. « Nous sommes en période de montée en puissance. Dans trois mois, nous aurons beaucoup plus de moyens », assure le colonel Joseph Nouma, le commandant du BIR dans l’extrême nord. Trois mille de ces soldats d’élite, conseillés par des instructeurs israéliens et américains, sont en cours de formation.

Si la guerre est encore circonscrite au nord, la crainte d’attentats à Yaoundé ou à Douala est réelle. Des sources diplomatiques et sécuritaires évoquent la probabilité de cellules dormantes dans les deux plus grandes villes du pays. Dans ce contexte, les autorités ont promulgué, fin décembre 2014, une loi antiterroriste particulièrement restrictive pour les libertés publiques. Toute personne reconnue coupable de « terrorisme » est désormais punissable de la peine de mort et le champ d’application de cette loi va bien au-delà des actions djihadistes.

En effet, est défini comme « terrorisme » le fait de « contraindre le gouvernement ou une organisation internationale (…) et de perturber le fonctionnement des services publics (…) ou de créer une situation de crise au sein des populations ». Des opposants, des défenseurs des droits de l’homme mais aussi des proches du pouvoir considèrent qu’au prétexte de la guerre, un régime d’exception vient d’être instauré afin d’empêcher toute contestation politique ou sociale.

© Le Monde : Cyril Bensimon

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