Cameroun, Lutte contre Boko Haram: Ces marches patriotiques qui font courir la polémique
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Cameroun, Lutte contre Boko Haram: Ces marches patriotiques qui font courir la polémique :: CAMEROON

Ces attentats, dont celui contre Charlie Hebdo, qui ont ôté la vie à des citoyens français entre le 7 et le 9 janvier dernier, ont débouché sur une grande marche dans plusieurs villes de France dimanche 11 janvier 2015. Une mobilisation populaire au quotient politique non négligeable. Certains chefs d’Etats africains y ont pris part. D’autres ont même abondamment pleuré, au sens propre du terme ! Un cliché ubuesque qui a suscité des indignations sous certaines chaumières tropicales où l’on fustigeait l’indifférence des politiques africains et des peuples face aux drames que vit le continent. Par mimétisme ou pas, des projets de marches de soutien aux forces de défense camerounaises qui sont au front de la lutte contre Boko Haram à l’Extrême nord foisonnent. Si cette marche a été autorisée, comme celle du Collectif « Save our nation », il y en a qui ont été interdites

Pour justifier la « grande marche citoyenne » du 28 février prochain, le Collectif « Unis pour le Cameroun » se réfère aux dernières attaques et tueries de la secte islamiste Boko Haram sur le sol nigérian. « Une fois de plus la secte islamique Boko Haram a frappé chez le voisin le Nigeria. Il y a quelques heures, 15 personnes ont été tuées dans le nord-est du Nigeria. Ça aurait pu arriver dans la partie septentrionale de notre cher pays et pourquoi pas dans le sud. Voilà la raison pour laquelle nous devons nous mobiliser pour soutenir nos forces de défense et nos sœurs et frères de l'Extrême nord à travers la grande marche citoyenne du 28 février 2015. Qu'attends-tu pour rejoindre le mouvement? », lit-on sur la page facebook du Collectif« Unis pour le Cameroun. »

Une initiative pilotée par des journalistes camerounais : Guibai Gatama, directeur de publication de « L’œil du Sahel », Polycarpe Essomba, promoteur de la radio« Afrik 2 », Thierry Ngogang, journaliste en service à STV,Raoul Simplice Minlo, journaliste en service au ministère du Commerce, Eric Benjamin Lamere, journaliste en service à la CRTV… 

Sur les autres motivations de la mobilisation, le Collectif affirme : « Cessons d'être des observateurs passifs de la situation de détresse de nos sœurs et frères de l'Extrême-Nord de notre pays. Montrons notre engagement et notre soutien à l'égard de nos compatriotes… Ces soldats qui ont perdu des frères d'armes et qui sont loin de leurs familles ont besoin de notre soutien.»

POLÉMIQUES

La mobilisation populaire au sujet de la lutte contre Boko Haram sonne comme une manifestation de pur patriotisme. Le but étant de soutenir les forces de défense engagées sur le front de la lutte contre le terrorisme. Mais au-delà de l’ambition affichée par le Collectif « Unis pour le Cameroun », cette manifestation est loin de faire l’unanimité au sein de l’opinion. « Quand Françoise Foning organisait ses "marches de soutien" en faveur de Paul Biya, tout le monde la raillait, les journalistes en premier ». Dixit Aboya Manassé, enseignant à l’université de Douala sur sa page Facebook. Il poursuit son propos en affirmant que « lorsque "certains" universitaires avaient ensuite choisi de "marcher intellectuellement" lors du fameux appel au soutien à la candidature de Paul Biya en 2004, les mêmes journalistes n'ont jamais cessé de se moquer d'eux. Que le temps a changé!
» Dans sa raillerie, le politologue ne voit pas de césure entre le soutien aux forces de défense et le soutien à Paul Biya. Du « bonnet blanc, blanc bonnet », selon le Pr Aboya.
« Aujourd'hui, les mêmes journalistes ont oublié leurs moqueries d'hier : ils ont eux aussi décidé dans les jours qui viennent de s'essayer à la "marche de soutien" en faveur de Paul Biya »

28 FÉVRIER

Le ton devient comique lorsqu’il écrit : « Il y a donc match nul entre Françoise Foning (de regrettée mémoire, Ndlr) et les journalistes. Puis match nul entre les journalistes et les universitaires. L'histoire retiendra que tous ces matchs nuls se sont joués dans le Cameroun de Paul Biya!»

La grande marche patriotique aura lieu le 28 février prochain. Une programmation calendaire qui suscite des commentaires de la part de ceux qui estiment que le choix de la date n’est pas gratuit. 

Le 28 février coïncide avec la date anniversaire des émeutes dites de la faim de février 2008. Y a-t-il une main politique qui voudrait noyer la commémoration des émeutes de la faim par la marche patriotique ?

« Si vous voulez faire allusion aux émeutes de la faim...nous avons une pensée pour ceux qui ont trouvé la mort ce jour. Mais les émeutes c'était les 26, 27,28 février 2008. Donc La Grande Marche Patriotique n'empêche pas que ceux qui veulent se souvenir des événements des 26, 27, 28 février2008 le fassent. Nous n'allons pas faire la fête, mais soutenir nos soldats au front et nos frères et sœurs qui subissent les exactions des sauvages de Boko Haram », répond Raoul Simplice Minlo, membre du Collectif « Unis pour le Cameroun. »
Il relativise en plus l’importance que certains donnent à la date du 28 février en souvenir aux émeutes de la faim.

« Le 28 février renvoie à quoi? Qu'est-ce qu'il y a eu l'année dernière à cette même date au Cameroun? », interroge Raoul Simplice Minlo.

SOUPÇONS DE RENTE

« Il n’y a rien de mauvais à marcher pour soutenir nos forces de défense qui sont au front contre Boko Haram. Je peux marcher si le seul objectif est de se mobiliser derrière l’armée. Mais comme je ne maîtrise pas les tenants et les aboutissants, je préfère m’abstenir de marcher », tranche un journaliste au sujet de la marche patriotique du 28 février prochain. « Je ne marcherai pas. On n’a pas besoin de marcher pour une armée qui est au front. C’est son travail », tranche un autre confrère radical sur son appréciation. 

« La marche pour soutenir les forces de sécurité est une démarche patriotique et une initiative de solidarité nationale. Tout le monde ne risque pas sa vie. On doit se mobiliser pour ceux qui risquent leur vie et pour ceux qui ont perdu leur vie » argumente un autre confrère qui émet cependant des réserves sur les réelles motivations de cette marche.
«Ce n’est plus une démarche patriotique »,précise-t-il

«De prime abord, cette initiative est louable et encourageante. La menace Boko Haram concerne tout le monde. Mais on doit s’interroger sur les motivations réelles des initiateurs », argumente un confrère. «Le patriotisme ne se vend, ni ne s'achète. Le collectif se dissocie par conséquent de toute activité mercantile visant l'exploitation du patriotisme des Camerounais », précise le Collectif.

« D’un point de vue empirique, rien n’est fait gratuitement au Cameroun »,lâche l’historien David Eboutou. 

« Ce sont des procès d'intention. Les membres du collectif, journalistes reconnus, peuvent bien attendre quoi, si ce n'est la fierté d'avoir permis aux Camerounais de faire foule pour de bonnes causes ? Pas seulement pour le football ou pour boire de la bière. Non, nous le faisons pour le Cameroun, pour les Camerounais, et rien d'autre » ,rétorque Raoul Simplice Minlo

GADGETS POLITIQUES

La mobilisation française a fait des émules au Cameroun. Par mimétisme, des groupes se sont spontanément formés pour soutenir les forces de défense par des marches. Une véritable inflation de manifestations. Mais toutes n’ont pas eu le même destin. Autant les unes ont été autorisées, autant les autres ont été interdites. Même objectif, destin différent. Pourquoi ?

« Certains citoyens bénéficiant des privilèges de pouvoir entendent bien garder leur emprise arbitraire dans la régulation des libertés sociales. Sinon, comment comprendre que pour une cause juste, manifester au travers d’une marche son soutien à la défense de la patrie, que les autorités administratives et même politiques en viennent à choisir à qui délivrer des autorisations de manifester et non à d’autres? Cela démontre simplement et manifestement que bien que nous soyons tous Camerounais, et théoriquement égaux en droits et en devoir, c’est le contraire du point de vue pratique », argumente David Eboutou. 

La marche organisée par le collectif « Save our nation » à Yaoundé le 21 janvier dernier a été autorisée. Quelques dizaines de jeunes ont marché du monument de la réunification jusqu’au monument du soldat inconnu au quartier Ngoa Ekelle. 

Une fortune heureuse que le journaliste de Radio Tiemeni Siantou (RTS) Sismondi Barlev Bidjocka n’a pas eue. La marche qu’il a voulu organiser n’a pas été autorisée.Dans la foulée, le Conseil national de la jeunesse projette une marche le 7 février prochain, dans le cadre des festivités marquant la fête de la jeunesse.

Ces faits ne diluent pas l’enthousiasme du Collectif qui utilise les couleurs du drapeau camerounais dans ses différents documents et l’image du monument de la Réunification. Les membres du collectif invitent les Camerounais de tous bords à s’associer à leur initiative. 

Parlant des éventuelles implications politiques, le collectif précise : « cette mobilisation qui va porter le soutien à nos forces de défense et de sécurité et aux populations meurtries, nous engage pour le 28 février à célébrer notre unité loin de toute considération socio-politique… Les gadgets des formations politiques et divers mouvements autre que ceux du"Collectif" ne seront pas admis.»

© Repères : Christian Lang

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